Festival d’Avignon : « La Beauté sauvera le monde »

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    Comment faire un enfant dans un monde dont on nous prédit l’effondrement ? Voilà l’épineuse question à laquelle la comédienne Barbara Castin s’est attelée dans La Beauté sauvera le monde. Une pièce savamment mise en scène par Pierre Boucard et qui se joue actuellement au festival d’Avignon… Rencontre.

     

    • Qu’est-ce qui vous a poussé à vous emparer de cette question de la maternité à l’heure du dérèglement climatique ?

    Barbara Castin : J’arrive à un âge où la question se pose. Je vais avoir trente ans, je suis en couple depuis longtemps. Quand j’en parle autour de moi, notamment avec ma mère ou des personnes de sa génération, le désir d’enfant suffit à en faire un. Pour ma part, ce désir est présent mais empêché – du moins au moment où j’ai écrit la pièce – par pas mal de problématiques écologiques, la chute de la biodiversité, toutes les prévisions scientifiques et climatiques. C’était difficile d’envisager sereinement de faire naître un enfant dans ce monde-là. J’ai découvert que j’étais loin d’être la seule et qu’il y avait des mouvements No Kids qui revendiquaient le fait de ne pas être parent pour ces mêmes raisons, trop angoissés par l’avenir de notre planète. 

    Pierre Boucard : On était très sensibilisés, je ne dirais pas militants, mais assez actifs sur ces sujets-là : Barbara, beaucoup plus que moi à l’époque, il y a quatre ans lors des premiers jets de la pièce. Je dois vous avouer que lorsque je l’ai lue, ça a presque été une épiphanie. Dans ma démarche écologique, il y a eu un avant et un après. J’ai vu la souffrance et la violence que représente pour une jeune femme ce questionnement-là, c’est presque une sorte d’ablation. Le personnage que joue Barbara, Meth, est une scientifique entomologue, donc la pièce est aussi très documentée sur la chute de la biodiversité. J’ai découvert tout ce domaine là : Le Printemps Silencieux de Carson, les écrits de Foucart, de Bonmatin, tous les scientifiques qui ont travaillé sur ces questions, les mouvements citoyens comme Greenpeace… On lisait d’ailleurs Kaizen et on s’est abonnés à ce moment-là ! 

    • Pendant l’écriture de cette pièce, vous avez échangé avec beaucoup d’autres femmes. Que retirez-vous de ce processus de création, de ces discussions ?

     B.C : Ça a nourri la pièce, et c’était beau de voir la diversité des réponses. Meth a des échanges avec sa famille, ses amis, qui ont forcément été nourris par ceux que j’ai mené dans ma vie personnelle. En général, les jeunes femmes de mon âge restent assez sensibles à ce sujet-là. Ça m’est souvent arrivé d’en parler avec des amis, qu’ils soient parents ou non, et on se comprend. Avant d’avoir mon premier enfant, je me suis pris la tête. Après l’accouchement aussi, parce qu’on se demande si on a bien fait. C’est drôle parce qu’il y a une question un peu générationnelle, je le constate. Quand je parle des femmes qui refusent d’avoir des enfants pour des raisons écologiques, j’entends souvent dire que ce sont des névrosées. 

    P.B : Ce qu’on a découvert, c’est qu’il y a effectivement un fossé générationnel. Il y a chez certaines personnes beaucoup d’incompréhensions. Pour vous donner un exemple très concret, on est sur Avignon depuis quelques jours où l’on distribue des tracts pour la pièce. C’est la première fois qu’une dame nous le refuse en nous disant que c’est trop sensible. Il se trouve que je l’ai recroisée une heure après, et nous avons discuté. Elle nous a dit cette phrase, textuellement : « le réchauffement climatique, l’effondrement, je n’y crois pas ». Ce sont des sujets qui sont structurellement clivants. 

    • Quel est l’objectif de la pièce ? 

    B.C : Quand j’ai commencé à l’écrire, ma première volonté était de secouer mon public (rires). Je parle beaucoup de la chute et de la disparition des pollinisateurs et j’avais envie qu’il y ait une vraie prise de conscience : c’était une démarche ultra militante. Et puis… Je suis comédienne, j’aime les beaux textes. La beauté a une vraie puissance, une puissance créatrice qui peut nous amener – en nous inspirant, en nous insufflant une énergie positive – à construire de nouveaux modèles de société, plus justes, plus respectueux de la planète. Cette première volonté, un peu agressive, s’est polie avec le temps. Je l’ai accordée avec ma vocation première de comédienne : échanger avec le public, le rassembler. J’aime le théâtre parce que c’est une force collective.

    P.B : Quand le geste artistique se déclenche, il y a toujours une première étincelle. C’est dans son ADN même. De ce geste militant très droit, on a ajouté au fur et à mesure de la complexité, des contre-champs, d’autres discours. On fait parler des gens qui doutent, des “réalistes” qui pensent que l’économie doit primer, des gens de différentes générations. Tout ça a apporté d’autres sons de cloche, d’autres visions sur ce que c’est de vivre émotionnellement l’écologie, sans changer l’étincelle première. On parle de liens avec la nature, mais on se trompe si on cherche à couper les liens entre les humains. En étant agressif dans son militantisme, le message ne passe pas. 

    • N’y a-t-il pas une part d’utopie dans le fait de penser que “la beauté sauvera le monde” ?

    B.C : Ça m’intéressait de travailler sur le paradoxe. Sur l’affiche, il y a le titre de notre pièce et une abeille morte juste en dessous. J’aimais le décalage que ça créait. Alors utopique oui, mais seulement si on entend le mot “beau” dans le sens “joli”. Je perçois vraiment le mot “beauté” dans son aspect inspirant et créateur. Il peut être un vrai moteur. Mon engagement en faveur de l’écologie, c’est ça : j’aime la nature, j’aime ses beautés, c’est pour ça que j’ai envie de les préserver. Ça nous rend vivant et nous fait vibrer. Pour moi, l’écologie ce n’est ni punitif ni culpabilisateur, c’est exaltant parce que c’est beau. C’était aussi rappeler ça.

    B : Il y a une utopie, clairement assumée. Et d’ailleurs dans la pièce, Meth le dit : “on me traite d’utopiste”. Le message, c’est d’exprimer que cette beauté là, celle de la nature, on ne la crée pas. C’est de dire qu’il faut justement réapprendre à la regarder.

    • Vous touchez du doigt l’urgence, celle d’agir pour lutter contre le réchauffement climatique. Justement, comment réussissez-vous à faire passer ces messages à travers la mise en scène, et le jeu d’actrice ? 

    P.B : Nous venons plutôt du théâtre privé, qui donne souvent un prisme au divertissement. Pour divertir, on a tendance à policer les messages, à les affadir pour ne pas déprimer les gens. Ce qui m’a plu dans le message de Barbara, c’est qu’il était frappant. Elle mettait son personnage dans une dystopie écologique. La pièce commence dans un monde qui ne va pas peut-être s’effondrer : il est déjà effondré. On a mis en place une scénographie plutôt symboliste, avec un espèce de bloc très déconstruit, beaucoup de matières sèches, de sable, qui donnent ce symbole d’aridité, de terres sur lesquelles plus rien ne pousse. Une bande son fait apparaître une ambiance très peu hospitalière, et on a cette femme, qui arrive avec son landau. Elle traverse ce monde-là, avec son enfant qui pleure. Comme si elle fuyait un pays en guerre. 

    B.C : Toujours dans cette idée de beauté, dans le jeu, je ne voulais pas montrer un personnage sombre, donneur de leçon. Après, elle reste humaine mais je n’avais pas envie de jouer la dystopie et le plombant. Entre le texte et la scénographie, c’est assez clair. C’est une femme qui veut vivre, qui veut que son enfant vive et qui veut lui donner l’espoir, mais tout ce qu’il y a autour l’en empêche. Elle lutte contre ça, et moi, ça m’impacte.

    Meth, la protagoniste, et son enfant. © Violette Graveline
    • Quel rôle le théâtre joue-t-il ici ? Est-ce le lieu d’une expression politique ?

    B.C : Clairement oui, même si c’est parti d’une émotion personnelle. Ça me rend toujours folle quand on me reproche mon angoisse, j’ai encore eu la réflexion récemment avec ma mère. Selon elle, “ne pas avoir d’enfant pour ça, c’est comme ne pas vouloir sortir dehors parce qu’on est hypocondriaque et que l’on a peur d’avoir la peste”… Au départ, la pièce était donc un militantisme émotionnel.

    P.B : Ce n’était pas une volonté première. En tant que metteur en scène, je suis vraiment parti de l’émotion ressentie par cette femme. Elle a été notre outil de travail, notre matériau de travail. On s’est rendu compte que ça avait un impact politique au sens d’activité qui met en mouvement la cité, parce que ça créait des conflits, des clivages. Je vous avoue que c’est quelque chose que nous n’avions pas du tout mesuré initialement, en tout cas pas moi.

    • Selon vous, science et poésie gagneraient à marcher main dans la main. Qu’entendez-vous par là ?

    B.C : Aurélien Barrau (ndlr : astrophysicien et cosmologiste) a sorti un texte où il appelle à une révolution politique et philosophique pour nous aider à relever les défis écologiques. Il parle de “lutte fractale” en disant que face à l’urgence, l’action doit être dans tous les domaines : politique, médiatique, artistique, scientifique. La poésie apporte un contre-regard sur les choses, une forme d’imagination pour construire de nouveaux modèles. La science, elle, nous explique le monde et nous en donne les clés, mais n’appelle pas forcément à inventer du nouveau. C’était aussi dans ma démarche personnelle d’écriture de mettre en avant ces sujets auxquels je suis sensible, parce que je me sentais très démunie. Je ne suis pas scientifique, je lis, je me renseigne mais je n’ai aucune compétence là-dessus. Je m’investis à mon petit niveau, en passant par le théâtre pour diffuser ces messages. J’y trouve une complémentarité.

    P.B : Cet été, la pièce de Barbara va se jouer dans de nombreux festivals qui se sont créés sur l’alliance entre science et art. La beauté sauvera le monde a donc beaucoup intéressé les programmateurs. Là où il y a une complémentarité, c’est que la science apporte un état de fait, elle donne des chiffres. Le théâtre donne les émotions sous ces chiffres. Une fois qu’on a posé tous les éléments factuels et scientifiques sur le réchauffement, la chute de la biodiversité, la destruction du vivant, le théâtre répond à la question : « Qu’est-ce que ça nous fait ?”.

    Propos recueillis par Louise Lucas. 

    Pièce à voir du 7 au 28 juillet 2022 à l’Espace Alya (Avignon).

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