Comment donner accès pour tous à une alimentation de qualité et durable ?

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    Dans les années 1960, l’agriculture s’est modernisée en portant la promesse de nourrir toute la France de manière satisfaisante. Dans le documentaire « La part des autres », les réalisateurs Jean-Baptiste Delpias et Olivier Payage questionnent notre système alimentaire actuel qui en découle et qui appauvrit tant les producteurs que les consommateurs. Au-delà de ce constat amer, le film met en lumière des pistes pour favoriser un accès digne pour tous à une alimentation de qualité et durable. Entretien avec le réalisateur Jean-Baptiste Delpias.

    Comment le documentaire « La part des autres » est-il né ?

    Tout est parti de Jean-Claude Balbot, paysan et éleveur à la retraite, et administrateur à la Fédération nationale des Civam (Centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural) à l’époque. En tant qu’agriculteur, il s’est longtemps interrogé sur la longue chaîne alimentaire : « Où va ce que je produis ? A qui est-ce destiné ? Est-ce que mes produits intègrent l’agro-alimentaire, ou nourrissent directement les citoyens ; et dans ce cas quels citoyens ? ». De ce questionnement personnel a découlé un sujet plus global et politique, celui de la sécurité sociale alimentaire[1], hélas toujours d’actualité. On a réalisé « La Part des autres » en 2019, suite à une commande du CIVAM, depuis le nombre de bénéficiaires de l’aide alimentaire a explosé suite à la crise sanitaire.

    Pour comprendre ce qui se cache derrière cette précarité alimentaire, on a souhaité alors aller à la rencontre des producteurs, des consommateurs et des acteurs sociaux un peu partout en France (en Bretagne, dans l’Hérault, dans la Marne, etc.) pour prendre le pouls de cette problématique. Car dans certains territoires, des personnes n’ont tout simplement pas l’argent, le fric pour se nourrir correctement. Et d’un autre côté, les producteurs peinent également à se dégager des revenus décents. Sur un pain à un euro, six centimes reviennent au céréalier et seulement deux centimes rémunèrent le travail de ce dernier.

    Vous présentez dans votre documentaire l’aide alimentaire comme « un signe de l’échec de la politique alimentaire qui appauvrit à la fois les producteurs et les consommateurs ». Qu’est-ce que vous entendez par là ?

    Ce n’est pas évident à exprimer, mais la pauvreté crée des richesses. Je le dis un peu violemment, mais cette aide alimentaire[2] fait fonctionner les associations, les supermarchés qui limitent ainsi leur gaspillage et défiscalisent leurs dons (plutôt que de jeter leurs invendus et devoir les payer[3]). Cela permet à beaucoup de structures de se débarrasser de produits que l’on ne veut plus consommer. Car souvent les produits qui composent l’aide alimentaire sont des produits en fin de vie. Sous couvert de l’anti-gaspi, de l’écologie… certains acteurs peuvent clairement s’enrichir.
    Même si cette aide alimentaire est nécessaire, et que le travail des bénévoles et des travailleurs sociaux est remarquable, ce serait préférable qu’elle n’existe plus sur le long terme. Lorsque Coluche a lancé les Restos du Cœur c’était dans l’esprit d’un « one shot » (événement qui se produit une fois, ndlr) pour répondre à une situation d’urgence, non pas pour en faire une politique structurelle.

    On traite également dans le documentaire de la violence alimentaire. Il s’agit plus d’un concept sociologique autour du fait que l’on propose des produits de moindre qualité à des personnes qui n’ont rien, et cela peut créer des tensions. Sans compter le manque de choix… Comme lorsque l’on donne du porc à des musulmans, pour partir d’un exemple très concret et très cru. Bénédicte Bonzi, anthropologue spécialiste du sujet, en parle très bien dans le documentaire.

    17 millions de Français.e.s sont insatisfait.e.s de ce qu’ils mangent (image du film).

    Car si l’alimentation est perçue avant tout comme un besoin primaire, vous mettez aussi en avant son rôle social. En quoi manger peut être un vecteur d’intégration ?

    En effet chacun et chacune peut connaître la solitude en mangeant, riche ou pauvre par ailleurs. Et on a bien perçu ce que cela changeait dans notre rapport à la nourriture. On cite dans notre documentaire une phrase rapportée par un participant : « La nourriture a d’abord le goût des autres, de ceux avec qui on mange ». Le ragout n’a pas le même goût si on le mange tout seul plutôt que partagé dit autrement.

    Dans votre documentaire, vous présentez des pistes pour recréer du lien entre les producteurs et les consommateurs, et favoriser l’accès à tous à une alimentation durable. Pouvez-vous nous en présenter une ?

    En effet, en s’immergeant dans certains territoires, on a pu découvrir des solutions face à cette problématique alimentaire. A Brest par exemple, des habitants du quartier Keredern se sont associés au Civam 29 pour travailler à la question de l’accès à l’alimentation. Ils organisent notamment de la vente directe de produits issus de fermes des Monts D’Arrée (Finistère) dans le quartier (Le Cabas des champs), mais aussi des événements conviviaux, comme des repas ou des visites d’exploitations. Cela fait vivre les petits producteurs du coin, donne accès à des produits sains et durables aux habitants et crée du lien entre ces deux maillons de la chaîne. C’est un petit laboratoire de ce qui pourrait devenir grandeur nature.

    Vous n’êtes pas à l’initiative du documentaire, qu’est-ce qui vous a le plus marqué en vous intéressant à ce sujet ?

    De belles rencontres. On est par exemple restés plusieurs jours dans le quartier Keredern de Brest, et on a pu parler sans filtre avec les habitants de ces barres d’immeubles. On nous a dit des choses assez fortes, comme une fois : « Je préfère acheter du tabac plutôt que manger ». C’est dur à entendre mais c’est une réalité à prendre en compte.
    Et personnellement, je ne suis pas imperméable à ces problématiques-là. Bien s’alimenter, la question se pose également pour moi. Je vis dans un quartier très populaire dans le Nord de Montreuil, donc je n’ai pas forcément accès à de bons produits, ni l’argent pour les acheter. C’est malheureusement un sujet assez global qui touche de plus en plus de monde.


    [1] Ce projet est porté en particulier par Ingénieurs sans frontières – Agricultures et Souveraineté alimentaire (ISF-Agrista), et le réseau CIVAM, pour protéger les individus contre la faim, au même titre que la sécurité sociale nous assure un service médical minimum, tout en transformant notre modèle agricole vers plus d’autonomie.

    [2] 8 millions de personnes dépendent de l’aide alimentaire en France, qui a doublé entre 2009 et 2018, suivi d’une hausse d’environ 10 % entre 2019 et 2020.

    [3] Depuis la loi dite « Garot en 2016 », la destruction des invendus consommables est interdite et les opérateurs de gros commerce sont soumis à des amendes en cas de destruction. Pour en savoir plus sur l’évolution législative sur le gaspillage alimentaire en France : https://agriculture.gouv.fr/lutte-contre-le-gaspillage-alimentaire-les-lois-francaises


    Ce documentaire sera diffusé dans le cadre du festival Alimenterre et de ses nombreux événements (projections, ciné-débats, etc.) qui se tiendront jusqu’au 30 novembre un peu partout en France. Plus d’informations à retrouver sur la page des CIVAM (achat en DVD possible) : https://www.civam.org/experimenter-sur-les-fermes/pour-une-alimentation-de-qualite-et-durable-accessible-a-tous/la-part-des-autres-le-film/

     

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