Pour poursuivre son initiative de réemploi de vélos, l’association La Petite Rennes ne s’est pas arrêtée à la simple récupération et réparation des vélos classiques. Depuis 2018, elle reprend la flotte de vélos électriques inutilisables de la société de transports urbains Keolis Rennes. Reportage.
« On ne se rend pas compte à quel point on produit énormément de vélos, et derrière, on stocke, on stocke », déplore Nicolas Prévoteau, responsable de l’atelier de La Petite Rennes. Selon l’Agence de la Transition écologique sur les 37 millions de vélos français, plus de 10 millions dorment dans les caves et les garages de l’hexagone. Une situation que l’association La Petite Rennes fondée en 2012, veut endiguer. Déchetteries, bailleurs, particuliers, aucun coin ne leur échappe. Il récupère 10 tonnes de vélos par an.
Avec du rock en musique de fond, le petit atelier situé au 20 rue Chicogné à Rennes est le meilleur endroit pour réparer, régler, bichonner son vélo. En cotisant pour la somme de 20 euros par an, les bénévoles démontrent qu’une crevaison ne veut pas dire vélo cassé. Ils accompagnent les adhérents pour la réparation et l’entretien de votre vélo à moindre coût pour permettre à des personnes à faibles moyens d’avoir accès à la mobilité en toute sécurité.
En 2013, Keolis délégataire de Service Public Transports et de Mobilité auprès de Rennes Métropole se lance dans l’expérimentation de la location longue durée du Vélo à Assistance Electrique (VAE). A l’issue d’une année de location, les vélos électriques sont proposés à la vente, à tarif préférentiel. Pratique pour faire de plus longues distances et complémentaire des autres modes de transports, le vélo électrique devient une véritable alternative à la voiture dans la métropole rennaise. Fort de son succès, la société Keolis a constitué par la suite une importante flotte de 2 000 VAE par an.
« Pousser au bout le matériau, jusqu’à la fin de sa vie, c’est notre objectif », Antoine Rivière
Cependant un problème se demeure : seulement 65% des vélos sont achetés à la fin du contrat de location et les vélos ayant passé la garantie moteur/batterie de 2 ans se retrouvent invendables. Ne suivant que ses principes afin d’agir pour une solidarité environnementale, économique et citoyenne, La Petite Rennes intervient et récupère une centaine de vélos électriques par an. Pour éviter directement la case « déchet », alors que les batteries fonctionnent encore – entre 2 et 3 ans – l’association trouve une solution : donner une seconde vie aux batteries de vélos électriques.
Action sociale et insertion
C’est en 2015 que La Petite Rennes appelle pour la première fois l’ESAT Maffrais Services (Etablissement et services d’aide par le travail), à Thorigné-Fouillard. A cette époque, l’association souhaite que les travailleurs handicapés mentaux de l’ESAT démontent entièrement et définitivement les vélos inutilisables. Dans une démarche de réemploi au maximum, les pièces exploitables sont revendues d’occasion à prix libres à l’atelier de la Petite Rennes.
Toujours dans un principe de porter du sens à leur action, elle propose naturellement en 2018 à l’établissement social d’affecter deux autres travailleurs à la désélectrification des vélos pour les transformer en vélo classique.
« On avait envie de participer à un projet socialement responsable », Annabel Berranger
Pour Annabel Berranger, responsable de l’atelier de sous-traitance de l’ESAT : « Le travail, dans notre société, est déterminant socialement. Nos employés s’épanouissent et cela leur permet de se dire « je suis comme les autres, j’ai une place dans cette société. C’est une fierté. » Grâce à des fiches tutoriels imagées conçues ensemble par La Petite Rennes et l’ESAT, ce sont deux travailleurs en situation de handicap mental, bientôt un troisième travailleur, qui déshabillent les vélos de tout leur système électrique. Démonter la batterie, enlever les câbles électriques, changer les freins, changer les lumières, des tâches répétitives et techniques, tout en favorisant l’épanouissement personnel et social des travailleurs handicapés.
Une fois désélectrifiés, les vélos électriques sont revendus à l’atelier de la Petite Rennes, 180 euros clé en main, plus durable avec des pneus anti-crevaisons, un antivol et sans plastique. Quant aux batteries électriques, elles finissent pour motoriser des tricycles adaptés aux personnes en situation de handicap.
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Un nouveau souffle pour les batteries électriques
Tout le monde s’affère autour du « Vespace » pour le terminer. Jeu de mot entre une Vespa* et l’espace, ce nouveau véhicule est un mixte entre un scooter et une trottinette. Destiné à Florent, salarié d’ArianeGroup, atteint d’agénésie des membres supérieurs et dont la jambe droite fatigue vite découvre peu à peu son tricycle électrique. Il lui permettra de parcourir les longues distances qu’il doit faire entre les bâtiments sur le site d’ArianeGroup aux Mureaux. Deux moteurs provenant d’une batterie de vélos électriques Keolis pousse l’engin. En effet depuis deux ans, La Petite Rennes est allée plus loin. Elle a proposé à l’association MyHuman Kit de lui fournir les batteries non réutilisées des vélos électriques. Elles sont réemployées notamment durant l’événement Le Fabrikarium MyHuman Kit/ArianeGroup. Pour sa deuxième édition, cette rencontre se déroule pendant trois jours. Douze ingénieurs du spatial et vingt bénévoles appelés « makers » de l’association MyHuman Kit se réunissent à Rennes dans les locaux d’Askoria autour de quatre personnes en situation de handicap pour réfléchir et pour fabriquer ensemble des objets pour les aider dans leur vie quotidienne.
Les objectifs ? Valoriser le travail manuel, faire avec et pour les personnes handicapées. Elles prennent en main leur propre solution à leur handicap. « C’est un regard sur soi-même. On quitte la terminologie « porteur de handicap » et on devient « porteur de projet » », souligne Charlie Dreano, directeur de l’association MyHuman Kit. Si les premiers échanges entre les participants sont timides, après quelques heures il se dégage une émulation intellectuelle et bienveillante entre les « makers » et les ingénieurs.
« Ce « vespace » , qu’est-ce qu’il a de particulier comparé aux assistances à la mobilité électriques qu’on trouve dans le commerce ? Il est adapté à mes besoins. », précise Florent. Avec une vitesse maximale de 6 km/h pour avancer au même rythme que la marche de ses collègues, avec un panier pour poser ses dossiers, des lumières pour travailler le soir, un siège pour s’asseoir, le tricycle électrique s’adapte parfaitement à chaque handicap.
« L’idée était de rendre le véhicule versatile, c’est-à-dire qu’il soit au maximum adaptable aux différentes formes de handicap. », Florent
L’enjeu social se poursuit avec la documentation en open source de tous les projets par FlossManuals afin d’être partagés, répliqués et améliorés partout dans le monde. Démocratique et citoyenne, l’initiative encourage à ce que chacun aidé par des proches ou par des bénévoles de MyHuman Kit à reproduire suivant ses besoins le tricycle. Ainsi ce ne sont pas moins de quinze tricycles électriques par an qui sont fabriqués grâce aux tutoriels sur la plateforme en open source Wiki HumanLab.
Conçu avec des éléments de récupération, un siège de bar, un ancien cadre de vélo, une plaque de tôle, des pneus pleins, la démarche se veut durable et écologique mais également économique. « Le seul investissement qu’il y a c’est de l’huile de coude », se réjouit Florent. Le coût d’un tel véhicule dans le commerce vaut cinq à dix fois plus cher. Un réemploi jusqu’au bout des roues, écologique, économique et solidaire.
A l’été 2021, La Petite Rennes souhaite s’agrandir et trouvera place dans des nouveaux locaux plus grands pour répondre à la demande en vélos dans le quartier de La Courrouze. De quoi inspirer d’autres initiatives en France !
*Vespa est une ligne de scooters brevetée en 1946.