Combien d’humains la Terre
    peut-elle supporter ?

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    Aujourd’hui, 7 milliards d’individus peuplent la Terre. Nous serons 10 milliards en 2060 selon le dernier rapport des Nations unies. Pourrons-nous décemment vivre aussi nombreux sur la planète ?

     

    Jacques Véron est directeur de recherches à l’Institut national d’études démographiques (INED), auteur de Démographie et écologie (La découverte, mars 2013).

     

    Jacques Véron-2

     

    Lorsqu’on s’interroge sur la durabilité de notre mode de développement actuel, on évoque souvent la croissance économique, les inégalités sociales, la destruction de la biodiversité, mais beaucoup plus rarement l’augmentation du nombre d’habitants sur la planète. Y a-t-il un tabou à ce sujet ?

    La question de la population déroute, on ne sait pas comment la traiter. La démographie est un champ interdisciplinaire, c’est ce qui fait sa force et sa faiblesse. Elle touche à la biologie, à l’économie, à la sociologie, à l’histoire, etc. Plusieurs univers scientifiques différents se confrontent. Par exemple, lorsque les biologistes parlent de démographie, ils le font de façon simple ; cela ne diffère guère pour eux de la reproduction des lapins. Pour les démographes en revanche c’est tout autre chose : la fécondité humaine dépend de facteurs culturels, de processus historiques et d’autres données. La rencontre de ces disciplines ne facilite pas la reconnaissance de la démographie en tant que telle. C’est pourquoi les démographes ont fini par adopter une position de retrait au sujet de la pression exercée par l’accroissement de la population sur les ressources naturelles. Les débats à ce sujet se réduisent à un conflit entre optimistes et pessimistes…

    L’optimiste, dans ce cas, estimerait selon vous que la population ne représente pas une menace pour l’environnement ?

    Oui, mais je pense que ce n’est pas le sujet. La démographie est affaire de scientifiques, il est question de chiffres, on fait de la prospection. En tant que démographe, il faut éviter les jugements de valeur et les termes engagés comme « menace ».

    Que dit justement la science quant à la perspective d’arriver à 10 milliards d’individus sur Terre ? Est-ce possible ?

    C’est possible avec nos modes de production actuels. C’est du moins ce qu’indiquent plusieurs rapports, notamment ceux de la FAO (Food and Agriculture Organization, l’organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture). Le propos devient plus politique si l’on considère la qualité de vie et non pas la faisabilité : on ne peut pas dire que ces 10 milliards d’humains seront nécessairement bien nourris et en bonne santé. Le véritable enjeu, c’est de savoir dans quel contexte la population mondiale va poursuivre sa croissance. Deux questions essentielles se posent : la première concerne le coût environnemental des augmentations de productivité qui seront inévitables. Aujourd’hui les révolutions vertes des années 1970 sont l’objet de critiques ; elles ont certes permis d’améliorer les rendements de manière significative, mais elles ont eu un impact important sur l’eau, l’irrigation, l’assèchement des fleuves, l’utilisation d’engrais, le mode de vie de paysans déboussolés par un système de production très différent… Il faudrait revenir à des manières de produire plus douces, plus respectueuses de la planète. Le second enjeu, c’est la solvabilité des populations, c’est-à-dire la possibilité pour les plus pauvres de disposer de la ressource alimentaire nécessaire. Dans quelle mesure les gens pourront-ils accéder à cette nourriture effectivement produite ? Le débat sur la possibilité du 10 milliards s’établit beaucoup sur la potentialité agricole, non sur les questions de répartition des richesses, pourtant essentielles.

    Qu’en sera-t-il alors de l’épuisement des ressources, de la destruction des écosystèmes et de la perte de biodiversité ?

    Je ne pense pas que l’épuisement des ressources soit le plus préoccupant. Quant à la destruction des écosystèmes, elle résulte largement pour moi d’une demande économique mondiale peu attentive aux conditions dans lesquelles sont produits les différents biens et services. Je pense notamment à la déforestation au Brésil, au Congo ou en Indonésie. L’urbanisation joue un rôle majeur dans cette destruction, par sa consommation directe d’espace mais aussi parce qu’elle favorise un mode de vie qui nuit à l’environnement. Et si 10 milliards d’habitants peuvent vivre sur Terre, il ne faut pas oublier qu’un grand nombre d’entre eux se trouveront dans des pays aujourd’hui pauvres. Le potentiel de croissance de la population en Afrique en particulier est considérable : d’un peu plus d’un milliard aujourd’hui, elle pourrait excéder 4 milliards en 2100. On imagine l’ampleur du défi alimentaire et environnemental que cette hausse représente. La biodiversité en souffrira inéluctablement mais beaucoup choses dépendront des choix qui seront faits alors.

    Existe-t-il un taux de population idéal pour la planète ?

    Je ne vois pas au nom de quoi on pourrait le définir aujourd’hui. Tout le monde s’accorde à dire que l’idéal serait un ralentissement le plus rapide possible de l’accroissement démographique. Voilà vingt ans qu’on parle de stabilisation de la population dans les enceintes internationales. Personne ne s’aventure à dire qu’une croissance indéfinie ne pose pas de problème. Le débat porte sur le délai de la stabilisation : il oppose ceux qui estiment qu’elle est urgente et ceux qui considèrent que l’on peut encore attendre et atteindre les 10 milliards.
    Il est de toute façon impossible de stagner à 7 milliards. L’élan pris par la population mondiale, ce qu’on appelle « l’inertie démographique », exclut cette hypothèse. Tenter d’y parvenir malgré tout impliquerait des mesures absolument draconiennes, peu concevables à l’échelle de la planète.

    Quid d’une politique de décroissance ?

    Cela n’est pas une solution, on le constate en Chine. Ce pays a plus ou moins résolu ses problèmes démographiques mais il doit faire face à des conséquences non moins complexes. Je pense au déséquilibre des sexes : les Chinois veulent à tout prix avoir un garçon, ce qui conduit à des avortements sélectifs. De plus la population vieillit et s’urbanise considérablement. La population âgée reste rurale tandis que les jeunes adultes migrent vers la ville, sans pour autant y trouver un statut bien défini. Les Chinois vont devoir gérer une structure par âge très délicate, les autorités reviennent d’ailleurs sur la politique de l’enfant unique. L’argument de la décroissance est donc un peu simple. L’enjeu n’est pas seulement de diminuer le nombre d’individus, il suppose aussi une réorganisation, des modifications profondes de la structure sociétale… Il faut en être conscient. C’est peut-être un peu facile mais je crois plus à la stationnarité. C’est la seule option raisonnable.

    Vous expliquez dans votre livre que l’on ne s’intéresse pas assez au mode de consommation dans l’analyse des effets de la pression démographique. L’argument de la surpopulation est-il un moyen de ne pas remettre en cause les modes de vie des pays riches ?

    La dimension idéologique est évidente : l’argument du « trop nombreux » permet d’évacuer notre part de responsabilité. Cela s’est exprimé nettement lors de la Conférence de Bucarest en 1974, où l’on sentait un clivage entre les pays riches – les États-Unis notamment – et les pays en voie de développement. Les premiers demandaient aux seconds de stabiliser la population dans leur pays, ceux-ci répondaient « aidez-nous d’abord à nous développer, ensuite on abordera la question démographique ». C’est à cette époque que s’est popularisée la formule « Development is best contraceptive ».
    À mon sens, il faut mettre en place une politique de lutte contre la pauvreté qui ne soit pas pour autant porteuse d’un mode de consommation anarchique inspiré du modèle occidental, cela pourrait générer un cercle vicieux. Il faut un minimum de développement pour que les gens changent de comportement et que la transition démographique s’opère dans les pays moins favorisés. Mais si la pression démographique diminue en raison d’une baisse de la pauvreté et d’une réduction de la taille des familles, celles-ci ne deviendront-elles pas plus exigeantes en termes de consommation ? Selon moi le cœur du problème est là : ne remplace-t-on pas des êtres humains « potentiels » – qui auraient pu naître mais qui ne sont pas nés – par des surconsommateurs ?

    Finalement, préserver l’environnement est plus affaire de sobriété et de réduction des inégalités que de pression démographique…

    Bien sûr, stabiliser la population sans rien changer par ailleurs ne serait pas satisfaisant. Et tout mettre sur le compte de la population, c’est aussi éviter d’agir pour changer la situation actuelle. Il faut sensibiliser, montrer qu’il existe des solutions, des perspectives ouvertes, sans se positionner dans une attitude du « tout interdit ». On a besoin de véhiculer un modèle commun, attractif et suffisamment réaliste pour que les gens y adhèrent et que cela leur paraisse viable. Il existe bien une contrainte démographique, mais il est inutile de tenir des discours alarmistes sur la population !

     

    Extrait de la rubrique « Idée remuante » de Kaizen 12.

     

    Propos recueillis par Barnabé Binctin.

    7 Commentaires

    1. Je fais partie des abonnés anne 1, j’écris ici toute mon admiration pour l’équipe Kaizen-un magazine intelligent, qui ouvre des possibles, fondamentalement ancré dans nos préoccupations !

    2. Je fais partie des abonnés anne 1, j’écris ici toute mon admiration pour l’équipe Kaizen-un magazine intelligent, qui ouvre des possibles, fondamentalement ancré dans nos préoccupations !

    3. Je trouve qu’il ya trop de bla bla…Certains pays Explosent leurs populations
      car leurs niveaux culturels sont plus bas que ceux des animaux… 10,15 enfants
      par femme… Il faut stopper cette orgie de reproduction sauvage par des métho
      -des dictatorielles, répressives, autoritaires … et je ne parle meme pas des con-
      séquences médicales qui suivent..épidémie, mortalité etc … Je suis outré qu’on
      laisse faire tout ca, et la planète est en train de crever..Voir le 7é continent…
      un océan de poubelles dont vous ne parlez surtout pas… les dégazages des bateaux…et j’en passe… Vous ne rendez pas service à ces milliards d’etres
      humains..qui vont crever..je suis obligé de l’espèrer…!! La survie de la planète est plus importante que celle de l’humain…!!

    4. Pourquoi toujours reprendre l’exemple raté de la Chine en terme de régulation de la démographie? Tout le monde sait que les critères sociétaux sont à prendre en compte.
      Dire que la décroissance est une méthode un peu simple tout en confirmant de toutes parts le fait que 10 milliards parait non supportable me parait être une hérésie?

    5. Je viens de voir à la télé, un démographe qui a expliqué qu’aujourd’hui début août, la consommation de consommables nécessaires à nourrir la planète l’a été complètement. Ce qui signifie que jusqu’en janvier 2018, la planète va emprunter, déjà sur les consommables pour l’an prochain… En 1961, il y avait un léger surplus avec une population légèrement au-dessus de 3 milliards. À cette époque, à la radio, j’avais entendu un démographe qui disait que la planète pouvait nourrir seulement que 5 milliards (atteint en 1986). Du démographe d’aujourd’hui à la télé, dès 1985, il y a eu un léger déficit pour nourrir la planète. Et ce déficit augmente chaque année depuis. Il conclut que pour nourrir la population actuelle de 7,5 milliards d’habitant, il faudrait les ressources de 1,7 terre. Qui a raison?

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