Si la voie fluviale est beaucoup moins polluante que le trafic routier, elle demeure sous-utilisée. Une société coopérative tente de changer la donne en développant un transport fluvial de bouteilles de vin bio ou naturel.
Plus du quart des émissions nationales de gaz à effet de serre sont liées au secteur des transports. Face à la logique de rapidité du « tout camion », Cécile Sauthier et Raphaël Sauzéat font l’éloge de la lenteur de la voie d’eau. Ils ont créé en 2012 la société coopérative Alizarine, une alternative en faveur de transports moins carbonés, entravée par les subventions au tout routier. L’alizarine est un colorant rouge d’origine végétale, extrait de la racine de la garance auparavant cultivée pour la teinture. Ce nom, c’est aussi celui de leur péniche qui transporte des palettes de vin – rouge, mais pas seulement – entre la vallée du Rhône et Paris.
Alors que le secteur des transports émet plus du quart des émissions nationales de gaz à effet de serre, le Grenelle de l’environnement avait fixé, en 2009, l’objectif d’augmenter la part du transport non routier et non aérien de marchandises de 14 % à 25 %, d’ici à 2022 [1]. Malgré ces engagements, le trafic fluvial reste le troisième mode de transport de marchandises avec 7,9 milliards de tonnes-kilomètres (tkm) transportées en France en 2011, loin derrière la route (177,9 milliards de tkm) et le fret (34,2 milliards de tkm) [2]. Il est pourtant l’un des plus écologiques : le transport d’une tonne de marchandise par voie fluviale génère en moyenne quatre fois moins de CO2 que par la route [3].
Quatre fois moins de CO2 que la route
En France, le transport fluvial est très peu utilisé – à peine 3 % du transport intérieur [4] – malgré un réseau, le plus grand d’Europe, qui s’étend sur 8 500 kilomètres de canaux ! Tout l’enjeu pour la Scop Alizarine est donc de remettre au goût du jour ce mode de transport. Déterminés, Cécile Sauthier et Raphaël Sauzéat ont décidé de profiter du maillage du réseau fluvial qui traverse les plus grandes régions viticoles, depuis les vignobles du Languedoc-Roussillon jusqu’aux vins de Champagne, en passant par les rives du Rhône ou les vins de Loire. Ensemble, ils tentent de développer un transport fluvial « éco-responsable » de bouteilles de vin, essentiellement issues de vignobles bio.
La péniche Alizarine, trente-cinq mètres de longueur et cinq mètres de largeur, peut transporter cinquante palettes, soit trente mille bouteilles. L’équivalent de cinq camions frigorifiques. Partie du sud de la France, elle fait escale à différents points de chargement, des bords de la Méditerranée, desservi par le Canal du Rhône, jusqu’à Briare (Loiret) et son pont-canal sur la Loire, ou Reims et son champagne traversé par le canal de la Marne à l’Aisne [5]. Une « ramasse » par camion est organisée chez les vignerons dans un rayon de vingt-cinq kilomètres autour de ces points de chargement. Certains vignerons amènent directement leur production au bateau. À bord, une grue embarquée permet de charger les palettes et de les stocker dans une cale climatisée où le vin est gardé autour de 15°C.
900 km et 180 écluses
La cale du bateau se remplit progressivement de vins, mais aussi de produits du terroir issus de l’agriculture biologique, jusqu’à Paris où les livraisons ont lieu sur les quais, pour les particuliers et négociants notamment. Les cavistes, restaurants et groupements d’achat par exemple peuvent également être livrés « en véhicule électrique ». À terme, l’Alizarine devrait être également chargée de produits franciliens et des régions alentour, qui seront livrés vers le sud.
Pour parcourir 900 kilomètres et franchir quelque 180 écluses, l’Alizarine a besoin d’une vingtaine de jours. À bord, pas de secousse. Le vin peut ainsi continuer son vieillissement naturel en cave. Et sans rupture thermique : une température constante est en effet importante pour les vins naturels – sans sulfites – qui sont souvent plus fragiles. « Ce transport militant demande de la part des producteurs et des clients une nouvelle démarche, très engagée, basée sur la lenteur, a contrario du modèle économique actuel basé sur la politique du flux tendu », précisent les cogérants de la coopérative. Pour l’heure, ce sont essentiellement des producteurs de vins bio et naturels qui adhérent à la démarche. Pour identifier et valoriser les produits transportés par bateau, une étiquette est apposée sur les bouteilles.
Difficultés face au transport routier
Les distorsions de concurrence avec le transport routier compliquent la poursuite de l’aventure d’Alizarine. Emprunter les voies d’eau plutôt que la route entraîne un surcoût de 0,3 à 0,5 euros par bouteille. Face aux subventions dont bénéficient les camions sur la route, le combat est inégal, regrettent Cécile Sauthier et Raphaël Sauzéat. Bien qu’Alizarine reçoive le soutien financier de plusieurs institutions [6], elle peine à être compétitive. Le surcoût de l’acheminement pourra diminuer quand les cales du bateau seront pleines, mais c’est encore loin d’être le cas. Car la lenteur a son revers : « 80 % des clients de notre étude de marché n’ont pas tenu leurs engagements, notamment par leur incapacité à anticiper les commandes de leurs clients. »
Face à une situation économique « préoccupante », une campagne de financement participatif a été lancée et s’est achevée sur un succès, début décembre. Elle leur permet d’assurer le prochain aller-retour entre la vallée du Rhône et Paris, du 7 février au 14 avril 2016. Paradoxe déconcertant : alors que l’avenir de la Scop n’est pas garanti, le label COP 21 qui marque la « reconnaissance gouvernementale des projets de mobilisation climatique d’intérêt général » a été attribué en 2015 à l’opération « Bordeaux-Paris par la voie d’eau, un voyage pour le climat » co-porté par l’Alizarine et le Tourmente, un autre bateau de commerce. Encourager très concrètement le report du trafic routier vers le fluvial serait un signal important envoyé par la France auprès des autres États membres de l’Union européenne. Selon un rapport de la Cour des comptes européenne publié en mars 2015, aucune amélioration significative de la part du transport fluvial n’est à noter depuis 2001.
Par Sophie Chapelle
Notes
[1] Source : « Le transport fluvial durable », ministère de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie, 2013.
[2] tkm ou tonne kilomètre : unité correspondant au déplacement d’une tonne de marchandises sur un kilomètre. Source : « Les enjeux du transport fluvial », de Émilie Ruin, Métropolitiques, 2013.
[3] ibid.
[4] Source
[5] Parmi les points de chargement : Sète, Maguelone, Gallician, Avignon, Bollène, Montélimar, Valence, Tain-l’Hermitage, Saint-Vallier, Vienne, Lyon, Villefranche-sur-Saône, Mâcon, Tournus, Chalon-sur-Saône , Saint-Jean-de-Losne, Auxonne, Fontaine-Française, Langres, Châlons-en-Champagne, Reims, Digoin, Décize, Briare et Sens.
[6] Le projet Alizarine a été subventionné par les conseils départementaux de l’Ardèche et de la Drôme, les conseils régionaux Rhône-Alpes et Île-de-France ainsi que par Voies navigables de France (VNF). Il a bénéficié de prêts d’honneur attribués par les associations « Entreprendre pour le fluvial » et « Initiative Ardèche méridionale ». La Scop Alizarine comprend les deux gérants et deux « Cigales », des clubs d’investisseurs locaux qui rassemblent une quarantaine de personnes
Cet article a été initialement publié par Basta ! site d’information indépendant sur l’actualité sociale et environnementale. Constitué d’une équipe de journalistes et de militants associatifs, Basta ! contribue à donner une visibilité aux enjeux écologiques, aux actions citoyennes, aux revendications sociales, aux mouvements de solidarité et aux alternatives mises en œuvre.
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