Emilie Kovacs : le journalisme d’impact
    pour passer à l’acte ?

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    Journalisme d’impact, journalisme de solutions ou encore journalisme constructif… Autant de noms pour désigner les médias qui s’inspirent des problèmes du monde pour rechercher des solutions innovantes et viables, pour l’environnement et la société. Encore méconnue, cette presse cherche à susciter l’engagement du lecteur en lui montrant ce qui marche, plutôt qu’en se focalisant uniquement sur ce qui ne fonctionne pas. Pour Emilie Kovacs, auteure de Journalisme de solutions ou la révolution de l’information, cette nouvelle façon de concevoir l’information réinvente le lien entre lecteurs et journalistes.

     

    Comment avez-vous « rencontré » le journalisme d’impact ?

    Emilie Kovacs : En 2016, je lançais mon média, Ekopo, spécialisé dans l’économie positive. Je voulais l’axer sur les solutions inspirantes. Mais comme tout entrepreneur, je doutais beaucoup quant au fond et à la forme de mon projet : je craignais d’être critiquée sur l’aspect positif. Finalement, c’est l’un de mes proches qui m’a parlé du journalisme d’impact, je ne savais même pas que cela existait ! Je me suis dit : « C’est génial, ça correspond exactement à ce que je veux faire, et surtout, je ne suis pas seule ! » En voulant me renseigner, je suis tombée sur des ouvrages internationaux, mais en France, aucun bouquin n’existait sur le journalisme d’impact. Alors j’ai retracé son histoire, le contexte dans lequel il est apparu, les entités qui le portent en France et dans le monde, la définition que les gens lui donnent un peu partout… Finalement, j’en ai fait un livre, au moins pour crédibiliser cette presse-là.

     

    Effectivement, la presse traditionnelle se focalise majoritairement sur les catastrophes, les trains en retard plutôt que ceux qui arrivent à l’heure…

    Les grands titres de presse ont toujours appris à « porter la plume dans la plaie », selon la maxime d’Albert Londres 1. Dans ce milieu, dénoncer est perçu comme noble. J’ai moi-même fait une école de journalisme et j’ai été biberonnée à ça. Mais je ne suis pas d’accord, notre métier se réinvente ! Internet a révolutionné notre rapport à l’information et notre façon d’en consommer : nous ne voulons plus simplement la subir, les gens ont envie de s’engager davantage, de se responsabiliser, de devenir acteur de leur société… Finalement, l’arrivée du journalisme d’impact paraît très logique : trouver des solutions est avant tout utile, constructif. J’ai rencontré quelques grands journalistes qui m’ont dit que ça n’était pas notre rôle de chercher des solutions, qu’il fallait seulement s’en tenir au problème. Mais pour moi, c’est génial de faire ce métier de cette façon. Si on peut aller plus loin dans le progrès de notre société, si les médias peuvent s’y engager, pourquoi ne pas le faire ?

     

    En choisissant de partir des problèmes de notre société pour envisager leurs solutions, ne risque-t-on pas de tomber dans un journalisme superficiel, de bonnes nouvelles ?

    Il ne faut pas confondre le fait de donner des bonnes nouvelles, pour diffuser de la bonne humeur, avec le journalisme constructif, qui donne des solutions pour améliorer nos sociétés, ou au moins la vie d’un grand nombre de personnes. Cela peut devenir du journalisme « bisounours », édulcoré, si ça n’est pas bien fait, si l’on accentue les bonnes nouvelles, si l’on transforme l’information en marketing ou en communication. Mais si c’est fait correctement, il n’y a aucune raison pour que ça passe pour quelque chose de trop enthousiaste, c’est juste du concret ; on est là pour rendre compte de faits qui marchent et qui peuvent potentiellement inspirer d’autres gens et transformer les choses, la réalité. L’enquête et le reportage restent les fondamentaux de ce métier-là, y compris pour le journalisme d’impact. Il nécessite la même rigueur, le même travail et la même déontologie que l’investigation, d’ailleurs les deux sont complémentaires : il faut sourcer les informations, les vérifier, les remettre en perspective pour ne pas faire dans le cliché, mener de longues enquêtes… Comme pour n’importe quel article finalement, sauf que là, en plus, on propose des solutions, dont on est sûr qu’elles sont pérennes et cohérentes. Je crois que c’est ce dont les gens ont envie : en 2007, le journal Libération a sorti un numéro dédié exclusivement aux solutions. Ce numéro fut la meilleure vente de l’année !

     

    Les lecteurs sont donc réceptifs au journalisme d’impact ?

    Selon une étude dont je parle dans mon livre, les informations dites de solutions augmenteraient la sensation de bien-être chez le lecteur. Cela pousse à l’engagement, à la responsabilisation, c’est hyperpositif. C’est aussi une belle manière pour les médias de renouer avec les citoyens et de se remettre de leur côté. Aujourd’hui, la presse est associée aux politiques, au pouvoir. Pourtant à l’origine, elle est du côté du peuple, alors je trouve que c’est une superbe opportunité de recréer la confiance entre le public et les médias. Cela permet de faire notre métier différemment. Mais c’est aussi un moyen de retrouver une meilleure situation économique pour les médias. Beaucoup choisissent le journalisme d’impact justement parce que c’est un modèle économique qui fonctionne. Tout cela forme un cercle vertueux.

     

    1 Albert Londres (1884-1932) est l’un des plus célèbres journalistes français et s’impose aujourd’hui encore comme une référence dans le métier. Il est notamment célèbre pour son enquête sur le pénitencier de Guyane, Au bagne, à la suite de laquelle le gouvernement français fait fermer le bagne.

     

    Propos recueillis par Marion Mauger et Solène Peillard

     

    À découvrir aussi : « Le journalisme de solutions peut-il sauver le monde ? » – Conférence Kaizen

     

    Kaizen, journalisme de solutions, journalisme d'impact

    2 Commentaires

    1. A voir: est-ce dans ce monde que nous voulons vivre ?
      https://blogs.mediapart.fr/peter-bu/blog/271116/voir-est-ce-dans-ce-monde-que-nous-voulons-vivre

      Assassins en costume – cravate
      https://blogs.mediapart.fr/peter-bu/blog/310317/assassins-en-costume-cravate

      Comment agir pour l’environnement si le gouvernement ne propose aucun projet participatif ? https://blogs.mediapart.fr/peter-bu/blog/190713/agir-pour-lenvironnement-si-le-gouvernement-ne-propose-aucun-projet-participatif

      Féminisme? Pour ceux qui doutent de son utilité.
      https://blogs.mediapart.fr/peter-bu/blog/201216/feminisme-pour-ceux-qui-doutent-de-son-utilite

      Le patriarcat est-il la cause de toutes les misères des femmes ?
      https://blogs.mediapart.fr/peter-bu/blog/300418/le-patriarcat-est-il-la-cause-de-toutes-les-miseres-des-femmes

      Ces migrants qui abîment l’image de la France -:)
      https://blogs.mediapart.fr/peter-bu/blog/240818/ces-migrants-qui-abiment-limage-de-la-france

      S’assimiler, s’intégrer ou bien s’adapter?
      https://blogs.mediapart.fr/peter-bu/blog/140415/sassimiler-sintegrer-ou-bien-sadapter

      Nucléaire :
      A deux minutes de la guerre nucléaire?
      https://blogs.mediapart.fr/peter-bu/blog/010318/deux-minutes-de-la-guerre-nucleair
      L’illusion et les mensonges du nucléaire en France
      https://blogs.mediapart.fr/peter-bu/blog/190713/lillusion-et-les-mensonges-du-nucleaire-en-france
      Gestion (catastrophique) d’un accident nucléaire d’après l’ASN
      https://blogs.mediapart.fr/peter-bu/blog/310713/gestion-catastrophique-d-un-accident-nucleaire-dapres-lasn

      Espérance de vie en bonne santé : elle baisse !
      https://blogs.mediapart.fr/peter-bu/blog/100713/esperance-de-vie-en-bonne-sante-elle-baisse

      La franc-maçonnerie a-t-elle encore un sens au XXIe siècle?
      https://blogs.mediapart.fr/peter-bu/blog/020813/la-franc-maconnerie-t-elle-encore-un-sens-au-xxie-siecle
      http://www.franc-maçonnerie-moderne.com

      Qui nous gouverne?
      https://blogs.mediapart.fr/perso/contributions/blog/billets/764654/

      Réenchanter l’Europe
      https://blogs.mediapart.fr/peter-bu/blog/240414/reenchanter-leurope

      • Bonjour Peter,
        Merci pour votre temps et votre intérêt à Kaizen. C’est avec ce même intérêt que nous étudierons cette riche bibliographie !
        Toute l’équipe vous souhaite une superbe journée

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