Faire vivre l’esprit de fraternité du 11 janvier

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    Le 11 janvier 2015, une immense vague de solidarité humaine a déferlé en France, en réponse aux actes de terrorisme qui ont visé Charlie Hebdo. Le philosophe et essayiste Patrick Viveret a lancé, aux côtés de dizaines d’autres journalistes, professeurs ou sociologues, l’initiative « Faire vivre l’esprit de fraternité du 11 janvier », qui invite toutes celles et tous ceux qui le désirent à célébrer et à faire revivre la vague de solidarité tous les 11 du mois.

    Un message de liberté dessiné sur la plage de Royan - Faire vivre l'esprit du 11 janvier
    Un message de liberté dessiné sur la plage de Royan

    En réponse au rassemblement du 11 janvier 2015, vous avez lancé l’idée de faire perdurer cet élan de fraternité une fois par mois. Comment voulez-vous y parvenir ?

    Il s’agit de concrétiser cet élan de fraternité tous les 11 du mois. Mais pas obligatoirement sous la forme d’un rassemblement : cela peut être une bougie ou un signe de reconnaissance que l’on porte, telle la symbolique des crayons face aux armes. Nous sommes en train de réfléchir par exemple à un ruban ou un carré de tissu de couleur. Pour celles et ceux qui le peuvent, il s’agirait effectivement de se réunir, soit dans des lieux publics – par exemple à Paris, nous nous retrouverons place de la République –, soit dans des lieux associatifs : partout où celles et ceux qui se sentent concernés par cet engagement choisissent d’exprimer cet esprit de fraternité, y compris – on pourrait même presque dire d’abord – en organisant le débat avec celles et ceux qui ne se sentent pas forcément concernés ou représentés par ces grandes manifestations, je pense en particulier à des temps d’écoute et d’échange avec des jeunes des cités.

    Le rassemblement du 11 janvier a soulevé des vagues de questions – présence de chefs d’État peu soucieux de la liberté de la presse, nécessité ou pas de faire des caricatures, etc. Votre initiative peut-elle intégrer les personnes qui étaient absentes de la manifestation ?

    Je dirais : raison de plus ! On voit bien qu’il y a un vrai risque d’instrumentalisation, mais l’essentiel des personnes qui ont manifesté l’ont fait pour l’ouverture de la tolérance et de la fraternité. Elles ne manifestaient pas pour cautionner les attitudes d’un certain nombre d’acteurs qui étaient présents dans le cortège officiel et qui, eux, sont aux antipodes de ces valeurs-là. Les millions de personnes rassemblées prônaient un refus de l’instrumentalisation et un refus qu’il se passe en France ce qu’il s’est passé aux États-Unis après le 11-Septembre avec le PATRIOT Act et avec la légitimation de la torture, bref, avec tous les éléments de durcissement autoritaire et de logique guerrière qui sont justement aux antipodes de l’esprit de fraternité. Plus ces risques existeront – risque du côté de l’instrumentalisation, mais, plus encore, risque du côté de la dépression, de ce que Wilhelm Reich appelait la « peste émotionnelle », c’est-à-dire toutes les logiques liées au sentiment de repli et de peur –, plus ces risques sont importants, et plus il est nécessaire de maintenir la flamme de cette énergie créative. Cela dit, nous gardons précieusement les photos, les vidéos, les bandes sonores de tous les chefs d’État ou de partis présents ce jour-là afin de nous rappeler le moment venu à leur bon souvenir, chaque fois qu’ils menaceront les libertés, qu’ils aggraveront les inégalités ou qu’ils développeront des logiques guerrières aux antipodes de cet esprit de fraternité qu’ils ont prétendu rallier ce jour-là : à bon entendeur, salut citoyen !

    Il est peut-être tôt pour le dire, mais cette marche du 11 janvier marque-t-elle un tournant vers une société plus fraternelle ?

    On a effectivement passé un cap, mais ce passage est fragile. Il est riche de potentialités créatrices, mais, si on ne le fait pas vivre, il peut très bien rester comme une espèce de souvenir lumineux, qui n’aura pas de véritable suite. C’est un cap à faire vivre et à entretenir ; ce n’est pas quelque chose d’irréversible qui se serait produit, et c’est justement parce que la régression et la dépression sont tout à fait possibles – on peut même dire probables – qu’affirmer cette énergie citoyenne fraternelle est primordial. Et l’affirmer, pas simplement pour la France, mais au niveau mondial. Osons la citoyenneté terrienne comme le proposent les Dialogues en humanité pour leur prochaine rencontre à Lyon début juillet prochain ! Ce germe est fragile et il faut tout faire pour que le grain ne meure pas en terre.

     

    Propos recueillis par Pascal Greboval et Diane Routex


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    3 Commentaires

    1. « l’esprit de fraternité » : nous, nous y voyons plutôt une expression maçonnique…
      et de plus, on aime pas trop le chiffre 11, comme le 11 septembre etc. tu vois ?
      L’esprit FRANÇAIS qui souffle depuis au moins 496 est bien plus ancré dans les coeurs qu’on le croit, et il ne s’agit pas du tout de fraternité (avec des morts ?), mais de compassion, d’empathie pour les familles, etc.
      Bref l’âme française est bien présente, plus que jamais, et difficilement récupérable par un symbole.
      Ils aiment bien çà les symboles dans les loges . . .

    2. Les rassemblements du 11 janvier étaient un recueillement contre la violence contre des journalistes, que beaucoup ont mis dans le camp des »gentils » contre ceux qui (les méchants) s’en prennent à la démocratie, aux libertés. C’est donc un rassemblement dans l’émotion populaire, qui a rassemblé des personnes fortes différentes. Si nous voulons qu’il y ai un après, une célébration de la fraternité, il faut que nous le construisions sans manichéisme, mais en se rappelant que pour un monde plus fraternel, nous devons aussi extirper la zone d’ombre qui est en nous,et qui trop souvent exclut l’autre, nous remettre en cause.
      il y a déjà les cercles de silence, la journée du refus de la misère du 17 octobre, et cela ne fait guère rassembler, alors que leur esprit est fraternel.
      Sachons faire une vraie journée commune sur comment nous transformer à être plus fraternel, et en particulier à ceux qui ne trouvant pas d’idéal de vie dans notre société actuelle se laisse happer pour un appel à une idéologie radicale qui est meurtrière. L’enfer est si souvent peuplé de bonne intentions! Et sachons faire que l’esprit de fraternité du 11 janvier soit aussi vécu tous les autres jours;

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