L’agriculture biologique au Costa Rica, une goutte dans un champ de pesticides

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    Connu pour la beauté de ses paysages et la richesse de sa biodiversité, le Costa Rica est aussi le premier utilisateur de pesticides au monde en milieu agricole. Issu d’une famille paysanne depuis plusieurs générations, Gabriel Carvajal a fait le choix de renouer avec une agriculture respectueuse de la nature et de la santé. Reportage

    « C’est un projet familial, né il y a 4 ans de la volonté de mieux nous nourrir, car notre second fils a été diagnostiqué diabétique, de type 1. Cette annonce fut très difficile, il n’avait que 15 ans. Nous avons alors décidé d’agir ensemble, en changeant notre alimentation », confie Gabriel Carvajal, paysan au Costa Rica. Fier du chemin parcouru pour réaliser leur projet, c’est plein de vigueur et d’entrain que le quinquagénaire fait visiter sa ferme agro-écologique de 2,5 ha au cœur d’un site paradisiaque de la région de Sarapiqui, dans le nord du pays.

    © Emilie Chaix

    Rivières, forêt tropicale, volcan, horizon mouvant entre courbes de nuages et arc-en-ciel géant… le décor de rêve cache pourtant son revers écologique. Si le Costa Rica est réputé pour la richesse de sa biodiversité, ses espaces protégés, avec parcs nationaux et réserves naturelles, qui représentent plus du quart de la superficie du pays, il n’est pas moins, aussi, le premier utilisateur de pesticides en milieu agricole au monde, avec 22,9 kg par hectare cultivée (soit dix fois plus qu’en France).

    Gros exportateur mondial d’ananas, de bananes, de melons et de café notamment, le Costa Rica use et abuse de fongicides et d’insecticides néfastes pour la santé et l’environnement. Dans ce contexte, où les multinationales de l’agrobusiness imposent leur cadence et le marché, l’agriculture biologique peine à se développer. Elle émerge et se renforce toutefois, principalement grâce à des initiatives de producteurs privés et des mouvements citoyens.

    Avant la transition de sa ferme, Gabriel se consacrait à l’élevage et à la culture du maïs, du poivre et de palmiers, en conventionnel. Lorsqu’on lui demande pourquoi il utilisait les méthodes chimiques, il répond : « Par facilité ! C’est le courant dans lequel tout le monde va. C’est une porte dans laquelle on glisse, comme lorsqu’on achète un portable, une chemise, c’est la même chose avec l’agriculture. On utilise les pesticides parce que c’est plus rapide, facile, productif, ça prend moins de temps et ça demande moins de travail. Mais cela détruit les sols et on s’en rendait clairement compte ! »

    Fils et petit fils d’agriculteurs, Gabriel a grandit dans un cadre où l’agriculture familiale lui avait pourtant fait « apprendre dès le plus jeune âge l’art de semer, de tomber amoureux de la terre, des bourgeons, de l’odeur de la pluie, du matin ensoleillé, et surtout des fleurs qui apportent de nouveaux fruits frais et savoureux, qui sont servis sur les tables ». Une belle initiation dont il s’est dérouté pendant des décennies, comme la grande majorité de ses congénères, pour répondre à des contraintes de rentabilité économique, jusqu’à ce que la santé de son fils José vienne redéfinir les priorités.

    Des micro plantations

    « Il a fallu 10 mois pour réaliser le changement dans la ferme. Nous avons tout pensé en amont en famille, avec ma femme Irene et nos quatre fils. Nous avons choisi de réunir tous les produits tropicaux traditionnels locaux de notre région : poivre, bananes, maïs, café, canne à sucre, vanille et de toute sorte de fruits… L’objectif étant non seulement de nous nourrir, mais de créer une série de micro plantations pour la biodiversité et pour les montrer aussi aux touristes dans une démarche d’agro-tourisme. Nous avons également privilégié la fabrication artisanale de certains produits de la ferme comme le café et le chocolat. », explique avec enthousiasme le fermier au verbe alerte et tout sourire. Devant chaque plantation, Gabriel n’hésite pas ainsi à accompagner ses explications pédagogiques, de démonstrations et de dégustations de ses savoureux produits.

    Composts animal et forestier

    La ferme familiale élève aussi quelques animaux domestiques : un cheval, une vache laitière, des cochons, des chèvres, des moutons, des poules, des oies et des dindes. « La présence d’animaux domestiques est très importante, car elle nous permet aussi d’améliorer la qualité du sol. Leurs excréments nous aide à alimenter les lombrics du compost pour enrichir la terre », ajoute le fermier qui nous conduit ensuite dans un abri à composts. Dans cet espace, situé à la lisière d’un bois de 5ha qui longe une abondante rivière sur un 1km de la propriété, Gabriel a mis en place deux types de composts : un compost organique animal et un compost végétal forestier.

    © Emilie Chaix

    « Ici nous avons une connexion totale avec le bois et sa biodiversité. C’est un espace de transition avec la ferme. Notre compost forestier est inspiré d’une technique japonaise simple qui permet un apport organique très riche grâce aux feuilles, aux champignons et aux millions de micro-organismes présents dans la forêt tropicale. Et la présence de la rivière est un plus, car toute la vie vient de l’eau», précise le fermier qui voit le compost comme « un trésor ». Cette terre riche en eau et en engrais volcaniques permet même de planter et de récolter du riz tous les trois mois pour la consommation familiale.

    Malgré ces atouts, le fermier reconnaît que « sans pesticide, c’est une autre réalité, d’autant qu’ici il y a deux caractéristiques particulières : il pleut beaucoup et on a besoin de beaucoup de matières organiques avec la végétation dans le sol. Cela complique parfois les choses pour produire sur ce terrain et nécessite beaucoup plus de travail ».

    Centre de formation

    Pour répondre aux besoins de mains d’œuvre, Gabriel travaille sans relâche avec sa femme, souvent aidés par leurs fils adolescents et jeunes adultes, durant leurs heures de temps libres. Totalement engagé dans ce projet de vie, il s’est dès le début beaucoup investi dans diverses formations pour réussir sa conversion en agriculture biologique. Sa curiosité insatiable en fait même aujourd’hui un référent national, au point que sa petite ferme s’est aussi convertie en centre de formation, en recevant des étudiants nationaux et internationaux, ainsi que des professeurs d’université.

    Mais c’est l’activité touristique qui rapporte la plus de ressource financière à la ferme : l’agro-tourisme génère en moyenne 15 à 20 000 € de revenus par an, « 350 % de plus que les produits de la ferme », souligne le paysan, qui a emprunté à la banque une somme conséquente – dont il ne souhaite pas révéler le montant.

    Si le déclic de sa transition a été motivé par une épreuve familiale, Gabriel reste désormais persuadé que « pour réussir une agriculture biologique, il faut beaucoup de travail et de conviction, car ce n’est pas un commerce mais une passion ! »

    © Emilie Chaix

    Même si une loi d’appui à l’agriculture biologique a été approuvée dès 2007 au Costa Rica, la mise en place sur le terrain a connu une longue inertie. Depuis 2018, un signe positif est venu toutefois du ministère de l’agriculture avec la création d’un département « agriculture biologique » pour accompagner la transition des fermes en proposant un appui technique, des formations et des labels pour valoriser le secteur. Des initiatives qui laissent espérer un changement progressif pour être plus en phase avec l’image écologique du pays. En attendant cette prise de conscience nationale, des agriculteurs comme Gabriel ouvrent la voie d’un chemin vital et urgent.

    Pour en savoir plus

    Site :  http://sarapiquiecoorganico.com/

    Page FB : Finca Ecoorganica Sarapiqui

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