Quadruple champion du monde d’apnée, Guillaume Néry a fait évoluer sa pratique vers une démarche artistique en produisant des films avec sa compagne Julie Gautier et de belles images avec le photographe Franck Seguin.
Quel plaisir prenez-vous dans l’apnée ?
J’aime le rapport simple avec les éléments, sans matériel ni technologie. Il n’y a pas d’interférences entre la nature et l’être humain. Cela permet d’explorer les grandes profondeurs en étant presque à nu. L’apnée procure aussi une forme d’apaisement, de sérénité. Pendant l’apnée, plus on est calme, plus on reste longtemps. Et ce moment se prolonge après également. On a aussi une grande sensation de liberté, une impression de voler, de se libérer de l’apesanteur. Porté par le milieu aquatique, on s’affranchit de certaines contraintes terriennes. Tout ceci procure une parenthèse dans le temps.
La respiration, c’est l’essence de la vie, pourquoi jouer avec cette fonction vitale ?
Quand j’ai commencé, avec un copain, à l’adolescence, c’est vrai que nous étions dans une forme de transgression. Nos premières apnées n’étaient même pas dans l’eau. Mais s’il n’y avait eu que l’aspect transgressif, je me serais vite lassé. Ce fut un point d’entrée, une porte ouverte vers une quête de plénitude, un moment de méditation. Bien sûr, c’est un moment suspendu, on ne peut pas arrêter indéfiniment la respiration, mais on n’est jamais autant conscient de notre besoin de respirer que quand on arrête de le faire pendant un certain temps. Chaque reprise respiratoire est une délivrance, on est content de remonter à la surface, mais le moment avant, on est parfaitement bien. Toutes les expériences de privation, comme le jeûne [Guillaume Néry jeûne de temps en temps, une journée, trois jours, une semaine, NDLR], où l’on arrête une fonction vitale, nous permettent de nous rendre compte de la place qu’elle occupe et lui donnent encore plus de valeur.
Pourquoi ne pas méditer ? La notion respiratoire y est fondamentale aussi et l’état de plénitude serait plus long ?
Je trouve la méditation complémentaire de l’apnée. Je ne veux pas instaurer de hiérarchie entre les deux pratiques, car elles ont beaucoup de points communs. Ce qui me passionne dans l’apnée, c’est la double exploration, extérieure et intérieure. On explore des fonds inconnus, à 100 mètres, dans un moment charnel avec l’eau. Mais c’est aussi un moment d’exploration intime, un tête-à-tête avec soi-même.
L’apnée a changé votre regard sur le monde ?
C’est une vraie école de la vie. La confrontation avec la nature et les éléments nous apprend une forme d’humilité qu’on devrait avoir par rapport à notre condition. L’être humain se place trop souvent au centre de tout. Il a développé une quête de maîtrise et de domination de la nature dont on voit les dérives et les conséquences aujourd’hui. L’apnée m’a fait intégrer aussi la patience. Dans notre société de divertissement et de précipitation perpétuelle, nous passons à côté de beaucoup de choses. L’apnée m’a fait réintégrer la notion de lenteur. C’est aussi une école de l’économie d’énergie, et du zéro déchet. On part avec rien, une inspiration, et pour durer, on doit faire le moins de gestes possible. J’ai intégré tous ces principes dans ma vie, qui s’articule à présent autour de la simplicité et la décroissance. Je cherche le bonheur dans le dépouillement.
C’est-à-dire ?
On est dans une société qui repose à la fois sur le divertissement partout et sur le profit à court terme. On ne prend plus le temps pour rien, et cela favorise la médiocrité, dans tous les domaines. Il n’y a plus vraiment de quête de progression personnelle et collective. L’obsolescence programmée en est le symbole ! L’architecture est un autre exemple. Il n’y a pas si longtemps, avec moins de moyens techniques, on arrivait à faire de jolies maisons, qui duraient dans le temps et avaient des performances « climatiques » meilleures. Ces dernières décennies, on a fait des passoires thermiques, moches et qui vieillissent mal !
Ce sont tous ces concepts inhérents à l’apnée qui vous ont amené à être sensible à l’environnement ? Ou aviez-vous des prédispositions ?
Mes parents avaient un rapport fort à la nature et en particulier à la montagne. J’ai été sensible très jeune aux grands espaces. En parallèle, je lis beaucoup et je vois bien qu’on est face à une potentielle catastrophe environnementale. De fait, j’essaie de faire ma part et d’aller plus loin dans la protection de l’environnement.
Depuis que vous plongez, constatez-vous des changements, une évolution des fonds marins ?
C’est un sujet complexe, car les changements importants ne sont pas forcément visibles à l’œil nu. Il faut observer une seule zone pendant longtemps pour poser un vrai constat. En revanche, les retours d’expérience des scientifiques, des pêcheurs, des habitants des lieux où je plonge, confirment la dégradation des mers. On peut citer la présence du plastique en Méditerranée ou, plus frappant, les pêcheurs en apnée philippins qui ne trouvent plus un seul poisson. Paradoxalement, c’est dans un autre univers que je constate les plus grands dérèglements : la fonte des glaciers des Alpes où je randonne depuis mon enfance.
C’est pour sensibiliser le public à ces problèmes que vous êtes à présent dans une démarche plus esthétique et moins sportive ?
Je n’ai pas fait ces films et ces photos pour sensibiliser le public au changement climatique. Je ne me positionne pas dans une démarche documentaire. J’ai envie d’offrir un autre regard, montrer la magie des couleurs des fonds marins, amener un imaginaire puissant. Je suis plus animé par une envie de poésie, d’onirisme. Je suis dans une vraie démarche artistique, pour toucher les gens au cœur.
Aujourd’hui, vers quoi souhaitez-vous orienter vos actions ?
Je vais reprendre la compétition pour le prochain championnat du monde (en octobre, à Villefranche), mais sans pression. Ce qui me motive aujourd’hui, c’est tendre vers la liberté et la simplicité, et être cohérent dans ma vie de famille. C’est facile à dire, et je ne veux pas donner de leçons, car je suis passé par une phase de très grande activité où j’étais sollicité partout, et je disais oui à tout. Avoir accepté ces sollicitations me permet aujourd’hui de tendre vers la liberté vers laquelle je veux aller. Mais c’était aussi un piège, car je n’étais plus libre. Cela pose donc la question, complexe, de la transition.
Propos recueillis par Jean-Paul D’Heue
Pour aller plus loin
Guillaume Néry, Franck Seguin, Guillaume Néry. À plein souffle, Glénat, 2019.
Le site internet de Guillaume Néry : www.guillaumenery.fr
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