Antonella Verdiani est chercheuse dans le domaine de l’éducation depuis près de 25 ans. Spécialiste de programme dans le secteur de l’éducation à l’UNESCO entre 1987 et 2006, elle choisit de quitter l’institution pour se consacrer à son doctorat sur l’éducation intégrale à Auroville (Inde) et à ses formations. Elle est l’initiatrice du « Printemps de l’Éducation ».
Cyril Dion : Pour vous, à quoi sert l’école ?
Antonella Verdiani : (Rire) Je n’ai jamais avoué cela, mais je pense en réalité que l’école n’est pas nécessaire. Et plus j’avance dans mes recherches, plus ce sentiment se confirme. Ce qui est nécessaire, c’est l’aspect de socialisation qu’offre l’école et d’avoir des temps d’échange, de partage des connaissances. Mais il existe énormément de solutions pour cela !
En quoi l’école ne remplit-elle pas sa mission aujourd’hui ?
L’école républicaine, surtout en France, a eu un grand rôle d’intégration dans la société et a eu le mérite d’accueillir les classes les plus défavorisées, de transmettre des valeurs très fortes comme l’égalité, la fraternité. C’est indiscutable. Ce qui m’amène à dire que l’école, dans sa forme actuelle, ne remplit pas sa mission est qu’elle a pour objectif de reproduire le modèle de société qui l’a elle-même créée. Un modèle fondé sur la compétition, la fabrique du succès, la réussite à tout prix… Or nous voyons aujourd’hui que ce modèle ne fonctionne plus, il faut le réinventer. Pour cela il est donc indispensable de réinventer l’école.
Mais elle fonctionne tout de même pour transmettre un bon nombre de connaissances…
Disons que pour la transmission des connaissances intellectuelles, cela fonctionne pour les personnes qui choisissent ce type de modèle éducatif, qui le désirent et qui s’y adaptent bien. Pour autant, de nombreuses expériences montrent que des enfants apprennent très bien (y compris à lire, écrire ou compter) en dehors de l’école et parfois même plus vite. Mais l’école n’est pas équipée pour transmettre d’autres types de savoir et particulièrement le « savoir-être ». C’est d’ailleurs dans cette direction que se dirigent la plupart des écoles alternatives : concilier savoir intellectuel et savoir-être.
Qu’entendez-vous par savoir-être ?
La reconnaissance de soi, apprendre à s’exprimer avec ses propres mots, à exprimer ses émotions, à découvrir sa richesse intérieure, ses talents, à coopérer avec les autres… Or ces qualités sont fondamentales pour construire la société de demain.
Alors, a-t-on encore besoin d’école ? Et si oui, de quelle école ?
Je crois que nous avons besoin d’avoir la liberté de choisir notre propre école. Au sens large du terme. Le moyen par lequel nous allons acquérir des savoirs et des connaissances. Et que nous allons vers cela. L’école d’État doit rester et constituer une possibilité, mais d’autres choix doivent être envisageables. Pour cela, il faut renforcer la validation des connaissances, la valorisation des compétences à tout âge et à tous niveaux. Et que l’on ne soit pas pénalisé si l’on n’a pas suivi la filière classique.
En d’autres termes, il faut que nous redevenions créatifs dans nos moyens éducatifs et que nous ne nous reposions pas uniquement sur l’école…
Exactement. Il faut réfléchir sous l’angle de communautés éducatives, de modèle systémique. Ce qui se fait beaucoup dans les pays anglo-saxons et qui fait la réussite du modèle Finlandais. L’implication des parents est très importante. Et cela devient un processus éducatif pour eux aussi ! Dans des endroits comme Auroville (célèbre écovillage indien) que je connais bien, la notion d’éducation et de travail est très différente. On y considère que le loisir est aussi important que le travail et que l’éducation se fait toute la journée, dans l’ensemble de la société, quelles que soient les activités pratiquées. C’est un changement de posture intérieur avant d’être un changement de structure. Il faut avoir le courage de changer nous-mêmes.
Et dans l’Éducation nationale ? Que se passe-t-il ?
Nous sommes dans un moment de passage où les choses bougent beaucoup. Dans mes stages, je vois énormément d’enseignants qui cherchent de nouvelles façons d’interagir avec leurs élèves. Une fois la porte de la classe fermée ils innovent, ils changent. Mais ils ont peur de la hiérarchie et cette peur est un des premiers obstacles à lever.
Si vous deviez proposer une mesure dans toutes les écoles…
Le plus important est que les enfants puissent choisir immédiatement leur « plan d’étude », leur plan d’activité. Avoir un libre choix des matières et des sujets qu’ils vont étudier. Car c’est à partir de ce qu’ils aiment faire qu’ils pourront développer des intérêts et des aptitudes, y compris pour ce qu’ils aiment moins. Pour moi, c’est ça, le moteur.
À lire : Ces écoles qui rendent nos enfants heureux, éditions Actes Sud / Colibris, collection Domaine du possible.
Retrouvez l’intégralité du dossier sur l’éducation et l’école dans Kaizen 3.
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