Ecolo mon cul : une boîte à outils pour se prémunir contre le greenwashing

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    Sac plastique ou sac papier ? Steak de bœuf ou pavé végétal ? Dans son ouvrage Ecolo mon cul (Eyrolles, 2023), co-écrit avec Barnabé Crespin-Pommier, l’ingénieur et consultant en éco-conception Pierre Rouvière compare l’impact environnemental des produits de notre quotidien et met à mal certaines idées reçues. Mais au-delà de ces analyses, ce «greenwashing fighter» entend éveiller l’esprit critique des lecteurs.trices et leur donner les armes pour ne pas se laisser tromper par le marketing « vert ».

    «Biodégradable», «Naturel», «Recyclé»… Qui n’a jamais été attiré par ces termes estampillés sur de multiples produits au rayon «Hygiène» ou encore «Textile» du supermarché ? Souvent associés à des consommations responsables, ces mots-valises sont pourtant employés à tort par les marques, comme le démontre avec humour et rigueur Pierre Rouvière dans son ouvrage Ecolo mon cul, co-écrit avec Barnabé Crespin-Pommier et publié aux éditions Eyrolles en février 2023.

    Ce consultant en écoconception, qui accompagne les entreprises dans l’évaluation et la réduction de leurs impacts environnementaux, s’intéresse au greenwashing depuis quelques années ; ou «l’écoblanchiment» en français, soit une technique de marketing employée par une organisation dans le but de se donner une image écologique vertueuse, mais qui n’est pas concrètement suivie dans les faits.

    «Beaucoup d’entreprises considèrent l’environnement non pas comme une nécessité mais comme un segment de marché, et ça c’est la porte ouverte aux discours de greenwashing, quelque chose qui m’horripile», grince Pierre Rouvière. Petit à petit, l’ingénieur a commencé à s’attaquer à ce «brouillard de fausses bonnes idées, de croyances simplistes ou alambiquées». Il s’agit par exemple de voir ce qui se cache derrière le terme «biodégradable» souvent affiché comme un garant écologique. «C’est une propriété intrinsèque de la matière, mais à aucun moment cela comprend un bénéfice environnemental. Si on jette un produit biodégradable dans la nature, il sera toujours là trois ans plus tard. De même, des substances peuvent être ‘naturelles’, mais nocives pour la santé humaine ou la biodiversité. L’arsenic, le plomb… La liste est longue», expose l’auteur, qui aime à rappeler que le «produit zéro impact est celui qui n’existe pas».

    Avant de se lancer dans le monde de l’édition, Pierre Rouvière décortiquait déjà le greenwashing sur son compte Instagram, @écolo_mon_cul, qui dénombre à ce jour près de 48 000 abonnés.

    Pierre Rouvière ©Cha Gonzalez

    De l’extraction des matières à la fin de vie du produit

    Steack de bœuf vs pavé végétal, livre vs liseuse, tomates françaises vs tomates marocaines… En tout l’ingénieur et l’écrivain, Barnabé Crespin-Pommier, présentent 14 dilemmes du quotidien. Pour ces comparaisons, Pierre Rouvière s’est appuyé sur l’analyse de cycle de vie (AVC) des produits, une norme internationale «multicritères». C’est-à-dire que l’on s’intéresse à l’extraction des matières, jusqu’à la fin de vie, soit le recyclage – ou non – de l’objet, pour appréhender son impact environnemental global.

    «Aujourd’hui on parle beaucoup des gaz à effet de serre et du changement climatique, or il existe bien d’autres indicateurs qui ont leur importance, comme l’eutrophisation1 ou l’érosion de la biodiversité. Une entreprise peut très bien réduire de 50% son impact carbone, mais en parallèle polluer les eaux, augmenter l’épuisement des ressources minérales en passant au ‘tout électrique’, etc. La vision multicritères permet ainsi de se prémunir contre des transferts d’impact», interpelle l’auteur.

    Cette analyse de cycle de vie mène à des résultats surprenants, même contre-intuitifs. Prenons l’exemple des sacs en papier et en plastique développé dans le livre. Alors que les sacs en plastique sont bien souvent pointés du doigt comme une aberration d’un point de vue environnemental, leurs congénères en papier, qui tendent à les remplacer dans les supermarchés et les épiceries car présentés comme plus vertueux, sont en réalité moins «écolo» ! Ils consomment trois fois plus d’eau, émettent 80% à 90% de gaz à effet de serre en plus et sont bien moins résistants à l’emploi. On ne parle pas du tote bag qu’il faudrait utiliser trois fois par semaine sur toute une vie pour amortir sa production !

    L’analyse de cycle de vie repose sur le service rendu, c’est-à-dire que l’évaluation environnementale d’un produit ne prend pas seulement en compte son impact en tant que tel, mais aussi la fonction qu’il rend à l’utilisateur. Ceci permet de comparer des produits pas facilement comparables à l’ordinaire. (Extrait du livre)

    «Décomplexifier sans simplifier»

    Pour Pierre Rouvière, il est crucial de comprendre les interconnexions entre nos consommations et les impacts extérieurs, de se réapproprier la «complexité». Paradoxalement, l’ingénieur a fait ses débuts sur les réseaux sociaux, un univers où l’information se veut concise, efficace et accessible. Pas évident de «décomplexifier sans simplifier» reconnaît le propriétaire du compte Ecolo mon cul sur Instagram. «L’avantage de ce réseau social c’est qu’il se positionne un peu comme un champ de bataille, où l’on retrouve à la fois les marques, qui viennent y afficher leurs publicités et y diffuser leur greenwashing, et les consommateurs.trices. De cette manière je peux m’adresser aux deux groupes», justifie l’auteur.

    Mais ce dernier reste attentif à ne pas prendre la posture d’un «guide pour mieux consommer». Son livre a pour but avant tout «d’éveiller l’esprit critique» des lecteurs.trices, de leurs donner les armes pour faire face à «l’enfumage écologique» des industriels. Au-delà des ordres de grandeurs, des réponses, l’ouvrage questionne : «On peut retrouver jusqu’à 30 matériaux dans une paire de chaussures : qu’est-ce qui est recyclé dans le lot ? 50% de la chaussure en poids ? 50% des matériaux utilisés ?». Des interrogations que l’on peut soulever devant une paire de chaussures dont l’étiquette affiche avec fierté «50% recyclée». En bref, avec Ecolo mon cul on n’apprend pas «que choisir» mais «comment choisir».

    L’ouvrage ne se concentre pas pour autant uniquement sur nos consommations, sur les «petits gestes», mais sonde aussi nos modes de pensée, nos imaginaires, à l’échelle de la société. Pierre Rouvière partage par exemple la pensée d’Ivan Illich sur notre rapport à la voiture : «Et si le vélo était finalement plus rapide que la voiture ? Car la véritable vitesse n’est peut-être pas uniquement fonction du temps passé derrière votre volant (ou votre guidon). Si vous comptez les heures de travail qui vous ont permis d’acheter le véhicule, le carburant, payer les péages (…)». De la même manière, remplacer tous les véhicules thermiques par des voitures électriques (il s’agit de l’un des 14 dilemmes du livre, ndlr) n’est pas «la solution» pour l’auteur, qui appelle avant tout à «repenser la mobilité». «On ne peut pas laisser reposer l’avenir de la planète sur l’ingénierie environnementale», conclut Pierre Rouvière, spécialiste dans la discipline pour rappel. Grâce au ton sarcastique, aux dialogues familiaux et cocasses disséminés dans les explications, l’ingénieur est parvenu avec Barnabé Crespin-Pommier à «sortir de [sa] zone de confort», et surtout à rendre des éléments techniques plus digestes. Pour le plus grand plaisir des lecteurs.trices !

    Le texte et les images sont souvent accompagnés de clins d’œil humoristiques. (Extrait du livre)

     

    Pour aller plus loin

    Ecolo, mon cul ! 14 dilemmes du quotidien pour aller au-delà du bullshit écologique, Pierre Rouvière et Barnabé Crespin-Pommier, Editions Eyrolles, 2023


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