Isabelle Peloux : Passer de la note à l’évaluation

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    L’information scolaire, Paris 1956 ©Robert Doisneau

    Faut-il continuer de noter les élèves ? Mis en ligne lundi 1er décembre 2014 sur le site du Conseil supérieur des programmes (CSP), un document qui préconise d’« éviter les calculs artificiels des moyennes », relance le débat. Isabelle Peloux, auteure de L’École du Colibri, réagit à cette proposition de réforme.

     

    I PELOUX

    Trois questions à Isabelle Peloux, professeure des écoles, formatrice en relation entre l’enseignant et l’enseigné, accompagnatrice de groupes de parole de parents.

    Elle a fondé, en 2006, l’école élémentaire du Colibri, dans la Drôme, au cœur de la ferme agro-écologique des Amanins. Elle est l’auteure, avec Anne Lamy, de L’École du Colibri, la pédagogie de la coopération, (Actes Sud, octobre 2014).

    Le CSP préconise la fin des notes à l’école. Est-ce le début d’un changement qui irait de la compétition vers la coopération, ou est-ce juste un leurre ?

    Supprimer les notes, c’est assurément une façon de se recentrer sur l’apprentissage : c’est arrêter de chiffrer quelque chose qui n’est pas chiffrable. Mais, arrêter la note ne veut pas dire arrêter d’évaluer, car, bien évidemment, l’étudiant a besoin de repères, de savoir où il en est. Quand il n’y arrive pas, il le sait : il n’a pas besoin de recevoir une mauvaise note. Il faut trouver comment stimuler son envie de continuer à apprendre, alors que la mauvaise note, en général, lui donne envie de ne plus essayer. La note, pour les bons élèves, sert de carotte : elle est intéressante en terme d’émulation. Mais il faut trouver une autre façon de stimuler l’apprentissage : en disant à la personne que ce qu’elle fait est bien, qu’elle peut être fière d’elle. Si l’enthousiasme est réveillé, elle aura envie de continuer à apprendre. En revanche, pour un enfant qui a des difficultés, la note peut être la raison pour laquelle il va arrêter d’apprendre. J’ai constaté cela chez plusieurs adolescents : puisque j’ai de mauvaises notes, et que c’est insupportable que mon moi soit chiffré, je n’ai pas d’autre issue pour reprendre le pouvoir que de ne plus apprendre et, ainsi, quand la note tombe, je peux me dire « peu importe, cette note n’est pas moi, car j’ai fait exprès de ne pas apprendre ». Là, on voit bien que la note peut faire quitter l’apprentissage.

    L’évaluation est-elle la solution ?

    Je prône une évaluation dite « formative », une évaluation qui prend l’enfant là où il est et qui l’emmène au stade d’après, sur un chemin personnalisé. Il faut quand même des repères collectifs : l’enfant a besoin qu’on lui dise si ça va ou non. Je ne mets de notes chiffrées à mes élèves qu’à partir de la fin du CM2 (dernier devoir de l’année), pour qu’ils se préparent au collège. Ils adorent ça ! Cela me surprend à chaque fois ! Avant le CM2, ils ont des devoirs avec des compétences évaluées : par exemple, à la fin du devoir, ils doivent vérifier s’ils savent faire une multiplication à deux chiffres, une soustraction et une addition. S’ils ne savent pas faire, je marque « à revoir », c’est en cours d’acquisition. Ils sont alors demandeurs pour réapprendre. S’ils savent faire, je note que le savoir est acquis à l’instant T. Ils regardent ces commentaires et s’en imprègnent. Cela a du sens pour eux. À partir du moment où je mets un chiffre, ils ne regardent que le chiffre, ils ne regardent plus ce qu’ils ont réussi ou non. En général, ils disent : « Je vaux 16 » ou « Je vaux 4 ». Je leur dis que ce sont leurs opérations qui valent 16 ou 4, pas eux. La note chiffrée vient trop vite parler de la valeur de la personne. Et surtout elle empêche l’enfant de repérer ce qu’il maîtrise et ce qu’il doit réviser.

    Est-ce que les notes ne rassurent pas plus les parents ?

    Les parents ont besoin qu’on leur dise comment se situe leur enfant par rapport à la norme. Au lieu de notes, on peut leur rendre un cahier où sont décrites les compétences acquises ou non acquises et il faut que l’enseignant soit capable de dire ce qui est inquiétant ou non. L’important est que les parents soient accompagnés. Il faut leur expliquer que si leur enfant a des lacunes à un instant T, cela ne signifie pas qu’il est mauvais élève.

    Il a fallu que je commence moi-même à donner des notes pour me rendre compte de l’absurdité du système. Vous donnez un exercice noté sur 5 à un élève, où vous lui demandez de calculer le prix d’un panier de légumes qui contient 3 kilos de poireaux à 2 euros le kilo, 1,5 kilo de tomates à 2,50 euros le kilo, etc. L’enfant a compris le raisonnement, mais il fait une erreur de calcul et son résultat est donc faux. Certains professeurs vont lui mettre 3/5 ou 4/5, car ils estiment qu’il a compris le raisonnement. D’autres vont mettre 0/5, car le résultat est faux. Qui a raison ? Personne et tout le monde ! Un autre problème se pose avec les devoirs de français, qui sont notés sur 20, mais où il est très rare qu’un élève obtienne un 20/20, car c’est une matière difficilement « notable » ! Des études ont été réalisées afin de dénoncer ces absurdités. Si l’on fait corriger la même copie à plusieurs correcteurs, les notes peuvent aller de 4 à 18.

    Mettre des points ne donne pas d’informations sur la personne, ou alors des informations fausses. Les parents que je vois ne se sont jamais plaints du fait que je ne mettais pas de notes, parce que je leur donne des repères. Les parents les plus attachés à la note sont ceux qui ont peur que leur enfant n’y arrive pas à l’école ; ils pensent que la note va le sauver. Mais ce n’est pas vrai, la compétition va l’isoler dans le monde. Il faut apprendre à faire seul et aussi avec les autres. On a tout intérêt à prôner la solidarité plutôt que l’isolement, donc la coopération plutôt que la compétition !

     

    Propos recueillis par Pascal Greboval et Diane Routex

     


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    2 Commentaires

    1. Absolument d’accord
      j’ ai 78 ans
      père de 2 filles
      5 fois grand père
      Je n’ai pas vu ce système mis en application .Dommage !

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