À Nantes, trois femmes ont créé la première coopérative funéraire de France. Sans exercer de pression commerciale, elles proposent des cercueils écologiques et en marbres recyclés. Surtout, elles font en sorte que les familles se réapproprient la cérémonie d’adieu.
« On se sent bien, chez vous. » L’homme qui vient d’entrer dans les locaux de la Coopérative funéraire de Nantes pour organiser l’incinération de sa mère semble étonné de ses propres mots. Il s’est assis sur le canapé d’un salon coloré et chaleureux. Ici, pas de fleurs en plastique, ni de marbrerie. La coopérative est pourtant bien une agence de pompes funèbres. Mais ses trois créatrices – Sabine Le Gonidec, Sophie Dronet et Brigitte Brodin – ont justement voulu en casser les codes.
Quand, en 2012, Sabine Le Gonidec perd sa grand-mère, elle découvre le monde des pompes funèbres : « La plupart des petites entreprises ont été rachetées par deux gros groupes : Funecap et OGF, ce dernier étant détenu par un fonds de pension canadien. » Leaders du marché, ils innovent peu et augmentent chaque année leurs tarifs. Elle décide alors de proposer autre chose. En 2015, elle fonde avec Sophie Dronet et Brigitte Brodin l’Association pour des coopératives funéraires françaises, en s’inspirant des coopératives nées aux États-Unis et au Québec dans les années 1980. « Là-bas, certaines familles n’avaient plus les moyens de s’offrir des funérailles devenues trop coûteuses, raconte Sabine Le Gonidec. Et, de même qu’un mouvement avait milité pour des accouchements moins médicalisés, les gens voulaient un retour à des funérailles plus humaines. »
Avant, les obsèques, prises en charge par la communauté religieuse et familiale, avaient lieu à la maison. « On voyait le corps dépérir, ce qui aidait les familles à se détacher et rappelait qu’il y a une place pour les vivants et une autre pour les morts », poursuit la cocréatrice de la coopérative nantaise ouverte en octobre 2016. Aujourd’hui, la thanatopraxie (les soins de conservation des corps) et les salons funéraires hygiénistes sont devenus la norme, « comme si la mort, c’était sale », déplore encore Sabine Le Gonidec.
Aider les familles à donner du sens à la cérémonie
Au cœur de la démarche des trois salariées de la coopérative se trouve le soutien aux familles. « On travaille la cérémonie avec elles, pour qu’elles ne subissent pas ce moment, mais qu’elles se le réapproprient », détaille Diane Sagard, conseillère funéraire vacataire. « Le déni et l’évitement n’effacent pas la tristesse. Au contraire, être actif et vivre cet instant aide à amorcer le deuil. » La coopérative s’écarte des cérémonies « classiques » pour être au plus près de l’histoire du défunt. « On a imprimé des photos de nature sur un cercueil en carton, permis à une famille réunie de décorer un cercueil à la peinture, aidé une autre à trouver des tissus chatoyants pour capitonner la bière d’une femme qui adorait l’Inde… »
Sophie Dronet, maîtresse de cérémonies, a animé des hommages où six cents personnes chantaient la chanson préférée de l’homme décédé, où la salle était décorée avec la collection des foulards de la défunte, ou bien où les amis cyclistes du mort escortaient le cercueil en peloton. Il ne s’agit pas de chercher l’excentricité, mais de laisser les proches donner du sens à la célébration, y compris avec joie. « Cela ne veut pas dire que c’est facile, insiste Diane Sagard, ancienne intermittente du spectacle. Cela implique d’échanger sincèrement avec la famille. On ne se cache pas derrière des étapes techniques. On fait tout de A à Z : on porte le défunt dans nos bras pour la mise en bière, on s’imprègne de son histoire, on accueille les émotions de la famille… C’est un accompagnement global. »
Une démarche écologique
La coopérative s’est aussi engagée dans une démarche écologique. La décoration du salon d’accueil a été intégralement réalisée à partir d’objets recyclés par une décoratrice nantaise. « Nous proposons des cercueils en carton, en bois écoresponsable et sans solvants, explique Sabine Le Gonidec. Ainsi que des tombes végétalisées et des marbreries d’occasion récupérées par la Ville de Nantes. » Les salariées aimeraient disposer d’un cimetière naturel, mais il n’en existe qu’un en France, et il est à Niort (à retrouver dans Kaizen 35).
« Parce que vous avez été présentes et douces, les funérailles de mon grand-père sont devenues un bon moment », a écrit une femme sur le livre d’or. « Ce dont on se souvient à un enterrement, ce n’est jamais la qualité du cercueil, mais l’expérience humaine qu’on vit pour dire au revoir à quelqu’un qu’on aime, sourit Sophie Dronet. En étant honnêtes, une confiance s’installe et de magnifiques choses se passent. »
Pour des tarifs équitables
Les trois fondatrices, devenues salariées de la coopérative, ont investi de l’argent. Ainsi que trente-deux autres signataires des statuts : des personnes qui désirent utiliser les services de la coopérative en prévision de leur propre décès ou lors du décès d’un proche. Peu importe qu’ils aient investi 20 euros ou 5 000 euros, ils détiennent les mêmes avantages. Ils ont choisi le statut de SCIC (société coopérative d’intérêt collectif) : « Cela permet une gouvernance partagée sans logique financière et une transparence totale », soutient Sabine Le Gonidec.
Les coopérateurs sont aujourd’hui deux cents. Ils sont collectivement propriétaires de la coopérative et ont un regard sur les prix des prestations. Une crémation coûte par exemple 3 200 euros (dont 729 euros de taxes dues à l’État, 775 euros de cercueil, 615 euros de convoi et 990 euros d’accompagnement).
Ailleurs, elle revient en moyenne à plus de 3 600 euros. Un tarif de base affiché à 1 400 euros peut vite grimper, jusqu’à plus de 6 500 euros selon l’UFC-Que choisir. « Certaines pompes funèbres prescrivent des prestations non obligatoires qui font vite gonfler la facture, regrette Sabine Le Gonidec. Comme les soins de thanatopraxie et le salon funéraire. Et elles font de fortes marges sur les produits qu’elles revendent, par exemple la marbrerie et les fleurs. » Il n’est pas rare qu’un cercueil acheté 90 euros en Europe de l’Est soit revendu 900 euros. « Nous sommes dans une démarche complètement différente. Nous proposons peu de produits. Notre coefficient de marge ne dépasse pas deux. Nous ne cherchons donc pas à faire de pression commerciale sur les familles. Nous facturons simplement le temps passé à les accompagner, selon leurs besoins. »
Financer des actions non rentables
La gestion est donc désintéressée. Les tarifs ne visent pas le profit, mais servent à payer le salaire et la formation des salariées et à pérenniser l’entreprise. La coopérative a accompagné trente-et-une familles depuis octobre 2016. Elle espère faire plus et essaimer. « Pour le moment, nous nous versons un petit salaire à temps partiel. En 2017 et 2018, il nous faudrait accompagner huit convois par mois pour que le projet soit viable », révèle Sophie Dronet. L’équipe est optimiste : au Québec, les coopératives funéraires détiennent 40 % du marché funéraire. Par la suite, les coopérateurs nantais ont pour ambition de financer des actions non rentables : un fonds d’aide aux obsèques des personnes vivant dans la rue ou des opérations de sensibilisation pour lever le tabou de la mort.
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