Inscrit au réseau Natura 2000, le parc de Chambord accueille depuis la mi-octobre cinquante brebis solognotes. Une démarche de conservation du patrimoine naturel et de protection de l’environnement pour arriver à termes à l’autofinancement du domaine national. Reportage.
Chambord, dans le Loir-et-Cher, connu pour son château et son parc forestier cache sous son épaisse forêt de chênes et de pins sylvestres, une nouveauté. Depuis le 21 octobre 2020, cinquante brebis solognotes et un bélier ont pris leur quartier dans les prairies de l’Ormetrou, sur les hauteurs du château. Avec ses cent soixante hectares de prairies et ses deux cents hectares de terres agricoles, le parc de Chambord offre un cadre idyllique pour le troupeau.
Nicolas Bon, responsable du troupeau, reste très attentif : aucune brebis ne doit s’échapper lors du changement de prairie. « On utilise le système du pâturage tournant dynamique. On concentre le troupeau sur une petite parcelle d’un demi-hectare. Et au bout de quelques jours, on les change de parcelles. » explique l’employé du domaine. Ce mode d’entretien écologique des espaces naturels et des territoires par le pâturage des moutons demande peu de technicité et de travail. « Les brebis avec leurs déjections vont enrichir le sol et développer toute la vie microbiologique du sol. Après c’est l’effet papillon, c’est tout un éco système qui revit grâce aux déjections des brebis. » Une aubaine pour le domaine national de Chambord inscrit dans le réseau européen de sites écologique, Natura 2000*. Deux objectifs : préserver la diversité biologique et de valoriser le patrimoine naturel des territoires, tout en tenant compte des exigences économiques, sociales, culturelles et régionales des sites.
L’éco-pâturage fait parti de cette mission de préservation de la biodiversité et du patrimoine naturel. « Cette renaissance agricole est nouvelle. À l’époque de François Ier, il y avait une quarantaine de fermes. C’étaient des fermiers qui avaient chacun leur ferme. Aujourd’hui, Chambord veut renouer avec le passé mais avec des pratiques agricoles innovantes ». C’est ainsi que depuis le mois d’octobre 2020, ce savoir-faire ancestral a remplacé les machines et a permis l’exploitation des prairies. Laissées à l’abandon, elles retrouvent leur fonction d’origine.
La démarche devient même une alternative écologique. Favorable à la biodiversité et à l’enrichissement des sols, à la valorisation et l’entretien des prairies, de la vigne et des jardins potagers, ce système de pâturage permet de baisser l’utilisation des intrants chimiques et organiques. L’objectif en 2026, que 200 moutons divisés en quatre troupeaux en élevage biologique, parcourent les grands espaces de la plaine d’Ormetrou.
La protection de la race solognote
Seulement 8 000 euros ont été déboursés pour accueillir ces brebis. Un investissement léger qui s’explique notamment par les caractéristiques de cette race. Reconnaissable à leur pelage châtain roux, elle a failli disparaître. Dans les années 60, il ne restait plus que quatre cents brebis dans toute la France. Un schéma de sauvegarde débute en 1976, et permet à la race de bénéficier de mesures de protection. Grâce à l’installation de nombreux éleveurs qui travaillent en circuit court pour la filière viande, les effectifs ont atteint en 2020 cinq mille têtes.
Aujourd’hui, le Domaine national de Chambord veut participer à la sauvegarde et au développement de la race. Il faut dire que la brebis locale a de nombreuses qualités. Rustique, elle peut vivre toute l’année dehors et s’adapte parfaitement aux sols pauvres et humides de la Sologne. Avec son tempérament vif et curieux, la petite brebis solognote n’a pas peur de marcher dans l’eau contrairement à ses congénères et est plus proche du caractère de la chèvre. Vraiment faites pour entretenir le territoire de la Sologne, elles mangent tout ce qui ligneux : ronces, pousses d’arbres…
À l’origine, la laine de la solognote très chaude a été beaucoup utilisée non loin de là, à Romorantin – Lanthenay, pour confectionner des habits de l’armée. Maintenant, elle a été abandonnée au profit de laine d’autres races sélectionnées comme la race Mérinos.
Je m’engage aux côtés de Kaizen pour un monde de solutions.
Ainsi le domaine national de Chambord souhaite commercialiser uniquement la viande de ces animaux. Dans les prochains mois, une maison d’annelage sera ouverte pour faire découvrir aux visiteurs les agneaux des brebis solognotes. La viande des agneaux sera valorisée pour être vendue et distribuée dans les restaurants du département et dans la boutique du château de Chambord.
Dans une démarche toujours respectueuse de l’environnement, l’élevage suit les principes de l’agriculture biologique, aucun antibiotique chimique n’est donné aux brebis. Un gage de qualité qui a permis à une vingtaine d’éleveurs soutenus par le domaine national de Chambord de relancer le projet de création d’un AOP ; « l’agneau de race solognote ».
Chambord agricole et durable
Depuis 1930, Chambord est propriété de l’État. En 2019, plus d’un million personnes sont venues visiter le château et acheter des billets pour les activités de loisir. Avec la baisse des subventions de l’État, le besoin de rentabilité a accéléré l’ambition de l’établissement à s’autofinancer. Une exigence devenue possible grâce à son enregistrement comme établissement public autonome en 2005. À présent, son autofinancement atteint près de 90%.
Le domaine national se diversifie alors, avec la création de nouvelles activités comme l’éco-pâturage, la construction d’un chai et avec l’aménagement de la ferme située sur les prairies l’Ormetrou en lieu d’hébergement.
La transhumance des brebis se fait sur trois kilomètres, autour du château de Chambord et en traversant les jardins-potagers. En 2019, la première phase réussie du projet de création d’une parcelle au sein des écuries du Maréchal de Saxe a abouti. Aujourd’hui, les jardins-potagers investissent une nouvelle parcelle pour étendre et diversifier la production : 140 arbres fruitiers de variétés anciennes (pommiers, poiriers, pêchers) arbustes de petits fruits (groseilliers, framboisiers, cassissiers) et plus de 40 variétés de légumes, dont un jardin dédié aux légumes anciens et aux légumes de la Renaissance. Les jardins-potagers ont reçu la certification biologique et le label AB le 4 juillet 2019.
80% des produits récoltés sont dédiés au château de Chambord, pour le restaurant interne, pour les visiteurs et les agents du domaine qui peuvent acheter un abonnement sur le principe d’une AMAP. Le reste est distribué à treize restaurants à Blois, à onze grandes et moyennes surfaces dont aux deux Biocoop de Blois.
« On est dans une démarche permaculturelle, c’est-à-dire on tend à rendre le lieu à échelle humaine avec le moins d’énergie fossile possible, en alliant l’ergonomie et la productivité à l’écologie. On est un peu comme dans un écosystème forestier autonome, résilient, durable, stable. » résume Baptiste Saulnier, responsable du potager. Sur cinq hectares, un système agro-forestier a été reproduit, intercalant des arbres et des légumes, puis des arbres et les brebis. Un principe qui permet de tirer la quintessence d’une petite superficie. « Il y a eu toute une réfection en amont sur l’organisation des espaces de cultures : avec un petit étang, une station de pompage, un système de drains, un fossé méandré et l’installation de vasques pour dynamiser l’eau. Le tout en circuit fermé pour faire des économies d’eau. » détaille Etienne Guillaumat, Directeur de la chasse et de la forêt du Domaine national de Chambord.
Extraits fermentés, des décoctions, des macérations d’ail, de prèles, de tanaisie d’absinthe… Cette année, la parcelle cultivera également des plantes pour la phytothérapie. Ainsi l’équipe de maraîchers produira elle-même leurs propres insecticides ou activateurs de sols.
Les visiteurs pourront, au printemps 2021, traverser les jardins pour visiter le château. À droite, ils retrouveront les moutons et des poules pondeuses ; et à gauche le verger, les jardins, les plantes pour la phytothérapie, et plus loin dans un bosquet avec vingt-quatre ruches.
*Natura 2000 : Le réseau Natura 2000 rassemble des sites naturels ou semi-naturels de l’Union européenne ayant une grande valeur patrimoniale, par la faune et la flore exceptionnelles qu’ils contiennent.