Jacques Caplat : L’agriculture biologique en attente de décisions claires d’Emmanuel Macron

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    Ingénieur agronome, ethnologue et secrétaire général d’Agir Pour l’Environnement, Jacques Caplat revient sur l’intervention d’Emmanuel Macron, à Rungis (Val-de-Marne), ce mercredi 11 octobre, qui marque la fin du premier grand chantier des Etats généraux de l’alimentation. Entre directives précises et objectifs flous, il nous livre son analyse.

    Le discours du Président de la République a marqué la fin de la première phase des Etats généraux de l’alimentation (EGA). Lancé en juillet 2017, est-ce que cette concertation publique a porté ses fruits ?

    Très sincèrement, une grosse frustration s’est dégagée de cette première phase consacrée à la répartition de la valeur entre agriculteurs, industriels et distributeurs. La manière dont les ateliers se sont déroulés ne nous ont pas plu. Il n’y avait pas assez de transparence, de dialogue. On a pu s’exprimer bien sûr, mais c’était comme si le gouvernement piochait dans ce qu’il voulait, sans creuser les points qui faisaient plus débat que d’autres. Des exigences fortes restent sur la table.

    Et est-ce que, justement, les mesures annoncées dans son discours, ce mercredi, ont répondu à ces exigences en général ?

    Globalement son discours était intéressant avec des annonces cohérentes. Notamment sur le fait de se prononcer concrètement sur la volonté de mieux rémunérer les agriculteurs et paysans. D’une part, il s’est engagé à relever le seuil de revente à perte, c’est-à-dire le prix minimum en dessous duquel les distributeurs n’ont pas le droit de vendre. D’autre part, et sans doute la proposition la mieux accueillie, le fait de permettre aux agriculteurs de mieux imposer leurs prix. Ces deux mesures annoncées redonnent plus de force aux paysans et il était vraiment temps que ça se fasse en mettant enfin des limites. D’autant plus que la majorité des distributeurs sont eux-mêmes satisfaits de cette mesure.

    Mais le consommateur va voir les prix augmenter…

    Oui on peut s’attendre à ça. Mais les gens sont de plus en plus demandeurs d’une alimentation de qualité. Si on a une hausse de produits de qualité, je pense que les consommateurs seront prêts à mettre le prix. En revanche, il ne faut pas oublier que certains ne peuvent pas se le permettre. C’est là que des dispositifs entreraient en compte pour leur permettre d’y avoir accès. Mais cela reste encore assez vague et non défini par le gouvernement.

    En contrepartie de ces mesures, Emmanuel Macron a demandé aux agriculteurs de se « restructurer », qu’est-ce que cela signifie concrètement ?

    Il incite les agriculteurs à se regrouper davantage pour avoir plus de poids dans les négociations commerciales et ainsi avoir plus de chance de recevoir des aides. Ensuite, il exige d’ici la fin de l’année que chaque filière de production agricole adopte une stratégie claire.

    Et ce raisonnement filière par filière est selon vous une bonne chose ?

    Pour moi c’est l’exemple type de la fausse bonne idée. Il demande à ce que les filières se renforcent en tant qu’interprofessions, c’est-à-dire qu’au lieu d’adopter une ligne générale, chaque filière se fixent des objectifs et décidera de la stratégie à adopter. Ce qui est au premier abord une bonne initiative. Néanmoins, avec ce système, si l’on prend l’exemple de la production laitière, les différents acteurs d’une même filière lors d’une réunion ne s’interrogeront pas sur la nécessité de diminuer la production de lait qui est aujourd’hui en surplus en France.  Au sein de la filière du porc, la logique est la même. Personne ne se mettra d’accord pour voter une diminution de production même si elle apparaît inévitable. Ce raisonnement filière par filière renforce une vision segmentaire de l’agriculture. Selon moi, il y a un besoin impératif d’adopter une vision territoriale et de faire des liens entre les différents producteurs.

    Après cette première phase, le Président de la République a annoncé plusieurs objectifs comme celui de « transformer en profondeur » le système agricole, vous y croyez ?

    C’est très beau d’utiliser des grands mots comme « transformation profonde » et de vouloir tendre vers une agriculture plus durable mais comment être crédible lorsque l’on défend fermement la signature du traité de libre échange entre l’UE et le Canada (CETA) en rappelant l’importance de la logique concurrentielle à l’international et de l’exportation à tout prix ? Cette prise de position de Macron est une vraie contradiction avec ses projections vers une agriculture plus respectueuse de la terre et des hommes. Il a néanmoins évoqué un point plutôt intéressant sur l’abandon de certains produits jugés inutiles et de changer certains modèles qui ne sont plus durables dans certains domaines agricoles ce qui a le mérite de libérer la parole. On pourrait imaginer l’abandon d’élevage hors sol pour des élevages en plein air par exemple mais évidemment, rien de concret n’a été précisé et défini.

    Comme autre objectif, Emmanuel Macron a réaffirmé son engagement d’atteindre 50% de produits bios ou locaux dans la restauration collective d’ici 2022, est-ce que c’est pour vous réalisable ?

    Déjà, ce n’est pas nouveau, il ne fait que réaffirmer une promesse ancienne. Ensuite le gros problème réside dans 50% de produits bios « OU » locaux. Ce qui veut dire que l’on peut très bien se retrouver avec 45% de local et 5% de bio. Et le local pourrait très bien signifier de l’élevage de porcs hors sols basé en Bretagne par exemple qui en plus, importe du soja venu du Brésil pour nourrir les bêtes … mais ça passera puisque c’est « local ». Le bio, ici, ne fait figure que d’affichage.

    La bio sort elle grandi de ces EGA ?

    Pas du tout…Le gouvernement avait déjà décidé, en pleine négociation de la première phase des Etats généraux, de supprimer une partie des aides au bio, une suppression inquiétante complètement contradictoire avec l’objectif des EGA avec une méthode employée qui n’augure pas d’une concertation sincère. Pour ce qui est du glyphosate, Macron est revenu sur le sujet de manière très superficielle et floue dans son discours de mercredi.

    Les EGA entrent dorénavant en deuxième phase, celle de la réorientation du modèle agricole français, restez-vous tout de même positif sur la suite des événements ?

    De manière générale, le discours de Macron a été assez encourageant sur certains points avec un élément très important : le livrable législatif c’est-à-dire que des mesures seront adoptées par le biais de lois et/ou d’ordonnances. Certes, pas tout de suite, mais dès le début de l’année prochaine et c’est vraiment ce qui représentait l’une de nos revendications les plus fortes. Mais comme je l’ai expliqué précédemment, il y a tout de même beaucoup de contradictions entre les promesses du Président et ses actions concrètes. Comme beaucoup d’ONG, je serai très vigilant sur les décisions à venir mais on essaiera au maximum de faire entendre nos voix dans cette deuxième phase de négociations.

     

    Propos recueillis par Maëlys Vésir

    3 Commentaires

    1. le pouvoir de changer les choses appartient à nous les consommateurs; si vous communiquez sur la consommation responsable les industriels et les distributeurs devront s’y adapter
      le porc par exemple ; beaucoup de personnes n’en veulent plus pour les mêmes raisons que les poulets élevés en cage, trop de médicaments leur sont administrés et en bout de chaine c’est nous qui les absorbons
      mais si les éleveurs pratiquent l’élevage de porc respectueux de l’animal et de l’environnement ils en reconsomeront, moi la première 😉

    2. Entièrement d’accord avec Marie. Nous les consommateurs, nous devons veiller à privilégier les produits bio et les produits locaux.

    3. PRESENTATION DE LA VIDEO
      Dans cette vidéo https://m.youtube.com/watch?v=wSj6gpRmkyY
      Eric Escoffier de « Permaculture sans frontières » replace la pratique du potager dans un cadre cohérent en terme d’efficacité*, de productivité*, de soutenabilité* et de résilience*. Il illustre comment la permaculture, par son approche ​holiste et son obsession de l’efficacité énergétique (ratio production sur travail/énergie investis), permet de diversifier les stratégies pour le potager​.​ ​Tout d’abord, en utilisant intensément​,​ d’une part les espèces ligneuses et les herbacées pérennes ​(​ou qui se ressèment spontanément​)​, et d’autre part les très nombreuses espèces sauvages/spontanées comestibles, ​on peut ne pas faire de potager du tout et obtenir une abondance de productions et de nutriments. Il existe aussi des stratégies de « non-culture » ou de « semi-culture », qui favorisent plus qu’elles ne cultivent une abondance d’espèces alimentaires… Enfin, si on y tient vraiment et sans perdre de vue que ce sera de toutes façons un système de production moins efficace qu’utiliser intensément les espèces ligneuses/pérennes​/​spontanées, on peut aussi ​concevoir des zones potagères. Mais alors, ​faisons-le ​d’une manière hyper-optimisée​ ​- très​ productive, hyper-intensive et régénérative*​ -​ et intégrées dans le système​.​ ​Comme de coutume en permaculture, le propos est de faire travailler le système​ : ​remplacer le travail par l’intelligence et la connaissance, et concevoir (au sens du design* en permaculture) des systèmes clos et régénératifs*, soutenables*, ​très productifs et résilients*.​ ​Dans la vidéo, Eric Escoffier donne​ ainsi​ quelques clés pour des nucléus potagers à fertilité croissante extrêmement productifs, caractérisés par :
      – très peu de travail,
      – peu de surface nécessaire,
      -​​ sans maladies, pestes ni​​ ​ravageurs,
      – sans fertilisants ni pesticides,
      – sous multi-étagement,
      – hyper-diversifié et hyper-densifié,
      – sans concurrence pour l’eau et les nutriments,
      – sans travail du sol (après la mise en place),
      – sans irrigation,
      – sans désherbage (même au début).

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