Et si l’on désarmait la police ?

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    Survalorisée dans la représentation et l’identité des policiers, l’arme est-elle vraiment indispensable ? Certains en doutent, y compris dans les rangs de la police…

    « Il y a deux ans, j’ai reçu un coup de fil d’un élu de Villejuif : c’était compliqué entre la police municipale et la population ; ils souhaitaient que l’on vienne les former à la résolution non violente des conflits », raconte François Marchand, membre du conseil d’administration de l’organisation Nonviolent Peaceforce. Les élus ont par ailleurs décidé de désarmer partiellement leurs policiers municipaux, en enlevant les lanceurs de balles de défense (LBD) et les tasers. Ils n’ont gardé que leur arme de poing. « Pour s’en défaire, il faudrait imaginer des formations très longues, qui permettent de prendre conscience de la façon dont on entre en contact avec les gens, précise François Marchand. Cela ne peut pas se faire du jour au lendemain. »

    « Le fait d’avoir une arme, cela fait partie du costume que l’on veut donner à la police, pense Benoît [prénom d’emprunt], agent de police depuis plusieurs année. Certains se sont engagés pour cela, pour avoir une arme. » Thierry Tintoni, policier à la retraite et membre de l’union syndicale Solidaire, partage son point de vue : « La police est un monde très viriliste et l’arme fait partie de cette image virile. Malheureusement, cette survalorisation de l’arme est un problème qui s’aggrave. Les policiers ont désormais le droit de garder leurs armes hors service. Cela ne présente pourtant pas grand intérêt : il est quand même rare que l’on arrête des malfrats par hasard alors que l’on va au ciné un jour de repos… »

    Sans arme dans des zones dangereuses ?

    « À Villejuif, il y a un manque de contact entre la police et la population, reprend François Marchand. La confiance exige de prendre le temps de se connaître. C’est la vieille idée de la police de proximité dont le principe était bon [elle a été supprimée par Nicolas Sarkozy, N.D.L.R.]. » « Pour faire un travail de contact avec la population, il n’y a pas besoin d’être armé, ajoute Thierry Tintoni. Il faut assurer de la présence, avoir des effectifs, arrêter de considérer les policiers en fonction du nombre d’amendes ou d’interpellations auxquelles ils procèdent. »

    L’ancien policier, qui n’a jamais sorti son arme de sa carrière, prône une police débarrassée de la politique du chiffre instaurée par Nicolas Sarkozy en 2007 et jamais dénoncée depuis, qui nuit aux relations entre la police et la population. « Avoir une partie des forces de police non armée changerait la perception de la police », veut croire François Marchand. « Vu mon travail, à savoir dialoguer avec les personnes qui organisent des manifs, c’est tout à fait entendable pour moi d’être désarmé – et de fait, je le suis, reprend Benoît. Je pense que c’est moins évident pour les collègues qui entrent dans des zones tendues. »

    « Nous avons de l’expérience en matière d’intervention civile non violente dans des zones extrêmement dangereuses, répond François Marchand. En ce moment, nous avons du monde au Sud-Soudan, au Kurdistan irakien, sur l’île de Mindanao aux Philippines, etc. Nous avons commencé dans les années 1980 au Guatemala. Nous n’avons jamais eu de mort à déplorer. Pas une seule fois. Il est même arrivé que des Casques bleus nous demandent de les accompagner dans des endroits où eux-mêmes n’osaient pas aller avec leurs armes. Le fait que l’on se présente complètement désarmés, et que c’est connu, est très important. Cela change complètement la relation. Cela implique un travail sur le long terme. Quand on s’installe, on le fait pour plusieurs années. »

    Vers une reprise en main citoyenne de la sécurité

    « La sécurité est un problème important, qui ne se résume pas à la question de la présence policière et de la possession d’une arme, ajoute François Marchand. Tout le monde devrait se sentir concerné, et être acteur de la sécurité. Je ne parle évidemment pas des systèmes d’autodéfense armée. » Le collectif Désarmons-les, qui milite depuis 2012 aux côtés des personnes blessées et mutilées par la police1, partage ce point de vue. « Notre projet, c’est une société sans police », explique Ian, qui n’imagine pas pour autant de droit à l’autodéfense armée, comme c’est le cas dans certains endroits des États-Unis par exemple. « On pense plutôt à une société d’autogestion, où la sécurité serait prise en charge de façon très locale, très territorialisée, au moins pour les délits. Quand il y a un problème, on appelle plutôt les services sociaux ou des personnels de santé. S’il y a un conflit, on essaie de le désamorcer en trouvant des alliés. Ces modes d’action exigent de refaire communauté, et que chacun, chacune reprenne en main la question de la sécurité quotidienne pour pouvoir intervenir avant que les choses ne dégénèrent. »

    Cette gestion autonome, et sans arme, des questions de sécurité est au cœur du programme « Defund the police », développé aux États-Unis après la mort de Georges Floyd en mai 2020, suite à son interpellation par des policiers. Le projet, c’est d’arrêter de financer les programmes de la police chargée de protéger les écoles. « À la place, ils ont embauché des vigiles formés par les Nonviolent Peaceforce, explique François Marchand. On peut aussi citer le cas de la protection des communautés asiatiques à New York [victimes de violences racistes, N.D.L.R.] par les équipes de Nonviolent Peaceforce. Ils font des rondes, et accompagnent les personnes menacées. Ils servent à ramener le calme. » Mais leur mission ne se résume pas à cette présence protectrice. « Ils sont très actifs par ailleurs, insiste François Marchand. Ils prennent le temps d’entrer en contact avec toutes les parties prenantes et font de l’analyse de conflit au moins toutes les semaines. Des policiers non armés devraient évidemment procéder à de telles analyses. Mais certains le font déjà. Donc il y a cette compétence qui pourrait être développée. »

    « Avant d’imaginer des policiers sans arme de poing, comme c’est le cas pour 90 % de nos collègues anglais, il faudrait supprimer les LBD2, tasers et grenades de désencerclement, c’est évident, Il devrait donc être possible de s’en passer sans trop de difficultés. » Pour Ian, du collectif Désarmons-les, il faudrait « a minima un retour au statut des années 1990, avant l’arrivée du flash-ball. Ce serait un premier palier raisonnable à défendre. Et il est hors de question pour nous de choisir des territoires ou des catégories de population – les gens des quartiers populaires – pour lesquels il y aurait des usages du LBD tandis que d’autres seraient préservés – ceux qui manifestent. Nous militons pour son abolition partout et pour tout le monde. »

    1. Selon le décompte de Désarmons-les, entre 1971 et 2020, une centaine de personnes 47 personnes ont été mutilées par la police (dont la moitié avant 2018). Près de 700 personnes sont mortes à la suite d’interventions des forces de l’ordre.
    2. Les LBD tirent des munitions à « létalité réduite » et doivent servir à neutraliser sans tuer, mais peuvent s’avérer dangereuses à courte distance.

    Pour aller plus loin


    Cet article est issu de notre K61, dont le dossier est consacré aux alternatives répressives dans la police, disponible sur notre boutique en ligne.

     


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