Comment former les cantines scolaires à la cuisine bio et alternative ?

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    Dans les cantines, la loi Egalim fixe d’ici 2022 un objectif minimum de 20% de produits bio et expérimente la proposition d’un plat végétarien par semaine. Formateur en cuisine alternative depuis 1997, Gilles Daveau enseigne aux cuisiniers de cantines comment préparer des aliments peu connus.

    Gilles Daveau explique comment il est possible de cuisiner des légumineuses dans des plats sucrés pendant que Thierry, cantinier à Angers prépare un fondant au chocolat / © Laura Remoué

    Une texture moelleuse, le goût du chocolat fondant en bouche… « On ne dira peut-être pas tout de suite aux enfants qu’il y a des haricots dans ce gâteau, parce que c’est avant tout un bon gâteau au chocolat ! », propose Gilles Daveau, formateur, à neuf chefs cuisiniers savourant leur préparation.

    Dans la cantine de l’école primaire Les Pierres Bleues, à Segré (49), Gilles Dersoir laisse ce mercredi matin approcher d’autres cuisiniers de ses fourneaux. Chef de cette cantine depuis vingt ans, il apprend depuis quelques temps à modifier ses habitudes alimentaires.
    Alors que dehors, l’heure de la récréation a sonné pour les enfants, les cuisiniers enfilent leur tablier pour expérimenter une cuisine végétale et biologiques. En quelques minutes, tout le monde s’active, taille les poireaux en longueur, coupe les carottes en lamelles… Cuillère à la main, chacun est invité à goûter chaque étape des préparations, allant de découverte en découverte. D’abord, une purée sucrée de haricots blancs permet d’apprivoiser les possibilités des légumineuses. Bientôt, avec la dégustation des gâteaux, tous sont conquis, si bien que Gilles Dersoir, le cuisinier de l’école, en profite pour lécher la marquise recouverte des restes de l’appareil !

    Les cuisiniers dégustent leur préparation / © Laura Remoué

    « Cuisiner autrement ? » Pour le spécialiste de la cuisine alternative c’est possible. Depuis 1997, Gilles Daveau enseigne dans les cantines scolaires, avec pour mantra « manger moins et mieux de viande » (collection Je passe à l’acte ! , Actes Sud / Kaizen). Encouragés par les enjeux écologiques et la loi EGAlim (2018) qui instaure d’ici 2022 un minimum de 20 % de bio dans les cantines et met en place une expérimentation de deux ans d’un repas végétarien par semaine, les collectivités et cuisiniers se retrouvent dans l’obligation de végétaliser l’alimentation des enfants et de soigner les produits utilisés.
    « Le but n’est pas de cuisiner végétarien, mais de diversifier les menus. Car le problème n’est pas la viande, mais l’excès de viande », insiste le formateur. Dans cet objectif, adresser ses formations aux cantines scolaires était primordial pour lui : « C’est un enjeu majeur ! Elles représentent la culture du grand public et la vérité est qu’on mange avec sa culture, non avec sa raison ».

     

    La viande, un champ miné d’idées reçues

    Entre deux gorgées de café, chacun décline à ses voisins son identité et son lieu de travail. Tous viennent des environs. Aujourd’hui, la formation est proposée par l’intermédiaire du GABB Anjou, syndicat actif en matière de transition vers le bio, et les cuisiniers se sont donc portés volontaires. Marc, cuisinier à Erdre d’Anjou, se présente et ne cache pas son enthousiasme : « Moi c’est déjà tout bio pour 220 couverts ! » Tout au long de la matinée, il ne cesse de griffonner sur son carnet les multiples conseils du formateur. Gilles Daveau précise : « Lorsque la formation est commandée par la direction d’un établissement ou une collectivité j’ai beaucoup plus de personnes réticentes face aux nourritures végétales. L’autre jour, la majorité de mes élèves ne croyaient pas qu’il était possible de nourrir des enfants sans viande ».

    Le formateur arrive en effet sur un terrain miné d’idées reçues. « Qu’apporte la viande d’après vous ? » questionne-t-il. « Des muscles, de la force », lui répondent timidement les cuisiniers. « Ce qui amène de l’énergie, ce sont les sucres lents », corrige Gilles Daveau. Il explique ainsi les craintes relatives au terme « végétarien », qui n’a comme définition que l’absence de viande qui, dans l’imaginaire collectif, signifie une absence de force et de croissance. « Mais la viande ne contient que 20% de protéines, tandis que des légumineuses comme le soja peuvent en contenir jusqu’à 40% ! ».

    Il invite le groupe à se pencher au-dessus d’une table couverte de pots de graines en tout genre : céréales, légumineuses et oléagineux. Ensemble, ils les nomment et le formateur ajoute à l’échange des anecdotes historiques et culinaires. « Au Maroc, cela n’est pas couscous royal tous les jours ! La base de l’alimentation, c’est pois chiche et boulghour. De même en Inde, on associe le riz et les lentilles. C’est en fait parce que les céréales comme les légumineuses ont des apports intéressants, mais qu’il manque à chacune un acide aminé différent. Le tout est donc de les combiner pour équilibrer le repas. C’est à la base de toutes les cuisines populaires !».

    Gilles Daveau fait découvrir ou redécouvrir légumineuses, céréales et oléagineux aux cuisiniers / © Laura Remoué
    Entre autres, les jolies cornilles aussi appelées les « black eyed peas » en raison de leur œil noir / © Laura Remoué

    Mais s’il y a bien un aliment que Gilles Daveau compte mettre à l’honneur aujourd’hui, c’est la mogette, un haricot blanc cultivé localement. « Et on va en faire un fondant au chocolat ! » Les apprentis se tournent les uns vers les autres, sans doute un peu sceptiques. Le formateur s’explique : « L’erreur que l’on fait quand on supprime la viande est de croire que les protéines ne doivent se retrouver que dans le plat de résistance, vous allez voir que cela peut se cuisiner de l’entrée au dessert. »

    « C’est fin, ça se mange sans faim… Mais quand on a le temps ! », réplique Blandine, qui gère avec deux collègues 540 couverts dans son établissement. Sylvie également aimerait pouvoir confectionner ces gâteaux aux enfants de sa cantine mais, par manque de temps, ne peut leur proposer pour le moment que des yaourts ou crèmes industrielles.
    Car changer ses habitudes chez soi et dans une cantine est bien différent. Les cantiniers sont cuisiniers, gestionnaires des menus et des commandes. « J’essaierai d’abord ce genre de repas chez moi ou lors d’un événement pour lequel je suis bénévole » assure Sylvie, inquiète des premiers échecs potentiels.

     

    La valeur de l’alimentation de nos enfants

    Entre eux, les cuisiniers comparent leur budget de coût de revient des matières premières. « 1,50€ », « 1,40€ » … Plus tard au déjeuner, Gilles Daveau profite de la présence des élus pour exprimer son mécontentement. « Quand j’entends pour certains établissements qu’on est à 1,40€ par collégien c’est aberrant ! On peut faire toutes les formations qu’on veut, si on estime que c’est cela la valeur de l’alimentation de nos enfants on ne peut rien faire ! »

    Il assure tout de même qu’une cuisine de cantine faite à partir de bons produits, bio, est possible. De temps à autre, il affiche donc les prix : « Le flan à la pomme que vous venez de manger, c’est 0,20€ par enfant, totalement en bio ».

    Pour répondre à toutes ces contraintes, le programme de Gilles Daveau s’associe avec celui de Thierry Marion, lui aussi formateur et spécialiste de la « cuisine évolutive » qui réapprend les temps et qualités de cuisson, permettant d’économiser en temps, en matière première… Et donc en argent.

     

    Profession : cuisiniers de haricots magiques

    Bientôt le chariot se remplit et bientôt déborde de plats appétissants : un gratiné breton au sarrasin, des nouilles sautées, un crumble de printemps… À 13h les convives arrivent. Le formateur invite ses élèves à présenter leurs plats, « comme si les élus étaient des enfants de huit ans ». Pris au dépourvu, ils deviennent hésitants face à cet exercice bien plus difficile qu’il n’y paraît. « Il ne faut pas détailler le contenu des plats aux enfants mais leur raconter des histoires, se rapporter à des contes », leur conseille le formateur.

    Marjorie, cuisinière, présente sa sardinade aux maires délégués de Segré-en-Anjou-Bleu et à Marion Neel, directrice des affaires scolaires / © Laura Remoué

    Autour du buffet, les adultes sceptiques sont rapidement conquis. Alors que l’adjoint aux affaires scolaires Jérôme Berthelot ironisait : « Je suis curieux de savoir comment on peut bien faire de la mayonnaise sans œufs », il lance à son départ à la cuisinière « Marjorie tu m’enverras la recette de la mayo ! » Attablé avec les maires des communes déléguées de Segré-en-Anjou-Bleu, ces derniers se réjouissent de « s’orienter vers autre chose », « même si cela manque de variété de sauces », ajoute toutefois Daniel Brossier, maire délégué de Noyan-la-Gravoyère. Marion Neel, directrice des affaires scolaires, discute durant le déjeuner avec Gilles Dersoir, le chef de cantine. « On a quand même fait des choses, rappelle-t-elle, sur 13 lots que l’on achète désormais, il y en a 9 de bio ou de local ». Pour autant, les élus présents admettent ne pas prévoir actuellement des objectifs plus ambitieux que ceux fixés par le gouvernement.

    Peu fournies en viande, les assiettes n’en sont pas moins appétissantes / © Laura Remoué

    Toujours au cœur des discussions, les enfants accepteront-ils de manger ces plats plus verts ? En fin de journée, l’équipe débrief et Thierry, chef de cantine dans un collège d’Angers, avoue qu’il était au départ plutôt sceptique. « J’ai déjà essayé des mélanges de céréales industrielles et cela n’a pas marché. Même la piémontaise et la tarte aux pommes, les enfants n’en veulent plus désormais ». « Ce que tu peux faire c’est les y habituer progressivement, en mettant quelques grains de sarrasin sur une portion de riz habituelle », propose Gilles Daveau. Les apprentis repartent avec le sourire de la découverte et de nouvelles idées en tête. L’enjeu désormais : être rejoint dans leur démarche par une volonté politique et pédagogique, pour développer une approche ludique et attractive de la cuisine alternative !

     

    Par Laura Remoué


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