À L’Attiéké, solidarité et autogestion pour changer de regard sur le squat… et le monde

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    Depuis près de trois ans, le 31, boulevard Marcel Sembat à Saint-Denis, à deux pas de Paris, est le théâtre d’une initiative peu commune. Un ancien centre de la sécurité sociale laissé en friche depuis son rachat, en 2012, par la Fédération française de triathlon, s’est vu offrir une seconde vie : devenir un centre social autogéré. Et si le squat offre avant tout un toit à une quarantaine de personnes, pour la plupart sans papiers, il se veut aussi un tremplin pour des activités tant festives que politiques.

    attiéké
    © Éléonore Henry de Frahan

    Fruit d’une lutte de longue haleine pour le droit au logement, ce squat, bien plus qu’un simple lieu de passage, est avant tout une véritable oasis de convivialité. Depuis son ouverture en octobre 2013, le squat vit au rythme des procès à répétition intentés par le propriétaire des lieux, la Fédération française de triathlon. L’Attiéké a ouvert des suites de la fermeture de deux précédents squats, rue Gabriel Péri. Les résidents expulsés, avec ou sans papiers, chômeurs, étudiants d’ici ou d’ailleurs décident de prendre les choses en main. Après quelques mois d’occupation infructueuse du parvis de la mairie de Saint-Denis, ils se sont installés dans cet ancien bâtiment de l’assurance maladie. Un collectif se crée, il prendra pour nom L’Attiéké en référence au plat traditionnel ivoirien réalisé à base de manioc.

    Leur projet : créer un squat mixte avec des habitations, mais aussi des activités politiques et festives. Cohabitent ici une quarantaine de personnes venues d’horizons extrêmement divers et pour qui L’Attiéké représente une bouée de sauvetage à laquelle se raccrocher au quotidien. Pour la plupart, ils sont sans papiers ni famille : ce lieu s’est donc vite imposé comme leur seul recours face à une société qui les laisse sur le bas-côté.

    Le centre social propose ainsi pêle-mêle des ateliers de français, du conseil juridique, un atelier de réparation de vélo, des cours d’autodéfense, des projections vidéo… Les activités et luttes qui se déclinent ici sont nombreuses, et visent à façonner ensemble un projet commun dont les maîtres-mots sont la solidarité, le partage et la convivialité. Nous sommes partis à la rencontre des personnes qui font vivre L’Attiéké au travers de deux ateliers. Reportage.

    L’atelier français, entre autonomie et convivialité

    Mardi 5 juillet. Il est 18 heures 30 passées à L’Attiéké. Le squat ouvre ses portes pour son atelier de français hebdomadaire. Loin des contraintes institutionnelles, l’initiative se veut ouverte et inclusive. Chacun est le bienvenu, que ce soit du côté des apprenants ou des enseignants.

    Ce soir, une ambiance de vacances flotte déjà dans la « salle de classe », puisqu’il s’agit du dernier atelier de l’année. Ils ne sont qu’une dizaine en tout et pour tout, participants et « enseignants » compris. Les guillemets sont de rigueur puisque cet atelier – et non pas cours – dédié à l’apprentissage de la langue française s’organise d’une manière la plus horizontale possible. Sur la base d’un échange, d’être humain à être humain, tout simplement.

    Dans le hall d’accueil de l’ancien centre de la sécurité sociale, des petits groupes se forment. Perfectionnement, apprentissage ou conversation, chacun trouve un interlocuteur selon son niveau, et surtout selon ses envies. « On essaye de les rendre indépendants », affirme Martin. Cet enseignant bénévole, employé dans un magasin bio, a entendu parler du centre il y a quelques mois par le biais d’une amie. Depuis qu’il l’a découvert, le jeune homme s’investit presque exclusivement dans l’atelier français. A L’Attiéké, chacun peut venir donner un coup de main, quel qu’il soit, et ainsi contribuer à faire vivre le lieu.

    « On les voit vraiment comme des personnes et ça, ça les change un peu », explique le jeune homme. Et pour cause, depuis qu’il a commencé à animer l’atelier, Martin s’est pris d’amitié pour un jeune homme originaire du Bangladesh. Chaque mardi soir, c’est donc l’occasion pour les participants de toutes les nationalités d’échanger sur leurs cultures et de parler de leur histoire. Faisant ainsi de L’Attiéké un endroit à part, dénué des barrières sociales qui entravent la communication au quotidien. Une dynamique encore renforcée par la volonté, dès son ouverture, de faire de ce lieu un squat mixte tourné vers la ville, et proposant tant des initiatives politiques que des ateliers visant à l’autonomisation.

    Entre Baudelaire et origami …

    Attieke
    © Éléonore Henry de Frahan

    D’un bout à l’autre de la longue table de réunion située au fond de la pièce, on entend aussi bien parler de Baudelaire et du symbolisme que de la civilisation japonaise. « Explique-moi ce qu’est un origami ? », demande Lisa, qui anime l’atelier depuis deux ans, à Abdulai qui, visiblement embêté par la question, affiche un sourire penaud. La jeune femme se lance alors dans une démonstration grandeur nature, et façonne un origami en forme de tête de renard qui se gonfle lorsque l’on souffle dedans. Effet garanti, Abdulai éclate de rire.

    Plus que des leçons de français, ce que viennent chercher les participants, c’est avant tout de la chaleur humaine. Au sein de cet atelier, ils construisent ainsi ensemble un espace-temps privilégié, dédié à la socialisation et au partage. « Pour moi, c’est un interstice de rencontre », explique Lisa. « Un moment à part dans ma semaine ». La jeune femme travaille, dans le civil, au sein d’une institution qui accompagne des enfants handicapés. Elle explique que l’atelier de français de L’Attiéké cherche à sortir du cadre institutionnel et se veut complémentaire du travail réalisé par d’autres associations qui, elles, ont des impératifs à respecter.

    Car ici, pas de barrières administratives. Chacun est libre de venir participer à l’atelier qui est entièrement gratuit et sans inscription, et d’y revenir ou non. L’Attiéké peut ainsi accueillir certains soirs plus d’une vingtaine d’apprenants, généralement des personnes qui n’y résident pas. « On paye un peu le prix de cette liberté », plaisante Martin, en évoquant le succès que rencontre l’initiative. Car l’atelier séduit même au-delà des frontières dionysiennes. Et, à la fin de la séance, certains participants se pressent vers la sortie pour attraper au plus vite trams et métros, espérant ainsi ne pas arriver trop tard chez eux.

    Il est 20 heures 30. Chacun se salue en se disant : « À l’année prochaine ! »

    L’atelier vélo, la débrouille à tous les niveaux

    L’Attiéké est un lieu résolument tourné vers l’extérieur. Ainsi, chaque dimanche, le trottoir qui jouxte le centre social se mue en atelier de réparation de vélos à ciel ouvert. Les habitants de Saint-Denis et d’ailleurs peuvent y apporter leurs vélos et leurs pièces à réparer, et bénéficier des conseils d’animateurs bénévoles.

    « À l’atelier vélo, c’est toi le mécano ! », clame la charte de L’Atelier vélo nomade de Saint-Denis. Ici, le but est clair : rendre le plus autonome possible la ou le cycliste qui vient apporter son vélo ou ses pièces à réparer. Pas d’inscription, pas de cotisation, l’atelier fonctionne sur le don de soi. Chacun des participants se doit d’être proactif : rangement, recyclage des pièces et outils, propreté des lieux – une mécanique bien huilée mise en route depuis les débuts de L’Attiéké, il y a environ trois ans.

    L’Atelier nomade est une initiative du fab lab Lab’idouillerie et a lieu chaque dimanche dans plusieurs lieux de Saint-Denis – dont l’Attiéké. « Chaque semaine, on ouvre à 14 heures 30, mais, parfois, on a des gens qui attendent sur le trottoir dès 14 heures », explique Hervé, membre du collectif de L’Atelier vélo nomade de Saint-Denis. Cet ancien ingénieur devenu mécanicien cycle par passion chapeaute l’atelier qui compte en tout et pour tout cinq animateurs. « On veille à ce que les gens ne soient pas en attente de services, mais en demande d’apprendre. » L’intérêt de cet atelier ne réside pas dans le faire, mais bien plutôt dans le « faire faire » avec, pour principes de base, la bidouille et l’entraide.

    Partage de cambouis

    Attieke
    © Éléonore Henry de Frahan

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    Les planches de bois faisant office de tables de travail sont prises d’assaut par les habitants de Saint-Denis. On y vient pour des réparations, un frein défaillant, une roue vrillée ; mais aussi pour passer le temps agréablement en ce dimanche après-midi ensoleillé. « En plus de réparer mon vélo, ça me permet de discuter avec des gens », s’enthousiasme Maleck Dyonisien depuis trois ans. « On a tous besoin d’espaces pour se retrouver. » Pour Boudjema, réparateur débutant, « c’est un genre de stage sans passer par l’ANPE, sans passer d’examen. On apprend sur le tas. ».

    C’est le principe même de l’autoréparation, venir à l’atelier ne nécessite aucune connaissance ni aptitude particulière : tout le monde peut apprendre. « On offre aux gens un cadre pour les former à être plus autonomes vis-à-vis de l’entretien de leur vélo », explique Samuel, 33 ans, membre de la première heure du collectif de L’Attiéké. « Avec les mêmes objectifs que dans les autres ateliers de L’Attiéké : l’émancipation individuelle et collective, dans un esprit antiraciste et antisexiste. »

    L’atelier est aussi l’occasion pour les habitants de L’Attiéké d’échanger avec les Dionysiens présents sur le lieu. Kante, qui vit ici depuis trois ans, bricole un vélo cassé trouvé dans la rue. Pour ce Malien arrivé seul en France il y a quatre ans, le squat, ses résidents et le collectif qui le fait vivre sont, au fil du temps, devenus sa famille. « Je ne connaissais personne quand je suis arrivé » explique-t-il, « et grâce à L’Attiéké, j’ai rencontré plein de Français ». Qu’il s’agisse de l’atelier vélo, des projections, mais aussi des soirées ou encore des ateliers d’autodéfense, toutes ces activités sont organisées dans un but : promouvoir le décloisonnement.

    Car ce centre social autogéré, plus qu’un squat, est avant tout un lieu de partage. En sursis depuis ses débuts, il s’est vu accorder jeudi 7 juillet un nouveau report de son procès. L’Attiéké va donc pouvoir poursuivre ses activités jusqu’en octobre 2016, et ainsi continuer à être cet espace d’autonomie, d’émancipation et de solidarité populaire sur lequel comptent autant ses habitants, que les Dionysiens.

     

    Léa Esmery

    © Kaizen, construire un autre monde… pas à pas

     


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