Rendez-vous incontournables de l’été, les festivals de musique réunissent en France plus de sept millions de festivaliers par an. Mais rassembler autant de monde sur une courte durée laisse forcément des traces… Pour réduire leur impact environnemental et sensibiliser au mieux leurs visiteurs, les festivals sont nombreux à prendre un virage écologique jusqu’à devenir de véritables laboratoires d’expérimentation éco-responsables. Tour d’horizon.
Entre les stands et les déambulations des festivaliers, Elise et Nicolas ramassent les détritus au sol, armés d’un sac et d’une pince à déchets. Ils font partis de la “Green Team” de l’édition 2019 du festival We Love Green, qui a réinvesti le Bois de Vincennes (Paris) le 1er et 2 juin 2019. « On est des bénévoles dédiés à la partie développement durable du festival. On ramasse, on trie les déchets et on sensibilise le public et les restaurateurs tout au long de l’événement », explique Nicolas.
Cette “brigade verte”, exclusivement dédiée à la propreté est aujourd’hui presque systématique dans les festivals de musique français, tout comme les gobelets réutilisables devenus le premier symbole d’éco-responsabilité de ces événements festifs. Et ils sont nombreux aujourd’hui à aller plus loin. Vaisselle compostable, toilettes sèches, énergie solaire, restauration durable, transports partagés… Des Eurockéennes aux Vieilles Charrues en passant par les Solidays et le Cabaret Vert, le développement durable est devenu une question centrale que chaque festival tente de s’approprier, à sa manière et à son rythme.
De l’huile alimentaire recyclée pour remplacer le fioul
Cet enjeu environnemental est au cœur de l’identité du festival We Love Green, créé en 2011, qui a accueilli près de 80 000 personnes en 2019. « C’est un gros chantier de construire une ville éphémère de plus de 50 000 personnes mais on était convaincus, dès le départ, qu’il était possible de créer un gros rassemblement festif dans le respect de l’environnement », souligne Marie Sabot, directrice de l’événement. « On s’est inspiré de festivals européens comme le Green Man en Angleterre mais aussi en France comme les Transmusicales de Rennes qui ont adopté une charte environnementale très forte », ajoute-t-elle. En matière d’énergie, le festival se veut à la pointe de l’innovation puisqu’il est alimenté exclusivement par des énergies renouvelables. « On a testé pour la première fois cette année un prototype à hydrogène vert, nos scènes sont également alimentées par de l’énergie solaire et nos groupes électrogènes ne fonctionnent pas au fioul mais à l’huile alimentaire recyclée », détaille Marie Sabot.
Sans être autant avancés sur la question, d’autres festivals plus anciens tentent de maîtriser davantage leur consommation énergétique. Certains comme Rock en Seine au Parc de Saint Cloud (Paris), adoptent progressivement du “tout led” et d’autres, comme les Vieilles Charrues à Carhaix, limitent l’utilisation de groupes électrogènes. « En dehors des scènes, seulement neuf groupes électrogènes sont utilisés, ce qui est peu vu l’échelle du festival qui fait près de 30 hectares », explique Quentin Siberil, en charge du développement durable. « Certains endroits sont même éclairés par un dispositif photovoltaïque, un système qu’il serait encore utopique de généraliser sur toute l’étendue de notre site mais qui propose des solutions ciblées, faisables et qu’on est prêts à développer au mieux. » Nouveauté de l’édition 2019 : tous les espaces de restaurations sont alimentés à 100% par du biogaz.
Des “cendriers vivants” pour lutter contre les mégots
Avec plus de 270 000 festivaliers qui se rendent sur le site des Vieilles Charrues chaque année, le défi est de taille en terme d’impact environnemental notamment sur la question des déchets. « Le festival génère 200 tonnes de déchets, soit l’équivalent en poids de trois Boeing 737 », rappelle Quentin Sibéril. « On arrive aujourd’hui à en recycler 80 tonnes grâce à des moyens techniques conséquents avec 800 conteneurs, 30 bennes et une cinquantaine de boxes pour les biodéchets mais aussi avec une main d’œuvre importante de 700 personnes, impliquées uniquement sur cette partie. » Pas question non plus de gaspiller les ressources avec la mise en place de fontaines à eau et l’installation de 196 toilettes sèches sur le site. «Cela permet non seulement d’économiser 300 mètres cubes d’eau mais de traiter nos matières de compostage qui sont récupérés par un agriculteur local et faire l’objet d’un plan d’épandage sur l’année par la suite.»
Installé depuis 2005 à Charleville-Mézières, le Cabaret Vert, lui, fait figure de pionnier sur ces questions. « Il y a 15 ans, la prise de conscience écologique des festivals était vraiment embryonnaire », se souvient Jean Perrissin, responsable du développement durable. “On a décidé d’inscrire le développement durable dans notre ADN dès le lancement du festival et on peut voir aujourd’hui que cela porte ses fruits. » En effet, sur ce site qui accueille plus de 90 000 personnes par an, plus de 70% des déchets générés par le festival ont été valorisés en 2018 et depuis deux ans, le festival arrive à réduire sa production de déchets de 4% chaque année. Innovation de l’édition 2019 : Des “cendriers vivants” pour lutter contre les mégots de cigarettes. « Ce sont des champignons qui digèrent les mégots inventés par une jeune startupeuse française », explique Jean Perrissin. « Chaque année on teste des nouvelles initiatives, c’est aussi ça le développement durable, s’inscrire dans une logique d’expérimentation pour voir ce qui fonctionne ou pas. »
Vers une restauration saine, locale et durable.
Autre point fort du Cabaret Vert, la restauration. Les produits à base d’OGM et d’huile de palme sont bannis et proviennent à 90% de fournisseurs locaux. « On s’inscrit dans une logique de circuit court avec des prestataires qui viennent tous de moins de 200km du site », explique-t-il. On invite nos restaurateurs à suivre minutieusement nos consignes de tri et à utiliser de la vaisselle compostable.» Même refrain aux stands de restauration de We Love Green, qui impose une charte à tous ses prestataires pour offrir aux festivaliers des produits bio et de saison, issus de la région parisienne. « On choisit nos prestataires en fonction de la traçabilité des produits et on mutualise les camions frigorifiques des restaurateurs pour limiter la consommation énergétique », explique Marie Sabot.
Non loin de là, sur l’Hippodrome de Longchamp dans le Bois de Boulogne (Paris), le festival des Solidays préfère, lui, y aller progressivement sur la restauration pour garder des prix attractifs pour les festivaliers. « On propose de plus en plus de bio mais on ne peut pas se permettre de servir des plats à 15 euros, il faut que l’offre reste accessible pour nos festivaliers qui restent majoritairement très jeunes », défend Alexandrine Mounier, responsable du développement durable.
Pour nourrir sainement ses quelques 210 000 visiteurs chaque année, le festival n’impose pas de cahier des charges strict à ses restaurateurs mais mise sur son label de mieux-manger I Feel Food qui permet aux festivaliers d’identifier, grâce à des vignettes, les stands qui intègrent à leurs menus des plats bios, végétariens, issus du commerce équitable ou du circuit court. « L’idée est de progresser ensemble et de démocratiser une alimentation saine sans l’imposer », poursuit Alexandrine Mounier. « Sachant que nos concessionnaires sont pour la plupart militants, ils s’amusent parfois à faire des panneaux du style “On vend votre Nutella tout pourri mais aussi nos chocolats fait maison et nos propres confiseries” », raconte-t-elle en souriant. Pas question non plus de laisser place au gaspillage alimentaire. Comme aux Solidays, la majorité des festivals, une fois leur événement terminé, redistribuent les invendus des restaurateurs à des associations caritatives à proximité.
Côté buvette, il est monnaie courante pour ces événements de faire appel à des partenaires tels que Heineken ou Kronenbourg, ce qui questionne néanmoins l’éthique du sponsoring par des multinationales pour des festivals se revendiquant “éco-citoyens”. « C’est l’un de nos gros sujets, on y réfléchit beaucoup mais nous faisons appel à des partenaires privés parce que nous recevons de maigres subventions », défend Marie Sabot de We Love Green. « Dans le cas d’Heineken, ils nous fournissent les volumes nécessaires pour nos festivaliers que des brasseries locales ne pourraient pas assurer.»
C’est pourtant le choix du Cabaret Vert, totalement indépendant depuis sa création, qui propose uniquement des bières provenant de brasseries indépendantes de la région. « Cela nous demande une plus grande logistique parce que l’on est obligé de multiplier les fournisseurs pour assurer les volumes et de déployer, en plus, des moyens techniques conséquents » , explique Jean Perrissin. « C’est sûr qu’avec Heineken ou Kronembourg, ils seraient venus avec toutes leurs infrastructures et leur personnel mais on a fait le choix de rester indépendants et de garder nos principes liés à l’économie sociale et solidaire.»
C’est d’ailleurs non pas avec un bracelet cashless que vous pourrez vous désaltérer et manger au Cabaret Vert mais avec le “Bayard”, une monnaie produite par une entreprise locale. « On aurait pu aller vers un système de monnaie dématérialisée mais on a préféré cette monnaie en aluminium réutilisable pour valoriser toujours le savoir faire local tout en gardant du lien humain.»
“Le développement durable ne peut être coupé des valeurs de solidarité »
Aussi engagé et indépendant financièrement, le No Logo Festival, de taille plus humaine, réunit chaque année, 45 000 festivaliers sur le site des Forges de Fraisans (Jura). Et sa démarche écologique se poursuit jusque dans sa boutique. « On propose des goodies faits à partir de pneus recyclés mais aussi des chaises pliantes fabriquées à partir de déchets recyclés », détaille Charlotte Guillot, chargée de communication et du pôle développement durable du festival. Sur la question épineuse du textile, où des vêtements fabriqués en Asie à moindre coût se retrouvent souvent dans les boutiques des festivals, le No Logo a fait le choix de s’engager dans une démarche écoresponsable et solidaire auprès de l’association A-freak-A. « C’est une association qui travaille avec des coopératives implantées dans des zones enclavées du Sénégal et qui nous fournissent des vêtements », explique Charlotte Guillot. « Directement en contact avec eux, nous reversons un pourcentage à ces coopératives pour tout achat, ce qui permet de développer des programmes de développement sur place.» Pour le décor, le festival utilise des palettes de seconde main et loue du mobilier à Emmaüs chaque année. « On leur passe commande et on paye la location. Ils remettent ensuite le tout en vente ce qui permet de créer une économie circulaire intéressante. »
Aux Solidays, la récupération du matériel fait partie intégrante de l’organisation du festival. « On possède un grand hangar dans lequel on peut stocker des décors, des mobiliers, des consignes qui sont préservés et réutilisés d’années en années. C’est économique et écologique et cela permet à nos bénévoles, souvent très jeunes, de voir toute “l’ingénieurie écologique” et de les sensibiliser », explique Alexandrine Mounier. « C’est un biais qui peut leur donner envie de s’engager ensuite à nos côtés et devenir des militants contre le sida, qui reste notre premier objectif.» Solidarité comme maître mot, le festival des Solidays a permis depuis sa création de récolter plus de 25 millions d’euros pour la lutte contre le VIH et donne une visibilité importante à plus d’une centaine d’associations dans son “village des solidarités” implanté sur le site. « Le développement durable ne peut pas se développer s’il est coupé des valeurs de solidarité. C’est du bon sens quand on s’inscrit dans une démarche d’écocitoyenneté.»
Camping 100% énergie renouvelable
Si des efforts réels se multiplient du côté des organisateurs, il reste encore du travail du côté des festivaliers. « Le camping reste quand même l’un des points noirs. Le lundi matin, une fois le festival terminé, on aurait dit une décharge à ciel ouvert », regrette Quentin Sibéril des Vieilles Charrues. «On a lancé un jeu des déchets depuis 2012 pour encourager le tri sélectif avec des cadeaux à la clef. Certains jouent bien le jeu mais ce n’est pas suffisant.»
Dans le camping 100% énergie renouvelable (mâts et chauffe-eau solaire, toilettes sèches, camion à énergies renouvelables) du festival Au Foin de la rue à Saint-Denis-de-Gastines (Mayenne), une centaine de bénévoles appelés “les Michel” s’occupent exclusivement de la propreté du camping, tous unis par le Michel code : « le Michel n’oublie jamais sa mission : avoir un camping ou règne la propreté d’un espace anarchique autogéré dans l’amour ! ». Les bénévoles accueillent ainsi les campeurs dès leur arrivée pour leur distribuer un lot de trois sacs pour faire le tri. Ce qui n’empêche malheureusement pas de retrouver au petit matin, des paquets en tout genre et bandes de papier toilette abandonnés sur le sol.
Une prise de conscience écologique qui semble parfois encore à ses balbutiements à la Fête de l’Humanité, installé tous les ans au parc départemental de la Courneuve (93), où les emballages en tout genre et bouteilles en plastique ensevelissent rapidement les poteaux électriques et les allées. « Chaque année on renforce nos systèmes et consignes de tri mais la grosse difficulté, en plus des festivaliers, est de sensibiliser nos militants qui tiennent des stands avec leurs propres buvettes et restauration », explique Pascal Aubrée, directeur de l’événement. On les incite à travers un guide détaillé à prendre des mesures, comme élire un ambassadeur “Fête durable”, en charge de la propreté du stand et de la sensibilisation du public ou encore d’abandonner le plastique en utilisant nos gobelets réutilisables », ajoute-t-il.
En attendant la loi sur l’interdiction de la vaisselle jetable au 1er janvier 2020, le plus grand rassemblement populaire de France – La Fête de l’Humanité a réunit 800 000 festivaliers en 2018 sur trois jours ! – mise aussi sur son engagement politique pour sensibiliser ses visiteurs. « On organise par exemple pour l’édition 2019, une grande marche contre le réchauffement climatique sur le site pour faire écho aux grèves et marches pour le climat de ces derniers mois », annonce-t-il. « Elle se terminera à notre espace Agora où des conférences et des débats sur la justice sociale et climatique auront lieu ».
Des “Think Tank” qui se retrouvent sur de nombreux festivals aujourd’hui pour donner la parole à des acteurs du changement pour inspirer les festivaliers. « On se rappelle des débuts où les conférences avaient lieu sous un tipi avec 50 personnes », se souvient Marie Sabot de We Love Green. Aujourd’hui on consacre une grosse scène à ces moments d’écoute et de débats. Il y a une réelle demande et on va lancer des podcasts de ces conférences pour en laisser une trace. »
Vers une mobilité douce
Dernier point mais non des moindres, l’impact carbone du transport représente plus de la moitié des émissions de CO2 des festivals. Réseaux de covoiturage, billets de trains attractifs, parkings à vélo…. Les moyens se multiplient pour inciter les festivaliers à payer attention à leur moyen de locomotion. « On se donne l’objectif que 50 % du transport lié à notre événement se fasse en mobilité douce d’ici à 2025 », ambitionne Jean Perrissin du Cabaret Vert où une plateforme de logement chez l’habitant, “Adopte un festivalier” a également été mis en place.
Reste l’empreinte carbone des artistes où la marche de manoeuvre semble limitée. « C’est un peu la schizophrénie de notre métier. Vouloir s’inscrire dans une logique de développement durable tout en faisant venir des têtes d’affiche de l’autre bout de la planète avec leur équipement très lourd dont plusieurs bus et camions », constate Jean Perrissin. Une problématique que We Love Green a essayé de répondre pour la première fois cette année en lançant une plateforme pour la “neutralisation artiste”. « Les artistes sont invités à compenser les émissions carbones liées à leur trajet en investissant dans des projets locaux de restauration de la biodiversité », explique Marie Sabot. Nous verrons en septembre s’ils ont joué le jeu. »
Véritables écosystèmes éphémères, les festivals de musique sont désormais plus conscients de leur impact environnemental. Et malgré un chemin encore semé d’embûches, ils sont de plus en plus nombreux à vouloir allier moments exaltants et respect de la Terre. « C’est l’avenir du monde du spectacle qui va simplement dans le sens de l’Histoire. Être des laboratoires de solutions durables pourraient ensuite inspirés d’autres événements culturels mais aussi êtres repris par des petites ou moyennes communes. », conclut Marie Sabot.
Par Maëlys Vésir et Laura Remoué
Ils font aussi des efforts
Art Sonic à Briouze
Woodstower à Lyon
Pete the Monkey à Saint-Aubin-sur-Mer
Terres du Son près de Tours
Climax Festival à Bordeaux…
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