Ce 17 juin, à Montoir-de-Bretagne, près de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique), plusieurs associations, collectifs citoyens et syndicats ont répondu à l’appel passé en avril dernier, en plein confinement, par la ZAD de Notre-Dame-des-Landes à agir contre la « ré-intoxication du monde ». Dans le viseur des zadistes, riverains et militants d’Extinction Rebellion, Solidaires ou Attac : Yara International, premier distributeur mondial d’engrais chimiques.
Sur la grande route qui traverse le site industriel de Cargill, Total et Yara, à Montoir-de-Bretagne, en Loire-Atlantique, deux passantes cheminent sous la pluie, en direction de la zone portuaire : « On vient de Nantes pour soutenir la manifestation contre Yara ! », explique l’une d’elles. Aux côtés de riverains, d’habitants de la Zone à défendre de Notre-Dame-des-Landes et de militants locaux, elles sont venues remettre à Yara International le Prix Pinocchio 2020. Décerné en février par la Confédération paysanne et Les Amis de la Terre, ce prix de la « pire entreprise de l’agrobusiness en matière d’écoblanchiement » (greenwashing) montre du doigt la multinationale norvégienne, premier distributeur mondial d’engrais chimiques : « Yara est le symbole par excellence de l’agriculture industrielle intensive, qui répond aux exigences du capital et de la rentabilité », explique Mathilde Peyrache, porte parole pour Solidaires 44.
Implantée en bord de Loire, sur un site classé Seveso seuil haut (sur lequel la concentration de matière dangereuses est particulièrement élevée), Yara était l’une des soixantaines de zones toxiques visées par l’ « Appel du 17 juin ». Partout sur le territoire national, environ deux-cent collectifs et organisations – dont Extinction Rebellion, Attac, Alternatiba ou Solidaires – ont répondu à cet appel lancé courant avril, en plein confinement, par les habitants de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes : « Nous avons aperçu pour la première fois dans nos existences ce qui serait encore possible si la machine infernale s’arrêtait enfin, in extremis. Nous devons maintenant agir concrètement pour qu’elle ne se relance pas ». Donner corps aux prises de consciences révélées par le confinement, c’est tout l’objectif de cette initiative, coconstruite avec des collectifs de gilets jaunes, des syndicats et diverses associations locales et nationales : « On a lancé un appel très ouvert, invitant des populations locales, de villes et de campagnes à réfléchir à ce qui devrait s’arrêter autour de chez eux », se remémore Benoît, habitant de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes.
« Yara détruit tout sur son passage »
De l’ammoniaque qu’elle rejette dans l’atmosphère à l’azote et au phosphore qu’elle déverse dans la Loire, en Loire-Atlantique, Yara dépasse largement les taux limites de rejets qui lui sont imposés [1]. En octobre 2019, après plusieurs précédentes mises en demeure par la préfecture depuis 2011 et l’ouverture d’une enquête en mai 2018 par le parquet de Saint-Nazaire, la multinationale se voit assigner deux nouveaux arrêtés de mises en demeure : une première sur le risque industriel que présente son site, et une deuxième sur la gestion de ses rejets nocifs dans les eaux du fleuve. Mais une nouvelle inspection menée en mars dernier par la Direction de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) dévoile que l’entreprise n’a rien mis en place pour limiter efficacement ces rejets toxiques : « Ils se fichent des potentielles sanctions à leur encontre, car ils ont les moyens de payer les amendes, s’indigne Mathilde Peyrache, ces sanctions ne sont que des effets d’annonce de la part du gouvernement pour faire plaisir et calmer les locaux. »
Car Yara International est également accusée par l’ONG Corporate Europe Observatory de faire du lobbying auprès de l’Union Européenne pour maintenir son activité : « Yara est l’une des grandes firmes qui répand le chaos climatique et social sur l’ensemble de la planète », confirme Camille, qui porte fièrement son tee-shirt de militante StopCarnet [2] : « Nos États travaillent main dans la main avec ces firmes et saccagent notre avenir. » Selon elle, l’action locale et simultanée que permet l’ « Appel du 17 juin » est une véritable force : « Cette journée est fabuleuse car on agit partout sur le territoire pour lutter contre ce qu’on considère participer à la ré-intoxication du monde. »
De la cartographie à la convergence des luttes
Si cette journée du 17 juin a été l’occasion de cartographier les problèmes sur le territoire national pour redonner vie aux différentes luttes après le confinement, il ne s’agit que de la première étape d’un long combat : « L’action d’aujourd’hui servait à montrer à ces multinationales qu’on est là, que l’invisibilité à laquelle elles tiennent est tombée et qu’on reviendra avec, on l’espère, les salariés de l’entreprise à nos côtés », assène Mathilde Peyrache. Selon elle, cette transition écologique doit se faire « avec », et non « contre » les employés des entreprises visées : « Notre but est de faire en sorte que l’industrie change et puisse offrir à ces personnes des postes pour des tâches qui permettent une production moins polluante », rappelle-t-elle.
Dans les prochaines semaines, il s’agira pour les différents groupes qui ont répondu à l’appel, de se rencontrer pour débattre de la ligne à suivre : « Cela permettra de savoir comment continuer le mouvement, d’appuyer les différentes actions et d’obtenir des victoires concrètes », planifie Benoît. Une convergence qui, selon Camille, est essentielle pour poser des barrières communes : « Face à la politique du “diviser pour mieux régner” des États et des gouvernements, nous, on préfère l’arme de la solidarité », sourit-elle.
Par Clara Jaeger
[1] Selon les chiffres de la DREAL, rapportés par Ouest-France le 20/11/19, 61,4% des prélèvements journaliers d’eaux pluviales effectués entre janvier et août 2019 dépassaient le taux d’azote autorisé et 27,7% avaient des taux de phosphore trop élevés. 12,3% des prélèvements de rejets d’eau issus de la fabrication d’engrais dépassaient le seuil d’azote autorisé, et 6% pour le phosphore.
[2] : Le Carnet, zone naturelle de 395 hectares située en rive sud de la Loire, est l’un des douze sites « clés en main », promis par le gouvernement pour l’établissement de projets industriels.
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