Dans une petite rue tranquille du nord de Paris, l’association Carton plein collecte des cartons usagés pour les nettoyer et les revendre. Livrés à vélo, ces cartons recyclés sont utilisés pour les déménagements. Une manière de lutter contre le gaspillage, tout en permettant à des personnes en grande précarité de reprendre contact avec le monde du travail. Reportage sur un projet qui tente de concilier exigences écologiques et sociales.
Cet article a été réalisé en partenariat avec le projet FuturePerfect (voir la présentation à la fin de l’article).
Au 33 rue du Nord, à Paris, se trouve une boutique peu commune, où l’on peut se procurer des cartons recyclés. À l’unité, pour ranger quelques objets devenus inutiles. Ou en grosse quantité, pour organiser un déménagement. Lancé par l’association Carton plein, ce recyclage se veut aussi solidaire : une partie de l’équipe est composée de personnes en réinsertion. « Les gens du quartier passent régulièrement au magasin acheter des cartons en petite quantité, mais le gros de notre activité se fait par Internet », précise Hélène, bénévole assidue de l’association, qui existe depuis 2012.
À l’origine du projet, il y a Francis, biffin, un habitué de la récup’ et du recyclage. Les tas de cartons abandonnés sur la voie publique parisienne le désolent. « La ville n’a pas les capacités de résoudre ce problème. Certaines entreprises s’en chargent, et s’en sortent bien puisqu’il y a une demande. » Avec l’un de ses amis, Antoine Aumonier, ils décident de collecter une partie de ces cartons, pour les réduire en gros ballots et les revendre. Mais le coût des machines, la place requise et les difficultés à revendre les ballots rendent peu viable le projet, qui évolue : les cartons, collectés chez des particuliers, auprès d’associations ou de professionnels, seront finalement nettoyés pour être ré-utilisés.
Déménagements écolos et solidaires
Dans l’atelier attenant à la boutique, deux « valoristes » s’activent. Ils piochent des cartons collectés sur une pile qui touche le plafond, les dépouillent de leurs scotchs et étiquettes, les classent en fonction de leur taille. Une partie des cartons seront livrés à vélo. « Les clients sont séduits par la démarche écolo de recyclage, par le côté réinsertion du projet et par le prix : c’est deux fois moins cher que le marché du neuf. » Trois salariés coordonnent l’atelier : un directeur, Do Huynh, et deux encadrants, l’un « technique » (Geoffroy), l’autre « social » (François). « Geoffroy s’occupe des livraisons et de l’entretien du matériel, notamment des vélos. C’est aussi lui qui forme les « valoristes » à la livraison. » François suit socialement les employés en réinsertion : leur santé, leurs démarches administratives, leur recherche de logement… Et discute avec eux de leurs perspectives, une fois sortis des cartons.
Autofinancée à 50 % grâce à la vente de cartons, l’association bénéficie de subventions et de soutiens publics via des emplois aidés. Plusieurs fondations la soutiennent – fondation Macif, Secours Catholique-Caritas, fondation Société générale. L’ essor des déménagements solidaires devrait renforcer l’autonomie financière du projet. « Depuis peu, nous proposons une aide au déménagement,précise Hélène. En général, pour des personnes qui organisent seules leur déménagement, et qui ont besoin d’un peu plus de bras que prévu. » Tarifé à l’heure, contrairement aux entreprises spécialisées qui tarifient au volume, ce service est effectué par des personnes en réinsertion, qui expérimentent là d’autres savoir-faire.
Aider des personnes en très grande précarité
Les gars qui débarquent au 33 de la rue du Nord sont, pour certains, très cabossés par la vie. Addictions lourdes, problèmes de santé sévères, vie dans la rue depuis parfois plusieurs années. « Ce sont des personnes en très grande précarité pour qui les chantiers de réinsertion classiques sont trop astreignants, explique Hélène. Ici, ils travaillent entre 3 et 6 heures par semaine. C’est une étape pour pouvoir ensuite travailler plus longtemps. » Carton plein bénéficie du « dispositif premières heures » (DPH). Financé par la ville de Paris, le DPH encadre ces contrats de travail à durée hebdomadaire très courte qui permettent de reprendre pied peu à peu.
Une quinzaine de « valoristes » en bénéficient pour le moment, leur nombre devrait doubler. Mais il y a aussi des personnes qui arrivent avec des soucis plus légers. « Ils ont besoin de parfaire leur français ou d’avoir une première expérience de boulot pour être crédibles ensuite face aux employeurs, décrit Geoffroy. Ils manquent de confiance en eux. » Ces parcours de vie divers font que le succès de l’opération est inégal, selon les personnes. « Certains enchainent sur des formations professionnelles, trouvent du boulot et parviennent à se stabiliser. D’autres disparaissent du jour au lendemain. »
Bientôt une seconde boutique ?
Qu’apprennent ceux qui restent ? « La rigueur requise par le travail, juge Hélène. Etre à l’heure, ne pas arriver en état d’ébriété, respecter les consignes données, travailler en équipe. » La livraison, à laquelle s’attèlent certains, permet de développer diverses compétences. Charger le vélo-livreur n’est pas si simple. Il faut ensuite lire un plan, apprendre à se repérer, évaluer les temps de trajets et travailler les relations avec les clients. Geoffroy sort un vieux plan plastifié de Paris et ajoute : « On apprend à lire le français, à différencier les impasses et les rues, on discute à propos d’un mot comme Faubourg, c’est l’occasion de faire un peu d’histoire… » Faire du vélo avec un solide chargement permet enfin de pratiquer une activité physique. Le tout sans trop de stress.
L’ambiance qui règne dans l’atelier et dans la boutique, où l’on peut se poser le temps d’un café, est bon enfant. Les « valoristes » y passent volontiers en dehors de leurs heures de travail. « Nous faisons de l’accueil inconditionnel, sourit Geoffroy. Ceux qui ont fini leur contrat et qui ont toujours besoin d’un coup de main côté accompagnement social passent nous voir. Certains viennent bénévolement nous aider. On garde un lien. Le fait que la structure débute, que le nombre de personnes aidées ne soit pas encore très élevé permet cette souplesse. » Un second site devrait ouvrir d’ici peu au sud de Paris.
Par Nolwenn Weiler
Cet article a été réalisé par Basta! dans le cadre du projet FuturePerfect.
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Bravo Carton plein !!