En moyenne, 20% de notre eau potable est utilisée dans nos chasses d’eau ! Si des alternatives écologiques peuvent être mises en place, il est encore difficile pour les Français de franchir le pas. Pourtant, quelques installations en immeuble voient déjà le jour.
Elles prêtent à sourire et sont peu souvent discutées mais les toilettes se trouvent au cœur des problématiques écologiques. Si faire nos besoins dans des litres d’eau potable est chose commune en France, plus de 2 milliards de personnes n’ont pas accès à une alimentation domestique en eau dans le monde. Il semblerait que nous ayons délaissé les innovations du petit coin, puisque les toilettes, telles que nous les connaissons, n’ont pas évolué depuis le 18e siècle !
Eviter 500 000 tonnes de CO2 par an
C’est une première en France. A Dol-de-Bretagne, non loin de la baie du Mont St-Michel, 23 nouveaux logements viennent d’être équipés de toilettes sèches. Cet habitat participatif peut accueillir une soixantaine d’habitants et le système a été entièrement pensé par l’entreprise Ecosec.
Son co-fondateur et ingénieur, Benjamin Clouet, explique les principes du système dit « à séparation ». Les urines et matières fécales ne sont plus au contact des eaux et on oublie les copaux et les seaux à vider régulièrement. « Les urines s’écoulent directement vers un espace de stockage installé en sous-sol. Un simple tuyau est ajouté aux gaines techniques de l’immeuble pour l’acheminer. C’est un vrai assainissement écologique ! Quant aux fèces et au papier toilette, un petit tapis roulant, sous la cuvette, les conduit à une cuve individuelle», détaille le concepteur (voir schéma ci-dessous). Celle-ci doit être vidée une fois tous les 6 mois environ pour une famille de cinq personnes. Un maître-composteur, volontaire parmi les habitants, s’en occupe.
Selon l’ingénieur, l’être humain est complètement sorti du cycle naturel de compostage. La valorisation des excréments est possible et saine. Peu à peu, de nouveaux projets émergent comme en Île-de-France. L’Institut Paris Région pense à cette solution pour fertiliser les sols franciliens. Ceci permettrait d’éviter l’émission de 500 000 tonnes de CO2 par an !
Un compostage fertile
Bien que cela puisse paraître étonnant, nos excréments peuvent tout à fait être valorisés. Pour Benjamin Clouet, « l’humus de matières fécales est aussi qualitatif qu’un terreau acheté en magasin ». Afin d’éliminer les virus et microbes, l’OMS préconise une pasteurisation à plus de 60 degrés ou bien un compostage de 2 ans avant de pouvoir épandre l’humus sur les cultures. Quant aux urines, celles-ci sont théoriquement stériles. Après distillation, elles deviennent de puissants fertilisants pour les plantes. Selon lui, un humain peut fertiliser jusqu’à 400 mètres carrés de blé par an grâce à ses urines. Ceci permettrait de diminuer considérablement l’utilisation de divers engrais chimiques.
Le seul souci : « On cherche encore des filières pouvant les récupérer. Nous pensons aux maraîchers, mais les lois sont très floues autour de l’utilisation des excréments humains. » En effet, le problème concerne le transport des matières et l’azote présente dans les urines. Selon un arrêté de 2009, le traitement des contenus des cuves et bacs de compost doit se faire sur place, ce qui peut compliquer l’application à grande échelle de cette solution. Les urines, quant à elles, ne représentent qu’1% des eaux usées mais 90% de l’azote arrivant en station d’épuration. Ces dernières consomment énormément d’énergie pour l’éliminer. L’azote est un fertilisant essentiel pour les plantes qui en ont naturellement besoin. Cependant, les sols et nappes phréatiques en sont fortement chargés suite aux épandages des élevages intensifs. Les phénomènes d’algues vertes en sont une des conséquences en Bretagne. Il est aujourd’hui interdit de déverser des produits azotés à certaines périodes.
Un tabou très présent
Ces installations sanitaires ne représentent pas le même budget : comptez 460 euros environ pour des toilettes sèches à copeaux, et 2200 euros pour les WC à séparation entre urines et matières fécales. Les toilettes sèches à copeaux et seaux peuvent en repousser plus d’un et représenter un certain inconfort, comparé à notre simple chasse d’eau habituelle. Selon France Boyer, co-fondatrice de L’Ecopot, entreprise de toilettes sèches, un tabou autour des excréments est très présent dans notre société actuelle. « Il ne faut pas les voir, pas en parler, ce n’est pas propre etc. Mais il faut apprendre à vivre avec nos micro-organismes ! Les latrines sèches modernes n’ont rien à voir avec celles de nos grands-parents ».
Il existe aussi certaines alternatives, moins prononcées comme par exemple celle des lavabos intégrés au réservoir des chasses d’eau. Cette innovation venue tout droit du Japon permet déjà d’économiser environ 50% de l’eau.
La France est tout de même en retard dans ce domaine et c’est la Suède qui a pris les devants. Depuis bientôt trente ans, il est obligatoire d’équiper les résidences secondaires de toilettes sèches. Quant à la Suisse, leur premier immeuble avec des installations à séparation date de 2001. Ce système leur permet de filtrer les eaux grises (provenant des douches, éviers, lave-linges…) par phytoépuration. C’est-à-dire, par des plantes choisies spécifiquement pour éliminer diverses particules. Ces procédés allègent considérablement les stations d’épuration.
Les stations d’épuration saturées
La gestion des eaux usées occupe une place préoccupante dans le cycle de l’eau et représente d’ailleurs jusqu’à 30% du prix de l’eau en France. Pourtant, nos excréments évacués par les systèmes d’assainissements traditionnels restent problématiques. Selon Le Monde, en 2010 : « 50% des produits potentiellement nocifs restent présents à la sortie des stations d’épuration. » Plus de la moitié des cours d’eau en France sont dans un mauvais état écologique selon l’Agence Européenne pour l’Environnement. Malgré le passage en station d’épuration, les composants de médicaments, l’azote et le phosphore n’y sont pas entièrement filtrés avant d’être renvoyés en milieu naturel. A ce jour, les scientifiques ne connaissent pas encore les conséquences des résidus des différents produits chimiques consommés et rejetés par l’être humain.
Des problèmes hygiéniques et sociaux pour 4,5 milliards de personnes
Avoir des latrines, un luxe ? Près de deux tiers de l’humanité ne peut se permettre l’utilisation de WC correctement gérés. Selon les chiffres donnés par l’OMS, 673 millions de personnes défèquent à l’air libre ou dans des sacs en plastique abandonnés ensuite dans la nature. Si nos excréments peuvent être utilisés comme engrais naturels, ceux-ci doivent tout de même être traités d’une certaine manière (distillation, pasteurisation, méthanisation, …). En Asie, dans les campagnes sud-américaines ou africaines, cela pose de nombreux problèmes hygiéniques et sociaux.
Autre l’impact sur la dignité humaine, de nombreuses maladies sont propagées comme les dysenteries, les diarrhées ou encore le choléra. Le manque de service d’assainissement cause la mort de 297 000 enfants de moins de 5 ans chaque année suite à la consommation d’eau insalubre. Les femmes en sont les plus impactées par le manque de toilettes. En Inde, la moitié des viols dénoncés ont lieu au moment où elles vont faire leurs besoins. En Afrique subsaharienne, les jeunes filles manquent jusqu’à 20% de leur scolarisation, ne pouvant s’occuper de leur hygiène menstruelle à l’école qui ne dispose pas de toilettes.
Des évolutions sont en cours autour de nos WC. Leur rôle et impact deviennent essentiels dans la transition écologique et sociale mais les tabous encore fort présents empêchent les avancées de prendre le pas dans notre quotidien. «Tant que les mairies n’imposeront pas l’installation des toilettes sèches dans les futures constructions, je ne suis pas sûr que cela va bouger », confie Benjamin Clouet. Ces innovations techniques éloignent pourtant l’image négative de la cabane au fond du jardin, les avantages environnementaux sont multiples et les factures d’eau en seraient allégées.
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