Spécialiste du sommeil chez les enfants et membre de l’Observatoire des droits de l’enfant de Catalogne, la psychologue espagnole Rosa Jové va à l’encontre des idées reçues. Dans son livre Dormir sans larmes (Les Arènes, 2017), elle propose avec douceur et humour, des solutions aux parents inquiets, pour accompagner avec bienveillance les tout-petits dans leur construction du sommeil.
Dans votre livre, vous expliquez pourquoi il ne faut pas laisser pleurer les bébés, qualifiant même cette méthode de « torture ». Comment expliquez-vous l’utilisation de ce terme ?
Les parents doivent être conscients que c’est terrible de laisser pleurer un enfant, au même titre que n’importe quelle personne de n’importe quel âge. Si ma mère, mon frère, une amie a un problème, je vais l’aider, peu importe l’heure du jour ou de la nuit. Quand un bébé pleure, c’est qu’il demande quelque chose dont il a besoin.
De plus, laisser pleurer un enfant provoque toujours, à des niveaux plus ou moins élevés, des traumatismes et des problèmes sur le long terme. Or, il existe d’autres méthodes pour bien faire dormir les bébés, sans pleurer ! Il est important de dire aux parents que tous les bébés finiront tous par bien dormir ! Un jour… (rires). Même si cela peut demander de la patience.
Vous affirmez qu’ « endormir un enfant est un art qui s’est perdu ». Pourquoi et que faire ?
En tant que mammifères, il est très important que les bébés dorment avec leurs parents, des frères et sœurs, etc., dans la même chambre ou dans le même lit : l’important c’est la proximité de l’autre. C’est la forme la plus normale et la plus facile pour que les bébés dorment bien, car ils ont besoin de cette présence et de cette proximité. Dormir à côté de quelqu’un est quelque chose d’important, tout au long de la vie. S’ils sont en groupe, les mammifères ne feront jamais le choix de dormir seul.
Moi-même en tant que fille d’une famille nombreuse, je n’ai jamais eu de chambre seule. Quand j’étais bébé je dormais avec mes parents, puis avec ma sœur, car il n’y avait pas assez de chambres pour tout le monde. Puis, je suis mariée et je partage désormais mon lit avec mon mari ! (rires)
En Europe et en Amérique du Nord, les bébés ont souvent leur chambre, car leur présence dans la pièce des parents peut être vécue comme une intrusion…
Nos sociétés ont beaucoup changé ces dernières décennies. Les femmes, et donc les mères, ont eu de plus en plus accès au monde du travail. Cette nouvelle occupation est incompatible avec une présence constante avec les bébés. Alors pour tranquilliser les mamans, on a construit des mythes. On leur a dit qu’il était normal que les bébés soient sans elles pour qu’ils ne soient pas trop dépendants, et qu’il fallait que ce soit d’autres personnes qui s’en occupent. C’est une des manières d’expliquer cet éloignement. Mais, personnellement, je pense qu’on peut très bien être parent tout en travaillant. Je suis une mère qui travaille et qui a travaillé quand mes enfants étaient plus petits. Avec un peu de créativité et d’organisation, on s’en sort ! Vous pouvez par exemple cuisiner en grande quantité un jour pour être tranquille les jours suivants, demander de l’aide à votre entourage ou acheter des vêtements qui ne nécessitent pas de repassage ! Vous pouvez ainsi passer plus de temps avec les bébés.
Vous expliquez qu’à la naissance, les bébés savent déjà dormir, car ils alternent des phases de veille plus ou moins profondes dans le ventre de leur mère. Pourtant, très peu de parents sont conscients de cela, comment l’expliquer ?
Il y a beaucoup de mésinformations sur internet et notamment sur les forums. Je crois que nous écoutons ce que nous voulons écouter ! (rires) Il y a des parents qui ont envie d’entendre que leur enfant doit dormir seul, qu’il ne faut pas céder à ses pleurs. Et donc, ils ne chercheront pas d’autres informations sur les méthodes alternatives.
Une des idées assez répandue est que le bébé, en pleurant, cherche à manipuler ses parents, créant ainsi un rapport conflictuel entre les parents et leurs bébés. Est-ce possible ?
Un bébé ne peut pas manipuler ses parents, ou n’importe qui d’ailleurs. Il n’a pas les structures cérébrales nécessaires pour le faire. Il y a eu des études qui démontrent qu’au niveau cérébral, les bébés ne peuvent pas manipuler car ils ne connaissent pas les intentions d’autrui. C’est donc impossible ! Il y a une phrase que j’aime beaucoup : « personne ne demande ce dont il n’a pas besoin ». Si les bébés pleurent, c’est qu’ils ont besoin de leurs parents, c’est tout.
La majorité des parents qui viennent me voir, le font car ils sont inquiets des réveils multiples de leurs bébés pendant la nuit. Pourtant, il est normal pour un bébé de se réveiller plusieurs fois, pour de multiples raisons : parce qu’il a faim, parce qu’il n’arrive pas à se rendormir, etc. C’est le cas de 80% des bébés jusqu’à un an et 50% de ceux âgés entre un et deux ans. On voit donc bien que c’est quelque chose de normal.
Un bébé a besoin de temps pour se caler sur un rythme de 24 heures (circadien) et ne sait pas qu’il y a des horaires à respecter…
C’est pour cela qu’il est essentiel qu’il y ait une mobilisation pour demander aux différents gouvernements de mettre en place de meilleurs congés parentaux. En Norvège, la mère a une année pour rester à la maison avec son bébé. Et si elle ne veut pas l’amener à la crèche, elle a droit à quatre années. La mère a donc plus de temps et, donc, plus de patience pour faire dormir son bébé et s’adapter à son rythme (et non l’inverse !). Ainsi, dans les pays scandinaves, les troubles du sommeil sont quasi inexistants.
En matière d’éducation, rien ne dure éternellement. Si par exemple un enfant ne mange pas seul aujourd’hui, il y arrivera sûrement l’année suivante. Le plus important pour bien élever un bébé, c’est d’avoir du temps, de la patience et beaucoup, beaucoup, beaucoup d’amour. Alors, tout ira bien.
Le cododo (le fait que la mère et le bébé dorment dans le même lit) est une pratique recommandée, par vous et d’autres, pour avoir des nuits plus apaisées, aussi bien pour le bébé que pour les parents. Mais certains s’inquiètent du fait que cela puisse créer une dépendance de l’enfant vis ) vis à vis de sa mère… Cette inquiétude est-elle justifiée ?
Je dis toujours que si une mère me demande « Rosa, qu’est-ce que je peux faire pour que mon enfant dorme avec moi jusqu’à ses 20 ans ? », je lui répondrais que c’est impossible. Il y aura toujours un moment, généralement entre 3 et 6 ans, où ton enfant partira de ton lit, de ta chambre et de la maison ! (rires) Quant à l’impact sur le couple, je ne pense pas que celui-ci soit très important. Quand l’enfant dort le soir, les parents peuvent aller dans une autre pièce, se poser au salon, etc. Tous les enfants finiront par bien dormir, il ne faut pas s’inquiéter et transformer la normalité en un problème.
Entretien réalisé par Laure Hängg
Aller plus loin avec le livre Dormir sans larmes, Dr Rosa Jové (éditions Les Arènes, 2017).
Voir aussi : Faut-il laisser pleurer un bébé la nuit ?
Lire aussi : « L’enfant n’est pas un être de pulsions, l’enfant est un être habité de besoins » Isabelle Filliozat
ces propos sont sexistes, et sont loin de faire l’unanimité