Guillaume Sainteny : « Les gouvernements ont un rôle à jouer dans l’adaptation au changement climatique »

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    Il fait chaud, très chaud. Et avec cette chaleur, une question brûle les lèvres : le changement climatique est-il responsable de ces épisodes caniculaires ? Si tel est le cas, que fait le gouvernement pour y remédier ? Pour Guillaume Sainteny, ancien directeur de l’administration centrale au ministère de l’Environnement, l’heure n’est plus à l’atténuation du changement climatique, mais à l’adaptation. Et sur ce point, nous sommes déjà en retard.

    Nous sommes confrontés à des épisodes caniculaires depuis le début de l’été. Pour vous, la canicule est-elle un signe du dérèglement climatique ?  

    Je ne pense pas que l’on puisse l’affirmer de façon aussi nette. Je n’ai pas les compétences scientifiques pour affirmer qu’il y a un lien un lien entre cette canicule et le changement climatique, mais je n’aime pas tellement le mot « dérèglement ». Il suggère qu’il y a un « règlement » ou une règle climatique, c’est-à-dire un état stable du climat. Or, le climat évolue. Je dirais que l’on a un climat plutôt stable dans son instabilité, je préfère le dire ainsi. Ce qui se passe, depuis le début du XXe siècle, peut être qualifié selon moi de changement climatique plutôt que de dérèglement. Que la canicule soit une conséquence du changement climatique, dans la tête des gens et pour les journalistes ça ne fait aucun doute. Cela devrait au moins avoir le mérite de rappeler que des sujets lointains ont déjà des conséquences sur notre vie quotidienne. Les gens sont plus réceptifs aux problèmes environnementaux si cela les touche directement.

    Pensez-vous que les gouvernements successifs ont fait le nécessaire pour atténuer ce changement climatique ?

    Je ne pense pas que ce soit principalement aux gouvernements de faire ce qu’il faut ou non pour atténuer le changement climatique. C’est un problème international, les gouvernements ne sont pas à la bonne échelle pour agir. Par exemple, la France émet à peu près 1% des gaz à effet de serre mondiaux, elle est plutôt bonne élève dans ce domaine, mais si elle était encore meilleure élève, cela n’aurait quasiment aucun effet sur l’évolution du changement climatique. L’atténuation relève d’abord d’accords internationaux puis de l’application de ces accords par les États.

    Que doivent faire les gouvernements alors ?

    Les gouvernements ont un rôle considérable à jouer dans l’adaptation au changement climatique. Si le changement climatique est global, les conséquences sont bien locales : elles diffèrent selon les pays et les régions. Si l’on y réfléchit bien, cet aspect des politiques climatiques s’apparente à ce qu’on appelle la protection civile des populations, tâche essentielle des États modernes. Par exemple, les États doivent faire en sorte que la hausse du niveau de la mer ne provoque pas trop de morts sur les côtes, ou repenser l’urbanisme en fonction du risque accru de canicules en été. On voit bien que, cette année, la « solution » a été une ruée vers les climatiseurs : les gens cherchent à se protéger eux-mêmes par des solutions individuelles. Mais quel est l’effort fait dans les politiques d’urbanisme, afin d’avoir des villes qui emmagasinent moins la chaleur et qui comportent plus de zones ombragées ou d’arbres ? Il y a très peu de normes sur la forme des villes pour limiter la chaleur et favoriser le rafraichissement nocturne, ou sur l’architecture bioclimatique par exemple. On ne conseille pas non plus sur les essences d’arbres qui seraient les mieux adaptées : une technique traditionnelle consistait à disposer des conifères au nord et des feuillus au sud, à l’est et à l’ouest, pour que les premiers fassent bouclier contre le vent l’hiver et que les seconds fassent parasol l’été. Et toutes ces choses-là, je ne les trouve pas aujourd’hui en urbanisme.

    Comment expliquer que ces mesures d’adaptation n’aient pas été mises en place plus tôt ?

    La première raison, à mon sens, est la prise conscience du phénomène : pendant longtemps, beaucoup de gens ont nié le changement climatique. Ensuite, c’est la responsabilité de l’humain dans ce changement qui a été mise en doute. Puis une fois que l’on a admis que l’humain en était responsable au moins en partie, l’accent a été mis sur l’atténuation car les gouvernements ont pensé qu’il suffirait de maîtriser le phénomène. Et pendant tout ce temps-là, on ne s’est pas préoccupé de l’adaptation, ce qu’on aurait dû faire depuis longtemps. Les pays dépensent beaucoup plus sur l’atténuation que sur l’adaptation, y compris des pays peu émetteurs. Développer l’adaptation présente aussi un obstacle psychologique : en filigrane, il y a l’idée que l’humain n’est pas « maître et possesseur de la nature », et qu’il y a des évènements qu’il ne peut pas maitriser et auxquels il doit d’adapter.

    Quelles mesures fortes devraient être prises par le gouvernement français ?

    Dans le Plan climat de juillet 2017, est affirmée la nécessité de « solutions fondées sur la nature ». Ces solutions sont parmi les moins couteuses et les plus rapides à mettre en place. Par exemple, la protection des zones humides et des prairies permet de freiner les crues ; celle des forêts atténue les vagues de chaleur ; le maintien des zones littorales non urbanisées permet de freiner l’effet des évènements climatiques en bord de mer. Il faut aider les propriétaires privés d’espaces naturels à les conserver en bon état, ou même les aider à investir pour que ces espaces assurent leur fonction écosystémique et notamment leur fonction d’absorption du carbone. Les prairies stockent plus de carbone que les zones arables par exemple. On a transformé un grand nombre de prairies en terres agricoles depuis la fin de la guerre. Et on continue à le faire alors qu’on devrait arrêter, entre autres pour des raisons de biodiversité ou de stockage d’eau. Malheureusement, en contradiction avec le Plan climat, la taxation des espaces naturels a été nettement augmentée depuis le 1er janvier 2018.

    Nicolas Hulot ne pourrait-il pas empêcher ce genre de contradictions ? 

    C’est ce qu’on lui demande. Un ministère a toujours des compétences propres, mais l’environnement est censé être une politique interministérielle. Selon le principe d’intégration de l’environnement dans les politiques publiques, le ministre de l’Environnement à son mot à dire sur les aspects environnementaux de toutes les politiques publiques. Je trouve que le ministère, depuis un an, est cantonné à un petit nombre de sujets au regard de tous ceux sur lesquels il est compétent. Et même dans son propre champ de compétences, certains sujets ne sont pas abordés. Mais surtout, il y a un très faible exercice du principe d’intégration de l’environnement dans les autres politiques publiques. Pourtant, j’ai connu des ministres qui considéraient que l’intégration de l’environnement dans les politiques publiques était très importante. Par exemple, j’ai toujours pensé que le ministère de la Culture et le ministère de l’Environnement devraient être alliés, parce que la protection du patrimoine culturel et celle du patrimoine naturel sont très proches. On ne peut pas sauvegarder le Mont Saint-Michel sans sauvegarder la baie. Il en va de même avec le ministère de la Santé. C’est une hypothèse, mais le ministre n’a peut-être pas conscience que cet aspect d’intégration est important et mérite d’être soulevé.

    Marion Mauger

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