La communication non-violente est-elle vraiment bienveillante ?

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    La communication non-violente, technique de communication crée par le docteur en psychologie Marshall Rosenberg, se développe de plus en plus dans notre société. Cette méthode prône la bienveillance pour établir des « relations de paix » entre les individus. En théorie, elle fonctionne bien mais la pratique se heurte parfois à quelques obstacles.

    « La communication non-violente, c’est une compréhension de la relation humaine, qui nous invite à nous rencontrer de coeur à coeur en dépassant les habitudes, les rapports de forces, d’agression, de manipulations », telle est la définition de Thomas d’Ansembourg, formateur certifié en communication non-violente (CNV), aujourd’hui auteur et conférencier. Cette méthode de communication créée par Marshall Rosenberg aux Etats-Unis a pour but de transformer les relations conflictuelles en dialogues paisibles. Elle se base sur quatre étapes : l’observation, l’expression des faits et des sentiments, puis des besoins pour ensuite formuler une demande précise en vue d’aboutir à une solution. « En utilisant ces quatre points et en aidant l’autre à faire de même, nous établissons un courant de communication qui débouche naturellement sur la bienveillance », décrivait le docteur en psychologie.

    Si ce mode de communication est aujourd’hui utilisé par de nombreuses entreprises, associations, collectifs, certains biais peuvent être pointés du doigt. L’entreprise Haute Savoie Habitat est « entrée dans la communication non-violente dans la finalité qui était recherchée par Marshall Rosenberg : établir la paix », explique Vola Potinet, happy chief manager. Pour elle, il est important de ne pas se contenter d’appliquer les quatre étapes de la CNV : « Cela peut être un frein. Il ne faut pas la compartimenter comme si c’était des étapes mécaniques. On en perd l’authenticité alors que c’est cela qui est recherché au départ.»

    D’autres pensent aussi que cette méthode n’est pas qu’un outil mais une intention d’être au monde. « Pour moi c’est une posture qui favorise la connexion et qui est au service de la coopération et de la collaboration », affirme Nathalie Achard, médiatrice et facilitatrice en CNV. Viola Potinet insiste sur la nécessité d’inclure son interlocuteur dans la conversation, car elle a noté qu’il est facile d’exprimer son besoin sans prendre en compte la personne en face, sans créer de véritable lien.

    La bienveillance, socle de la CNV

    Si la bienveillance est au cœur de cette méthode, Anthony Brault, formateur et consultant auprès d’associations, dénonce lui cette valeur lors de stages. « Quand on est dans des cercles bienveillants, il y a une sorte d’engagement tacite à ne pas exprimer d’émotions négatives, notamment la colère », affirme-t-il. Une théorie à laquelle n’adhère pas Nathalie Achard. « On peut avoir l’impression qu’il n’est pas possible d’exprimer clairement ses sentiments avec la CNV, mais au bout d’un moment on apprend à être en colère en non-violence. Cela demande de l’entraînement », précise la médiatrice.

    Certains pourraient donc être réticents à l’utilisation de la CNV. Mais pour Thomas d’Ansembourg, ces personnes n’ont pas l’habitude de parler de leurs sentiments. Lorsqu’elles reçoivent de l’empathie, de la compréhension, elles ont l’impression d’une intrusion dans leur intimité. « Beaucoup de personnes dans l’éducation traditionnelle ne ce sont pas senties comprises, pas senties écoutées ou reconnues et dès lors qu’elles sentent de la reconnaissance, de la compréhension, de l’estime, elles prennent cette attitude contre elles », analyse-t-il.

    Ne pas confondre outil et intention

    Que répondre alors aux personnes qui pourraient considérer la CNV comme une méthode manipulatrice et malveillante ? Les experts opposent ici outil et intention. Pour Thomas d’Ansembourg « si on utilise un marteau, il peut servir à accrocher un clou comme à taper sur la tête d’une personne. Il faut faire attention à l’intention. Cela n’a au fond rien à voir avec l’outil, c’est une question de responsabilité personnelle et de niveau de conscience.» Une idée partagée par Vola Potinet, pour qui tous les outils peuvent être détournés en vue d’être manipulés. En résumé : ce n’est pas l’outil qui est mauvais, mais l’intention de la personne qui décide de l’utiliser qui peut être biaisée.

    La CNV dans le monde du travail

    La communication non-violente a intégré les milieux professionnels et Anthony Brault dénonce les dérives qui peuvent s’y développer. Pour lui, ces méthodes permettent aux personnes privilégiées de conserver leurs avantages tout en optimisant le coté collectif de leurs organisations sous couvert de la bienveillance. « Mais le problème est que ce sont souvent des personnalités fortes aux commandes des organisations. Il est aussi difficile pour les personnes salariés de ces organisations, qui ont intégré les discours bienveillants, de tirer à boulets rouges sur une idéologie qu’elles ont défendue et qui leur tient à coeur », développe-t-il.

    Par exemple, des outils comme la « météo intérieure » – technique de communication qui implique de faire un tour de table en début de réunion pour confier l’état émotionnel des participants – seraient souvent mal employés. « Quand on voit comment la question est posée : « On va faire un rapide tour de météo intérieure ? Pouvez-vous dire en quelques mots comment vous vous sentez ? », c’est une manière de « déposer » ses sentiments pour ensuite se consacrer à une tache», explique Anthony Brault. Pour le management ça marche, mais ce n’est pas de la bienveillance. Pour une personne qui a des émotions négatives, elle n’aura aucun espace pour s’exprimer.» Pour lui, si les intentions bienveillantes de la CNV  étaient respectées, il faudrait porter son attention sur cette personne et essayer de comprendre son mal-être. Sauf que dans la plupart des cas, le tour de table continue sans que l’on ne s’y attarde.

    Nathalie Achard, qui intervient principalement dans le milieu associatif, explique qu’il faut prêter attention à ce que tout le monde soit formé de la même manière pour qu’il n’y ait pas de déséquilibre. « S’il y a un rapport hiérarchique, cela crée naturellement un déséquilibre. Il faut que les individus en aient conscience, mettent les mots sur cette inégalité. Le déséquilibre crée de l’insécurité et de la peur. L’intention doit être de récréer un environnement sécurisant. Mais cela prend du temps », conclut la médiatrice.

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