L’association ouvrière des compagnons du devoir et du tour de France propose aux jeunes, dès la troisième, différents parcours en alternance pour apprendre près de trente métiers de l’artisanat. Entre mythe et réalité, rencontre avec les compagnons du xxie siècle.
« S’orienter vers les compagnons, c’est faire le choix d’exercer un métier passionnant et de viser l’excellence », présente le compagnon Simon Voyer, charpentier de formation. Il dirige depuis son ouverture en mars 2015 la maison de Pantin (93), l’une des cinquante-quatre maisons des Compagnons du devoir. Pour Lucie, 17 ans, ce choix était une évidence : depuis l’enfance, elle a toujours voulu être dans le compagnonnage et fabriquer des produits de ses mains ; elle a donc choisi la filière maroquinerie. Elle fait partie des 10 % d’effectifs féminins de l’Association ouvrière des compagnons du devoir et du tour de France (AOCDTF) ; l’ouverture aux jeunes filles de l’institution ayant eu lieu en 2004. Quant à Andréas, 17 ans, également apprenti maroquinier, il a rejoint les Compagnons pour ne pas être assis derrière un bureau, mais faire quelque chose de beau avec ses mains. Damien, 16 ans, en filière plomberie, exprime lui sa volonté d’apprendre un métier en le pratiquant.
Ces trois adolescents sont entrés par la filière apprentissage. Ouverte aux non-bacheliers de 15 à 21 ans, elle offre une formation en alternance de deux ou trois ans, à l’issue de laquelle ils obtiennent un certificat d’aptitude professionnelle (CAP) ou baccalauréat professionnel. Deux autres voies d’entrée existent pour les moins de 22 ans : la prépa métier – pour les bacheliers –, et la prépa tour de France [lire encadré] – pour les titulaires d’un premier diplôme dans l’un des vingt-neuf métiers des Compagnons du devoir. À 18 ans, un bac S en poche, Lucas Prieur a rejoint les Compagnons en chaudronnerie. « Passionné par la forge traditionnelle depuis que je suis gamin, j’aime travailler avec le feu et l’acier. Mon projet, c’est de faire le tour de France et d’aller jusqu’au bout. »
Transmission de savoirs
Le compagnonnage propose d’apprendre en alternance et parfois en mobilité un métier lié à la transformation de la matière, tout en partageant les valeurs fortes que sont l’entraide, la transmission du savoir et la volonté de toujours mieux faire. Les vingt-neuf métiers de l’AOCDTF se répartissent en six catégories : filière industrie-métallurgie, métiers du goût, métiers du vivant, bâtiment, aménagement-finition et matériaux souples. « En filière maroquinerie, je suis apprentie chez un fabricant de sacs de luxe. Je touche à tout comme les autres employés. Ils m’apprennent et ça me motive », raconte Assa Fofana. Retransmettre ce qu’on a appris, voilà le premier devoir du compagnon.
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Le terme trouve d’ailleurs son origine dans le latin populaire companio, « celui qui mange le même pain », signe d’une solidarité toujours présente. Ancré dans huit siècles d’histoire, le compagnonnage est une manière unique de transmettre des savoirs au travers de l’apprentissage, de l’itinérance éducative et des rituels initiatiques qui balisent le parcours. Le premier d’entre eux est celui de l’adoption. Durant cette cérémonie, l’apprenti devient un aspirant apte à partir sur les routes du tour de France. Il se voit remettre la couleur de son métier à porter en écharpe et une canne, symbole de l’itinérance. À la fin de son tour de France, il pourra prétendre à être reçu compagnon lors de la cérémonie de réception au cours de laquelle il présentera son chef-d’œuvre, mais… les compagnons tiennent à en garder secret le contenu ! Pour toutes ces raisons, l’Unesco a inscrit le compagnonnage sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité en 2010.
En alternance en entreprise, les jeunes voient très vite si le métier leur convient. « Quand je suis à l’atelier, le temps passe tellement vite. Ça me confirme que c’est ce que je veux faire », témoigne Damien Chahuneau, 16 ans, apprenti plombier. « Ici, on se débrouille tout seuls, on nous apprend à devenir autonomes. » Une autonomie également encouragée à travers la vie en communauté, l’une des particularités des Compagnons du devoir. Obligatoire sur le tour de France, elle reste à la discrétion de chaque apprenti en dehors de ce dernier. La pension mensuelle (à partir de 590 euros) couvre chambre et repas. « J’adore cette vie en communauté, confie Assa Fofana. On découvre toujours de nouvelles personnes. Au lycée, je n’avais pas vraiment d’amis. Ici, on est tous différents, du coup les relations sont beaucoup plus faciles, les échanges fluides. »
Une fois diplômés, les jeunes peuvent soit directement entrer dans la vie active – 60 à 75 % font ce choix –, soit s’engager dans un tour de France pour devenir compagnon. S’ils le souhaitent, ils peuvent décrocher une licence professionnelle. Si les Compagnons du devoir sont une référence en matière de qualité, la filière d’apprentissage en général souffre encore d’une image cloisonnée. « Un artisan maçon n’est pas condamné à monter des parpaings toute sa vie », objecte Simon Voyer. « Une quarantaine de métiers s’ouvrent à lui et, s’il passe des diplômes de niveau supérieur, il peut être chef d’équipe, chef de chantier, chargé d’affaires, chef d’entreprise ou encore technico-commercial. »
Le tour de France : le défi du compagnon
On ne devient pas compagnon sans avoir voyagé ! Rémunérés au Smic voire plus, les aspirants à ce titre doivent réaliser un « tour de France ». Pendant une durée moyenne de cinq ans, ils vivent l’expérience d’une mobilité géographique et professionnelle – ils déménagent en moyenne tous les six mois – en France et à l’international. Une fois compagnons, ils deviennent en grande majorité artisans, chefs d’entreprise ou cadres. « On est loin de sa famille et de ses amis, ce n’est pas facile tous les jours, admet Xavier Avodo, compagnon plombier. Mon tour de France a duré sept ans. J’y ai appris la patience, le courage et à prendre du recul. Mais j’avais une forte motivation, la curiosité, cette envie de toujours rencontrer de nouvelles personnes, découvrir de nouvelles façons de faire. » Âgé de seulement 24 ans, il est aujourd’hui formateur à la maison de Pantin.
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