Au lendemain de l’incendie ayant frappé les Monts d’Arrée, un massif montagneux du Finistère, l’heure est au constat… et à l’action. Gestion et entretien durables des landes, préservation de la biodiversité : autant de pistes que détaille Alain Thomas, membre de l’association Bretagne Vivante, pour parvenir à limiter les risques de feux. Dans le respect des écosystèmes et de la biodiversité.
Quelles sont les conséquences de cet incendie ?
Les conséquences ne sont pas faciles à déterminer sur un délai aussi court, on ne peut pas encore dire quels seront les dommages à long terme. On a déjà un retour d’expérience : en 1976, près de 4000 hectares avaient brûlé (ndlr : soit près de trois fois plus qu’en juillet 2022). Ce qui est intéressant, c’est qu’après ces incendies plusieurs études avaient été menées, notamment par des botanistes de l’université de Rennes. Il est apparu que les landes armoricaines sont relativement résilientes, elles s’accommodent parfaitement au passage du feu sur le temps long.
Plusieurs espèces végétales qui forment la base de ces landes sont pyrophytes : elles tirent profit des flammes pour leur croissance, leur reproduction et leur développement. Un feu sur une lande n’est pas en soi dramatique, il est constitutif de son écosystème. C’est tout de même à nuancer : cela ne veut pas dire que ce milieu naturel en accepte tous les deux ou trois ans.
Il faut aussi distinguer le feu de printemps dit “courant” de celui d’été ou d’automne. Quand l’un passe rapidement en raison de l’humidité du sol, les deux autres peuvent l’affecter plus profondément car il y a plus de matière à brûler. Si on prend l’exemple de l’Ajonc d’Europe (ndlr : un arbuste épineux), même si la partie aérienne a été entièrement consumée par le feu, il va réémettre des pouces à la base de la souche si les flammes n’ont pas été trop intenses. Cela va même stimuler la germination de graines.
Qu’est-ce qui pose problème dans l’entretien des landes aujourd’hui ?
Sur les Monts d’Arrée, il faut décrire la situation d’un point de vue à la fois foncier et agricole. C’est très morcelé : il y a un très grand nombre de propriétaires dont certains ne possèdent qu’un hectare et, progressivement, de grands blocs de landes sont acquis petit à petit par le département du Finistère. À ce jour, peu d’agriculteurs sont impliqués dans une gestion agricole dans ce périmètre, il y a une difficulté à pouvoir les rémunérer. Pendant des générations de paysans, on fauchait régulièrement la lande pour fournir de la litière pour les animaux, dans les étables ou les écuries. Il y avait aussi la mise en place de troupeaux capables de se nourrir sur ce genre de milieux. Depuis quelques décennies, ces usages ont périclité et on voit évoluer d’importantes surfaces de landes. Elles s’épaississent, prennent de la hauteur, jusqu’à voir en leur sein un début de boisement. C’est là où il y a un certain danger concernant le risque d’incendie.
D’autant plus que nous, humains amateurs de loisirs et de nature, exerçons des pressions de plus en plus fortes sur les milieux naturels et en particulier la faune. Il ne faudrait donc pas qu’on ouvre de nouvelles pistes de prévention des incendies parce que l’on sait très bien ce qui se passe à chaque fois : ça devient de nouveaux boulevards pour accéder à ces zones.
Par quoi passerait une gestion durable de ces milieux naturels ?
Pour des raisons biologiques, végétales et climatiques, il faut les gérer comme l’ont fait nos ancêtres et une longue série de générations de paysans, par un système productif résilient. Compte tenu de l’extrême diminution des surfaces de landes en Bretagne et de la nécessité d’y conserver des espèces végétales et animales en grand danger, la priorité consiste bien à entretenir ces landes par le biais de la fauche ou de l’installation de troupeaux (de bovins ou moutons) à des fins de pâturage. Nous avons un excellent exemple en la réserve naturelle régionale des Cragou, la plus importante de Bretagne, avec 500 hectares environ.
C’est dans les années 1980, par une initiative de Bretagne Vivante, qu’elle a trouvé son origine. On a réussi à acheter une vingtaine d’hectares de landes menacées par un plan de boisement : il allait mettre à mal des espèces d’oiseaux protégés et rares, comme le rapace Busard cendré et Busard Saint-Martin. Nous avions clairement en tête le projet de gérer ces landes “à l’ancienne”. Faute d’avoir trouvé des agriculteurs d’accord, nous avons dû constituer notre propre troupeau composé d’une vingtaine de vaches de la race nantaise et de poneys Dartmoor, une race rustique.
Alors comment réduire les risques d’incendie tout en conservant ces milieux naturels et leur biodiversité ?
Le meilleur pare-feu pour les landes – on l’explique depuis déjà 40 ou 50 ans au travers des différentes actions de Bretagne Vivante – serait de pouvoir relancer le plus possible ces usages anciens. Ces deux modes d’entretien peuvent complètement contribuer à réduire ces risques, c’est une évidence.
Déjà au bout de quelques jours, je vois au travers de différents articles et déclarations que beaucoup de personnes mettent en avant cela. Notamment certains agriculteurs et éleveurs qui sont très intéressés par les questions de biodiversité : pour s’impliquer au travers de cette gestion vertueuse des landes qu’ils possèdent, avec une relance cyclique de la fauche et à terme envisager la réinstallation du courlis cendré, un oiseau emblématique des Monts d’Arrée.
Au moment du printemps, cette espèce se retranche à l’intérieur des terres dans des zones de landes et de tourbières. Or on s’est rendus compte que ces dernières se sont trop épaissies, et les courlis finissent par les éviter. Le fait d’avoir un feu qui va tout d’un coup stimuler certaines graminées et relancer la croissance très lente des ajoncs ou des bruyères, fournira des faciès plus intéressants pour la recherche de nourriture de ces oiseaux.
Pourquoi s’être éloignés de ces solutions ancestrales et durables ?
Le grand changement se produit à la fin de la Seconde Guerre mondiale, où l’agriculture française bascule dans un nouveau monde. Il s’agit à la fois de réduire le nombre d’agriculteurs et d’augmenter la production, et ce par de nouvelles méthodes venues des États-Unis. Les tracteurs apparaissent, sauf que ces paysages de montagne ne sont pas adaptés à la mécanisation. De plus, la plupart des sols ne semblent pas aptes à répondre à la demande d’augmentation de la production. Rapidement, ces petits paysans – au sens économique du terme – sont déclassés. Leur modèle agricole, qui a été extrêmement durable, ne peut rentrer dans ce nouveau moule et disparaît petit à petit.
Aujourd’hui plus que jamais, au-delà des questions de la maîtrise du risque d’incendie – qui va s’accroître du fait de l’élévation des températures avec le changement climatique – on a besoin d’une agriculture paysanne, de liens forts avec certains territoires. Des agriculteurs commencent donc à faire le choix d’une production plus respectueuse de l’environnement et de la biodiversité. Ils vont pouvoir de nouveau tirer leur épingle du jeu puisqu’il y a une demande sociale particulièrement claire pour des produits alimentaires de qualité, issus d’une agriculture respectueuse des sols agricoles, extrêmement appauvris ici en Bretagne par 50 ans de culture intensive. On est à un moment charnière et le meilleur devrait sortir de cet incident.