Dernière Rénovation : « Résister, c’est passer à l’action, même de manière non-violente »

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    Le 3 juin dernier, une militante écologiste de Dernière Rénovation a interrompu un match du tournoi de tennis Roland Garros, mettant sous le feu des projecteurs ce jeune collectif qui lutte pour la rénovation thermique des bâtiments. Plus récemment, des blocages d’autoroutes à l’occasion de la COP27 ont aussi fait parler de ce mouvement revendiquant la « résistance civile », qui compte plus de 1 000 sympathisants. Florence Marchal, militante depuis mars 2022 à Dernière Rénovation, a répondu à nos questions sur ce mouvement.

    Pourquoi avoir choisi de consacrer votre collectif spécifiquement à la rénovation énergétique, qui constitue un sujet limité des luttes écologiques ?

    Dernière Rénovation fait partie du réseau A22. Il s’agit de onze campagnes mondiales qui ont débuté en avril 2022, d’où le nom du réseau A22. La grande spécificité et la grande ambition de ce mouvement est de porter une revendication très précise, contrairement à bien d’autres mouvements, qui sont par ailleurs tout à fait estimables et utiles. A Dernière Rénovation, nous réclamons par exemple la rénovation globale et performante du parc immobilier français, avec un plan de financement daté, clair, et adapté aux revenus des particuliers[1]. L’idée c’est de s’inspirer de l’histoire face à une situation dramatique et désespérante. Je fais référence aux campagnes de résistance civile historiquement célèbres, telles que les droits civiques aux Etats-Unis, les Suffragettes (revendication du droit de vote des femmes au Royaume-Uni, ndlr), ou encore Occupy Wall Street (mouvement des « Indignés » contre les abus du capitalisme financier, ndlr). Ces mouvements ont en commun le mode d’actions non-violentes et de réclamer un objectif spécifique. C’est notre stratégie aujourd’hui : porter une revendication précise, gagnable et consensuelle, à laquelle le gouvernement peut répondre. Si nous obtenons une première victoire, les actions de l’Etat pourraient avoir un impact inégalé sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre, sans oublier l’impact social, en s’adressant à des personnes démunies. A l’heure actuelle, 12 millions de personnes vivent dans une passoire thermique, et 2 100 morts sont attribuées chaque année aux conditions de vie dans ces logements mal isolés.

    Vous présentez votre mouvement sous le prisme de la « résistance civile ». Est-ce qu’il s’agit du même concept que de la désobéissance civile, ou existe-t-il une différence ?

    Historiquement la désobéissance civile s’est appliquée contre des lois iniques, comme la ségrégation des Noirs aux Etats-Unis ; et donc l’action non-violente pour lutter contre cet état de fait constituait une désobéissance à la loi. Face à la catastrophe climatique en cours, il n’y a pas vraiment une loi à laquelle on devrait désobéir, c’est l’Etat qui est condamnable, pour ne pas agir ce sur quoi il s’est engagé ; il a d’ailleurs été condamné par le tribunal administratif de Paris et le Conseil d’Etat à deux reprises pour son inaction climatique, mais cela n’a rien changé. Et les nombreuses actions classiques citoyennes, comme les marches et les pétitions, n’ont pas eu davantage d’impact.

                  « Je n’aurais jamais imaginé agir de la sorte pour quelque cause que ce soit »

    Le terme de « résistance civile » résonne aussi en moi, à titre personnel et générationnel. J’ai 58 ans et j’ai grandi avec les récits sur la résistance. On est dans une situation où on a l’impression que si l’on ne fait rien, c’est comme si on acceptait ce qui se déroule devant nous. Résister c’est passer à l’action, même si c’est de manière non-violente. Il s’agit de ne pas accepter l’inacceptable. Le fait de s’assoir sur la route et d’encourir des mesures de privation de la liberté, la garde à vue, c’est malheureux d’en arriver là. Je n’ai pas un passé d’activiste, et je n’aurais jamais imaginé agir de la sorte pour quelque cause que ce soit.

    Le dérèglement climatique est un enjeu mondial, et les accords internationaux comme ceux visés par les événements tels que la COP27, qui vient de se tenir en Egypte, paraissent indispensables pour inverser la courbe. Pourquoi ne croyez-vous plus du tout en ces sommets mondiaux ?

    Je ne dirais pas que l’on n’y croit plus du tout, mais le constat c’est que l’on sait ce qu’il faut faire, on sait vers quelle catastrophe on se dirige. Et tout y contribue : les rapports scientifiques, les rapports du GIEC, les COP… Mais ce qui manque, c’est la volonté politique. Et donc notre campagne a pour ambition d’infléchir les actions politiques, de façon déterminante.

    Les militants de Dernière Rénovation lors de leur 8e action, en juillet 2022©Dernière Rénovation

    Pour porter vos revendications, vous avez récemment mené divers blocages du périphérique parisien, entrainant un certain retentissement médiatique, mais aussi le mécontentement des automobilistes. N’y a-t-il pas un risque de vous mettre à dos la population et d’être contre-productif avec ce type d’actions ?

    Evidemment les actions menées dans une logique de résistance civile sont des actions dérangeantes, et l’objectif n’est pas de perturber le quotidien des particuliers et d’être impopulaires. L’objectif est d’interpeller le gouvernement afin qu’il passe à l’action concernant nos revendications. Et le fait que les usagers soient bloqués sur la route pendant une demi-heure, une heure, et qu’ils soient furieux, avec des conséquences matérielles sur l’organisation de leur journée… cela ne nous fait pas plaisir ! Mais l’enjeu n’est pas de sensibiliser le plus grand nombre. Franchement en 2022, si le public veut être sensibilisé, il l’est.

    « Au rythme où l’on va, il faudrait 1 900 ans pour arriver au bout de la rénovation des passoires thermiques »

    On s’adresse avant tout au gouvernement, qui semble traiter la question de la rénovation thermique avec mépris. Il met en avant l’instauration de la prime Rénov’ (aide financière de l’État apportée aux propriétaires pour la rénovation énergétique de leurs logements, ndlr), mais sur les 700 000 logements qui devraient être rénovés, la rénovation globale n’en a touché que 70 000, dont seulement 12 500 ont été rénovés de manière efficace. Au rythme où l’on va, il faudrait 1 900 ans pour arriver au bout de la rénovation des passoires thermiques.

    Le fait de s’arrêter sur la route, c’est aussi une façon symbolique de dire « Arrêtons-nous », « Regardons ce qui se passe sous nos yeux ». La comparaison entre le dérangement d’être bloqué une demi-heure sur son trajet quotidien, par rapport à la situation qui risque d’arriver et qui commence à impacter des personnes vivant en France, de façon vitale ou matérielle, ça nous permet de continuer à croire en l’efficacité de cette campagne et de ces mesures.

    Cela peut paraître paradoxal, parce que comme vous l’expliquez vous vous adressez au gouvernement, mais vos actions visent la population…

    Oui je comprends, mais le problème c’est que le gouvernement n’entend pas les scientifiques, n’entend pas le Conseil d’Etat qui l’a condamné en 2020 et qui l’a enjoint à prendre des mesures réparatrices avant le 31 décembre 2022 ; le gouvernement n’entend pas le Haut Conseil pour le climat ; et surtout le gouvernement n’entend pas la Convention Citoyenne pour le Climat qu’il a lui-même mis en place. C’est bien une forme de mépris de l’action civique. Donc nos actions dérangeantes mais non-violentes c’est tout ce qui nous reste. Je suis lectrice de Kaizen, et j’essaie toujours d’agir à mon échelle, et j’ai toujours eu conscience de l’importance du vote et du militantisme classique… Mais cela ne suffit plus.

    Et c’est parce que l’on croit au pouvoir de l’Etat, et à son pouvoir de régulation que l’on s’adresse à lui ; j’aurais d’ailleurs très peur que le désespoir face à cette situation pousse à la violence, à des situations moins démocratiques. La résistance civile fait partie des instruments démocratiques pour faire ce qui est juste.

    Vos détracteurs soulèvent également que le lien entre vos actions, comme les blocages de route, et la rénovation énergétique, se fait difficilement. Que répondez-vous à cette critique ?

    C’est vrai que le lien n’est pas naturel. Ce n’est pas comme dans des situations historiques, où l’on désobéissait à une loi inique (très injuste), comme en s’asseyant dans un bus pour lutter contre la ségrégation. Ici la situation ne nous permet pas des actions de ce type. C’est pour cela que l’on organise des actions « coup de poing » et que l’on multiplie les blocages : le but est d’attirer l’attention médiatique et d’être au cœur des débats nationaux. C’est à l’occasion de notre apparition dans la presse, à la télévision ou à la radio que l’on peut expliquer notre revendication. A priori cela fonctionne depuis quelques mois.

    Que pensez-vous du terme d’« écoterrorisme » employé par des personnalités politiques pour qualifier certaines actions de militants écologiques ?

    Je ne me sens pas du tout concernée. On s’inscrit vraiment dans la non-violence et non dans la terreur. Le mot « écoterrorisme » renvoie au fait que les populations sont terrorisées. C’est vrai que les populations sont terrorisées, mais par ce qu’il va se passer. Quand on commence à s’interroger sur les bouleversements à venir de nos vies quotidiennes, sur ce qui va arriver à nos enfants, les exodes… Ça c’est terrorisant. Donc la terreur n’est pas de notre côté. Notre campagne donne beaucoup espoir ; en tout cas elle me donne espoir.

     

    [1] Le réseau A22 est structuré aux Etats-Unis, au Canada, en Australie, en Nouvelle-Zélande, en Suisse, en Allemagne, en Suède, en Norvège, au Royaume-Uni et en France. Chaque groupe national mène des actions non violentes pour porter une revendication précise auprès de son gouvernement.
    Pour beaucoup d’entre eux il s’agit de la rénovation globale et thermique des bâtiments, mais cela peut varier d’un pays à un autre : le collectif au Royaume-Uni prône notamment l’arrêt de l’importation des énergies fossiles, tandis que le mouvement au Canada milite pour l’arrêt de la destruction des forêts.


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