Face à l’atome, la force des citoyens

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    Sortir du nucléaire civil par la force de la mobilisation, c’est possible : Allemands, Autrichiens, Italiens ou Danois l’ont démontré. Une invitation à s’investir…

    la chaine humaine contre nucléaire pour kaizen

    Plogoff en France, Wyhl en Allemagne, Kaiseraugst et Argoire en Suisse… « Les plus grands succès des anti-nucléaires sont invisibles puisqu’il s’agit de réacteurs non construits », remarque Wolfgang Hertle, figure du militantisme anti-nucléaire allemand.[1]

    Il est bien sûr difficile d’analyser ce qui pèse le plus fortement dans les réorientations des politiques énergétiques : catastrophes nucléaires, force du militantisme, volonté politique ou crise économique ? Toutefois, on note que dans les Etats européens où un engagement concret à sortir du nucléaire a été pris, la protestation au sein de la société civile était dynamique. Ce fut notamment le cas du Danemark, où le programme nucléaire a été arrêté en 1985 après d’importantes manifestations. Celui aussi de l’Autriche qui a vu l’interdiction du nucléaire inscrite dans la loi en 1978 suite aux mobilisations contre la centrale Zwentendorf, jamais utilisée. « Après la catastrophe de Tchernobyl (1986), alors que notre pays avait été très touché par la radioactivité et de peur d’un revirement politique, nous avons milité pour inscrire l’interdiction du nucléaire dans la Constitution [ce qui a été fait en 1999] », rappelle Reinhard Urhrig, membre des Amis de la Terre-Autriche. S’il est vrai que l’Autriche importe une partie de son énergie, que le Danemark a recours, pour remplacer le nucléaire, au fioul et au charbon, en 2011, la part des énergies renouvelables représentait respectivement 70 % et 40 % de la production électrique de l’Autriche et du Danemark.[2]

    Le modèle allemand

    Deux mois après la catastrophe de Fukushima, la chancelière allemande Angela Merkel a annoncé la sortie du nucléaire de son pays, décision approuvée à une large majorité par le Parlement. Aujourd’hui huit centrales allemandes sont arrêtées, les neuf restantes vont l’être d’ici à 2022. « Angela Merkel n’était pas spécialement favorable à une sortie du nucléaire, mais elle a bien dû tenir compte de l’opinion électorale », explique Wolfgang Hertle.

    Contrairement aux idées les plus répandues, la part d’électricité d’origine fossile n’a augmenté que de 1 % dans le mix énergétique allemand, passant de 57 % à 58 %. La France dépend d’ailleurs davantage du pétrole que son voisin germanique  (41 % contre 37 %) !

    Si l’Allemagne mène depuis Tchernobyl une politique de développement des énergies renouvelables, la sortie du nucléaire a quant à elle été organisée en 2000 par un texte législatif qui, en affectant des crédits de production à chaque réacteur, limitait leur durée de vie. En 2010, le gouvernement Merkel mis un coup d’arrêt à ce programme en octroyant des crédits supplémentaires aux compagnies d’électricité. Toutefois, en dépit des prévisions de sortie du nucléaire, le débat n’avait jamais été évacué : les manifestations avaient jalonnée la décennie, la chancelière s’étant elle-même prononcée dès 2006 pour le prolongement de la durée de fonctionnement des centrales. « L’une des clés du succès des actions menées ces dernières années a été la plateforme internet ausgestrahlt, fondée en 2005 et toujours active aujourd’hui », estime Franz Botens, militant allemand venu à Paris pour la chaîne humaine du 9 mars. « Les informations circulaient très rapidement, permettant une organisation réactive et décentralisée de la mobilisation. Rappelons que tout cela s’inscrit dans une longue tradition militante dont le point de ralliement reste Gorleben. »

    Gorleben : petit village de Basse-Saxe et nom mythique évoquant les luttes anti-nucléaires outre-Rhin. Le lieu avait été déterminé en 1977 pour recevoir une usine de retraitement du combustible et un site d’enfouissement de déchets. Rassemblements réguliers, défilés de tracteurs, blocage des trains de transport des déchets, etc. : réunissant paysans locaux et militants de l’extérieur, conservateurs et progressistes, les mobilisations n’ont jamais cessé depuis 1977. Si le projet d’usine a été abandonné, un moratoire sur l’enfouissement court jusqu’à l’automne 2013.

    « Nous verrons alors s’il est nécessaire de relancer la campagne « Gorleben 365 » visant à bloquer l’accès au chantier », explique Wolfgang Hertle pour qui l’une des recettes efficaces du militantisme allemand fut le recours à la non-violence : « Attendant le pire, les forces de l’ordre se retrouvent démunies : la non-violence peut s’avérer plus radicale que la violence. »

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    En souvenir de la catastrophe de Fukushima, des milliers de personnes formaient une chaîne humaine à Paris le 9 mars 2013.

    L’importance des contacts transeuropéens dans la mutualisation des informations et des forces et l’échange de pratiques sont également mis en avant par le militant : « Nous retenons l’exemple de luttes fructueuses qui dans les années 70 ont vu les Suisses, Alsaciens et Allemands du Bade former un front commun contre les projets de centrales, inspirés par l’occupation française du Larzac. »

    Sortie par le référendum : le cas de l’Italie

    Outre l’Allemagne, l’Italie s’est aussi illustrée par une vigilance citoyenne concluante. Le 12 juin 2011, 94,6% des électeurs ont voté contre le projet gouvernemental de relance du programme nucléaire, arrêté à la suite d’un premier référendum en 1987. Dans les deux cas, le vote était à l’initiative de la population. « Lorsque le sujet a été relancé par Silvio Berlusconi, les Italiens n’imaginaient pas qu’il pouvait revenir à l’ordre du jour : même le « Tchernobyl Day » n’existait plus. Manifestations et conférences-débats ont alors été organisées pour sensibiliser la population » explique Fabienne Melmi, militante en Italie et responsable du réseau Global Info Action.

    Si, au regard de la Constitution de la Ve République, les citoyens français ne peuvent actuellement exiger un référendum national, militants, ils peuvent se saisir de leur droit d’initiative citoyenne européenne (rendu possible au sein de l’Union européenne en 2012). Signée par au moins un million de personnes représentant un quart des Etats membres de l’Union, la pétition est alors examinée par la Commission européenne.

    Quoiqu’il en soit, chercheurs et élus insistent sur l’importance de l’occupation permanente et protéiforme du terrain par les citoyens : physique, intellectuelle, symbolique, médiatique, etc. Ce qu’a démontré la lutte de plus de vingt ans pour l’arrêt du réacteur Superphénix dans la centrale iséroise de Creys-Melville. Il a effectivement été arrêté en 1998, suite à l’accession au pouvoir du gouvernement Jospin mêlant socialistes et verts. Présidente du mouvement suisse Contratom, Anne-Cécile Reimann se souvient des origines de cette grande victoire anti-nucléaire : « Alors qu’aucune information sur Superphénix n’était diffusée par les grandes chaines de télévision françaises, en Suisse romande c’était au programme du 20 h, si bien que nous avons contribué à mobiliser les Lyonnais. »

    Des forces vives

    Vecteur d’information et de mobilisation, le groupe des anti-nucléaires actifs se renouvèle actuellement en France et dans les pays alentours. Depuis Fukushima, le nombre d’inscrits à Sortir du nucléaire Paris a triplé tandis que le réseau national engrange régulièrement de nouveaux groupes locaux, français ou de pays limitrophes. Wake-up !, association bruxelloise fondée en 2011 dans un pays peu mobilisé par le sujet, en est un exemple. Son fondateur, Fabian Duquesne, a sa recette pour peser sur les choix énergétiques dans un pays où plus de 55 % de l’électricité est produite par des centrales nucléaires.  « En Belgique, où l’annonce de la sortie du nucléaire n’est pour le moment qu’une déclaration de fait, l’un des moyens les plus pertinents pour modifier la politique énergétique nationale est de taper dans le portefeuille de la compagnie leader sur le marché, Electrabel [filière de GDF Suez] en incitant les consommateurs à souscrire à des fournisseurs s’approvisionnant en énergies renouvelables. » Electrabel a annoncé une perte nette de 200 000 clients pour 2012.

    En 2012, 75 % de la production d’électricité en France était issue du nucléaire, 17% provenaient des énergies renouvelables et 7,5 % du gaz et du charbon. La réduction de la part du nucléaire à 50 % d’ici à 2025 a été inscrite à l’agenda politique suite à l’accord noué entre le Parti socialiste et EELV lors des législatives de 2012.

     

    Par Marie Barral

     

    [1] Wolfgang Hertle est fondateur du centre de formation à la non violence active de Kurve-Wustrow.

    [2] Sources : Observ’ER, l’observatoire des énergies renouvelables (www.energies-renouvelables.org) ; www.connaissancedesenergies.org

     
    Extrait de la rubrique Idée remuante de Kaizen 8.

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