(Dé)marches politiques pour contester le pouvoir

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    Quel est le point commun entre Gandhi, Martin Luther King, les jeunes des banlieues françaises, les paysans du Larzac et les forestiers ? Tous ont organisé de longues marches pour affirmer leur identité. Décryptage.

    C’est une marche récente, mais peu connue. En septembre 2018, les forestiers de l’ONF (Office national des forêts) ont traversé la France pour défendre les forêts publiques. Et par là même, leur métier. « Nos forêts deviennent des usines à bois. Elles ne sont plus gérées durablement, elles tombent dans les mains du privé et des lobbies financiers. Nous voulions poser un acte politique fort pour alerter à la fois notre direction et l’opinion publique en allant à la rencontre des citoyens sur le terrain », explique Philippe Berger, coorganisateur de cette Marche pour la forêt. Pendant plus d’un mois, deux mille marcheurs se sont relayés pour arpenter la campagne. Quatre cortèges, partis de différentes régions, ont convergé vers l’emblématique forêt de Tronçais dans l’Allier. À l’issue, un manifeste signé par une vingtaine d’associations de protection de la nature (Greenpeace, la LPO, France nature environnement, Les Amis de la Terre…) rappelle que la forêt est un bien commun. « Nous voulions sortir de la manifestation traditionnelle. Des manifs, il y en a tous les week-ends à Paris où il est difficile de se faire remarquer. En organisant une longue marche en territoire rural, nous avons surpris tout le monde. On a affirmé pacifiquement notre identité. Ce fut déstabilisant pour les pouvoirs publics. Toutes les préfectures des départements traversés nous ont envoyé les gendarmes. En interne, cela a marqué les esprits. Tout le monde était impressionné par la logistique déployée pour créer des itinéraires, fédérer des énergies et héberger les marcheurs. Beaucoup d’habitants sont venus discuter et marcher avec nous. On a touché un nouveau public et relancé le dialogue avec la direction. On est véritablement sortis du bois ! »

    ©Marche pour la forêt

    Jouer sur la durée

    « Les longues marches désorientent le pouvoir, plus habitué aux manifestations ponctuelles, explique Danielle Tartakowsky, professeure d’histoire contemporaine à l’université Paris 8. Les marcheurs ne jouent pas sur le nombre, mais sur la durée. Ils montrent leur détermination en rompant avec leur confort quotidien. Ce n’est pas anodin de se lancer plusieurs semaines sur les chemins. C’est physique, il faut donner de sa personne, de son temps. C’est très fédérateur pour les participants et cela peut déboucher sur des solidarités plus larges en ralliant les populations des régions traversées à la cause. C’est une façon de prendre possession du territoire. » Si les longues marches sont rares en France, elles constituent une forme d’action privilégiée dans les mouvements sociaux américains depuis longtemps. La plus célèbre reste la marche pour les droits civiques menée par Martin Luther King en 1965 entre Selma à Montgomery (Alabama), soit environ 70 kilomètres. Partis à 3 200, les marcheurs étaient 25 000 à l’arrivée cinq jours après. L’impact politique fut considérable. Cinq mois plus tard, le président Johnson accordait le droit de vote aux citoyens afro-Américains. Les Indiens d’Amérique ont également effectué de nombreuses marches pour acquérir visibilité et reconnaissance. La plus longue dura cinq mois en 1978 entre la Californie et Washington. Hautement symbolique, elle rappelait les exils forcés des tribus déportées.

    « Forcer la sympathie des indifférents »

    En France, peu de marches restent dans la mémoire collective. Celle des paysans du Larzac fait figure d’exception. En lutte depuis sept ans contre le projet de création d’un camp militaire sur le causse aveyronnais, les paysans du Larzac décident en novembre 1978 de monter à pied à Paris. Une vingtaine effectueront les 710 kilomètres jusqu’à la capitale, soutenus en chemin par des milliers de sympathisants. À l’arrivée, ils sont quarante mille ! Reçus par le candidat à la présidentielle François Mitterrand, ils reçoivent la promesse – tenue – du retrait du projet. Souvent interrogé sur le sujet, José Bové estime que le plus important fut la durée. « Une manifestation aussi longue a un impact comparable à celui d’une grève de la faim. L’option non violente a assis notre légitimité et forcé la sympathie des indifférents. »

    Autre marche d’envergure, celle de 1983, pour l’égalité et contre le racisme, connue sous le nom de Marche des Beurs. Inspiré par les marches de Martin Luther King et de Gandhi [lire encadré], un petit groupe s’élance le 15 octobre de Marseille vers Paris pour dénoncer la répression policière contre la jeunesse d’origine maghrébine. La marche s’achève le 3 décembre par une manifestation de cent mille personnes dans la capitale. « Les marcheurs n’étaient pas des figures engagées dans la lutte politique, ils n’avaient pas le profil du militant classique. Cela a frappé l’opinion publique et les médias. C’était aussi la première grande manifestation de l’immigration en France », témoigne le politologue Foued Nasri. Le nombre de participants était volontairement réduit, mais à chaque étape, des comités d’accueil organisaient des réunions publiques dans les quartiers. Très médiatisée, cette marche a permis à la population française d’ouvrir les yeux sur un problème complètement sous-estimé. « Dans les quartiers populaires, les marches blanches qui ont lieu après le décès d’un jeune reprennent la même symbolique. C’est une façon pour la communauté de montrer qu’elle est touchée dans son intégrité et sa dignité. »

    Par Stéphane Perraud

    Pour aller plus loin

    www.marche-pour-la-foret.webnode.fr


    Gandhi en marche vers l’indépendance

    Entamée par le Mahatma Gandhi le 12 mars 1930 en vue d’arracher l’indépendance de l’Inde aux Britanniques, la « marche du sel » est une référence. Après avoir multiplié les manifestations non violentes et les grèves de la faim, Gandhi quitte son ashram au nord du pays accompagné de quelques disciples et de journalistes. Après 386 kilomètres à pied, il arrive le 6 avril au bord de l’océan Indien. Il s’avance dans l’eau et recueille dans ses mains un peu de sel. Par ce geste symbolique, il encourage ses compatriotes à violer le monopole d’État sur le sel. Les Indiens avaient alors interdiction d’en récolter. Sur la plage, la foule grossit et imite le Mahatma. L’exemple est suivi partout dans le pays. Les Britanniques jettent soixante mille contrevenants en prison. Gandhi lui-même sera incarcéré avant que les autorités reconnaissent leur impuissance à imposer leurs lois. Libéré, Gandhi est reçu à Londres. L’Inde deviendra indépendante en 1947.

    ©Wikimedia

     


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