En Charente, des habitants se mobilisent pour restaurer les mares

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    Elles parsèment nos communes rurales et recèlent des trésors cachés d’une riche biodiversité. Pourtant, de nombreuses mares, zones humides essentielles pour le vivant, ont été laissées à l’abandon, voire détruites au profit de l’urbanisation. A Pressignac, en Charente, des habitants se sont mobilisés pour restaurer ce patrimoine historique et naturel de la commune. Reportage.

    Sur la petite place centrale de Pressignac, bourg de 398 âmes en lisière de la Charente et du Limousin, Jacqueline Badets arrive les bras encombrés de trois épais classeurs. Sur ces milliers de feuilles, cette ancienne conseillère municipale, emmitouflée dans une doudoune noire, a conservé précieusement photos et documents de la restauration des mares de la commune, qui s’est déroulée de 2015 à 2018. « Dans le cadre de l’élaboration du Plan Local de l’Urbanisme Intercommunal (PLUI), nous recevions beaucoup de courriers de la région [Nouvelle-Aquitaine] pour entreprendre des mesures en faveur de l’environnement. J’ai alors pensé au chapelet de mares qui parsèment notre territoire et qui étaient en mauvais état », se remémore la retraitée à la voix douce et légèrement enrouée. Très vite, l’élue a souhaité s’entourer d’« un citoyen hors pair » de Pressignac et familier du sujet, Yann Saugeras, ancien éleveur de brebis.

    « 95% des mares étaient en train de mourir, précise ce « grand amoureux des zones humides » qui a identifié 262 mares de 1m2 à 1000m2 sur la commune. On dit qu’une mare atterrit, c’est-à-dire qu’elle se met au même niveau que la terre. La végétation, avec les ronces et les saules, l’envahit, il y a de moins en moins de lumière et plus assez d’eau, donc la mare meurt. »

    « Ecosystème humain »

    Le feu vert a été accordé par le conseil municipal en 2015, et quinze mares publiques ont pu bénéficier des financements de l’Agence de l’eau Loire Bretagne et de la municipalité[1] pour être réhabilitées par des ebtreprises. Fort de ce succès, Jacqueline Badets ne s’est pas arrêtée en si bon chemin. Avec Yann Saugeras, l’élue a décidé de mobiliser les habitant.es de Pressignac pour restaurer les mares privées. « On les a débauchés individuellement, se souvient la retraitée. Et cela a porté ses fruits : on a été submergés de monde. » Pendant deux ans et demi, les samedis après-midi d’hiver essentiellement[2], un petit groupe se retrouvait pour retirer les feuilles mortes, les ronces, les saules et la vase (le curage) des mares de la commune.

    Yann Saugeras a identifié en tout 262 mares sur la commune, dont des mares d’abreuvement, des prairiales, des lavoirs, des cressonnières, des chanvrières, etc. ©André Berland

    « On y allait par tous les temps ! », se félicite l’ancienne conseillère aux lunettes rondes, avant d’ajouter : On finissait par un petit goûter en fin de journée pour se réchauffer et partager un bon moment. » Pour Yann Saugeras, c’était un véritable « écosystème humain » composé de personnes aux profils variés : des initiés et des moins initiés, des jeunes et des aînés. Debout à côté de « [sa] frangine des mares », comme il l’aime à la nommer, l’ancien éleveur scrute les photos prises lors des chantiers participatifs et tente de reconnaître des visages, qui esquissent bien souvent un sourire. « Ça a créé une vraie dynamique locale », se réjouit Jacqueline Badets, « impressionnée par les compétences des habitants de [nos] petits bleds ».

    Au total, 80 mares ont été restaurées au cours de 26 chantiers. Sans compter les réhabilitations effectuées par Yann et des amis. « On a aussi reçu le soutien technique du Conservatoire des réserves naturelles de la Nouvelle Aquitaine, du Syndicat mixte de rivières Vienne Gorre, et de la Direction départementale des Territoires (DDT) », insiste Jacqueline Badets, qui a par exemple appris qu’il ne fallait pas « toucher pendant quatre ans à une mare » après sa restauration.

    Des espaces peu considérés mais essentiels

    Le plus difficile dans ce projet selon Jacqueline Badet ? Convaincre en amont les élus de l’utilité de ces restaurations. « ‘Ca ne sert à rien’, ‘On va dépenser un pognon de dingue’, me répondaient-ils. » Yann Saugeras, qui a effectué un grand démarchage auprès des propriétaires privés de mares, a essuyé également quelques moqueries. Des « résistances locales » qui peuvent faire écho à la faible considération des mares et des milieux humides plus largement, ancrée depuis quelques décennies.

    Longtemps assimilés à des espaces insalubres, les tourbières, les marais, les lagunes ont largement disparu au profit de l’urbanisation ou de l’agriculture extensive. « On considère qu’entre 60% et 75% de ces milieux ont disparu en France, avec une accélération au cours du XXe siècle », déplore Armel Dausse, coordinatrice du Réseau sur la restauration des zones humides de Bretagne (RERZH), du Forum des Marais Atlantiques[3].

    Pourtant, ces milieux, dont font partie les mares, sont essentiels pour répondre aux crises actuelles du climat et de l’eau. Les zones humides sont notamment de véritables puits de carbone, occupent le rôle d’« éponges », en soutenant les étiages des cours d’eau pendant l’été, et constituent enfin de véritables réservoirs de biodiversité. « Tous les amphibiens ont besoin des milieux humides pour établir leur cycle de vie, 30% d’espèces végétales remarquables et menacées y vivent, et 50% des oiseaux y passent pour se reproduire », informe Pierre Caessteker, chargé de mission des milieux humides à l’Office français de la Biodiversité, qui aime à rappeler qu’il s’agit de « solutions fondées sur la nature » pour lutter contre le changement climatique.

    En 1986, la France a signé la Convention de Ramsar, un traité dont l’objectif est la conservation des zones humides. Et depuis la loi sur l’eau de 1992, ces espaces sont reconnus et considérés d’intérêt général dans le Code de l’environnement. Mais pour Pierre Caessteker, on néglige encore souvent le rôle des petites zones humides au profit des grandes vallées alluviales par exemple : « Une myriade de zones humides possède autant, voire plus, de capacités qu’une grande zone humide. Ce n’est pas la taille qui définit l’importance de ces milieux. »

    Changer le regard sur les mares

    Chaussé de ses bottes en caoutchouc, Yann Saugeras nous fait faire le tour du lac de la Chauffie pour nous mener à une des mares communales restaurées. De temps en temps, le retraité s’arrête et nous montre avec fierté des « pupitres », qui émaillent le chemin jusqu’à la mare. Ce sont des panneaux pédagogiques qui présentent la biodiversité environnante, installés suite à la restauration, pour informer et sensibiliser les promeneurs. Car ces réhabilitations ont aussi été l’occasion pour les habitants de (re)découvrir les trésors naturels de ces espaces. Comme le sonneur à ventre jaune, l’alyte accoucheur, deux espèces de crapauds menacées, et les petites grenouilles rousses. « L’été, on ne s’entend plus ici avec les ‘croa-croa’ », s’amuse Yann Saugeras, posté devant la mare de la Chauffie.

    En ce mois d’avril, pas de fond sonore mais quelques indices blanchâtres demeurent à la surface de l’eau. « Ce sont des résidus de ponte de grenouilles, s’enthousiasme l’homme originaire du Plateau des Millevaches, où il participe à la réhabilitation de tourbières. On a observé une grande réponse environnementale en termes de biodiversité à la suite de la restauration. On est passé par exemple de 22 espèces d’odonates – catégorie d’insectes qui comprend les libellules – à 46. », précise-t-il en s’appuyant sur le dernier inventaire de Mares et Nature, association créée suite à la restauration. Jean-Baptiste Couturier et Damien Charneau ont participé activement aux chantiers de restauration, et ont souhaité « prendre le relais » pour sensibiliser à la préservation de ces riches milieux. Ces « naturalistes dans l’âme » organisent des sorties nature avec les habitants, et ont constitué un atlas communal pour répertorier les diverses espèces présentes.

    La mare de la Chauffie comprend une riche biodiversité selon Yann Saugeras car elle est située à proximité d’une autre zone humide très florifère l’été, où les insectes viennent butiner. ©Alicia Blancher

    Depuis la restauration, les mares communales sont entretenues par des cantonniers. « Pour les mares privées, c’est un peu au bon vouloir du propriétaire, regrette Yann Saugeras. Certains particuliers se sont motivés, mais d’autres, ayant pris de l’âge, ne sont plus vraiment en capacité de le faire. » Pour l’ancien éleveur de brebis, le projet a au moins eu le mérite de sensibiliser les agriculteurs, dont plusieurs se sont engagés dans une démarche financée par l’Agence de l’Eau Loire-Bretagne pour mettre en défense les mares et éviter que leurs troupeaux dégradent ces milieux. Des communes voisines, voire plus éloignées, se sont aussi intéressées au projet, souhaitant s’en inspirer. Jacqueline Badets, qui n’hésite pas à prêter ses épais classeurs à qui le veut, ne cache pas sa fierté : « On a contribué à notre échelle à changer un peu le regard sur les mares, des habitants mais aussi des élus. »

    [1] Les Agences de l’eau aident, notamment financièrement, les collectivités territoriales à protéger les zones humides. La gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations (GEMAPI) est confiée aux communes, voire aux intercommunalités, depuis 2014.

    [2] Les restaurations ne pouvaient pas être effectuées après le 28 février, pour ne pas intervenir pendant les périodes de reproduction des batraciens et des amphibiens, en conformité avec la Loi sur l’eau et le smilieux aquatiques (LEMA) de 2006.

    [3]Le Forum des marais atlantiques, en tant que syndicat mixte et pôle-relais zones humides, apporte un appui aux collectivités pour la connaissance, la gestion, la protection et la restauration des milieux humides.

    Découvrez notre dossier sur l’eau et les moyens de sa préservation dans notre prochain numéro, le K68, bientôt disponible en prévente sur notre site internet et en kiosque dès le 28 juin.


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