Climat : le DG de Greenpeace-France dénonce la carence fautive de l’Etat

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    Pour la première fois en France, quatre ONG ont décidé de poursuivre l’Etat en justice à travers une campagne lancée le 18 décembre dernier et intitulée L’affaire du siècle. Greenpeace France, Notre Affaire à Tous, la Fondation pour la Nature et l’Homme (FNH) et Oxfam France ont entamé les démarches pour assigner l’État en justice pour inaction face au changement climatique et non-respect de ses obligations internationales, européennes et françaises. Avec une pétition inédite, qui a déjà recueilli plus d’1,3 millions de signatures en quelques jours, ils en appellent au soutien des citoyens. Rencontre avec Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France.

    Quel est l’objectif de votre action ?

    L’objectif final est de trouver les moyens de contraindre l’Etat à mener plus d’actions pour lutter contre le dérèglement climatique car nous avons constaté qu’il ne faisait pas tout ce qu’il faut pour atteindre les objectifs dont il s’est doté.

    L’Union Européenne, la France comprise, s’est engagée par exemple à atteindre 23 % d’énergie renouvelable à l’horizon 2020. Or aujourd’hui la France est à peine à 16 %. On ne voit pas comment l’Etat pourrait rattraper ce retard en un an, sauf à changer complètement les politiques publiques d’investissement dans le domaine des énergies renouvelables.

    Même choses pour les réductions des émissions de gaz à effet de serre : l’Etat a dépassé son budget carbone de presque 4 % en 2016, et presque 7 % en 2017, alors que les émissions de gaz à effet de serre sont censés diminuer rapidement, pas augmenter.

    La réduction de la consommation d’énergie ne se fait pas non plus, donc à un moment nous nous sommes dit qu’il fallait tenter autre chose, en plus de ce que nous faisons aussi par ailleurs.

    Sur quels textes de lois vous basez-vous ?

    Nous nous sommes basés sur les obligations légales que l’Etat a pris lui-même et qui ne sont pas aujourd’hui respectées. Il est soumis à des obligations juridiques liées à un certain nombre de normes comme la Constitution et la Charte de l’environnement qui obligent l’Etat non seulement à protéger l’environnement mais aussi la population des menaces environnementales. Or ce n’est pas le cas aujourd’hui.

    Il y a plusieurs étapes avant la procédure judiciaire…

    Oui, nous avons déposé une demande préalable en envoyant un document d’une quarantaine de pages au Premier ministre, et à douze ministères concernés (écologie, économie, santé, agriculture… ). Le gouvernement a deux mois pour nous répondre et nous convaincre qu’il va faire ce qu’il faut pour se mettre sur la bonne trajectoire. A l’issue de ces deux mois, il est fort probable que, soit nous n’aurons pas de réponse, soit nous aurons une réponse qui ne nous satisfera pas, à ce moment-là nous déposerons un recours auprès du tribunal administratif de Paris, et une véritable procédure juridique sera engagée. Aujourd’hui nous en sommes donc à un stade préalable.

    Vous avez également lancé une pétition qui a recueilli plus d’1 million de signatures en 48h. Comment expliquer ce succès selon vous ?

    Pour nous c’est le signe d’une attente forte de la part de citoyens qui souhaitent avoir des résultats. Il reflète sans doute aussi une inquiétude qui fait suite à l’augmentation du niveau d’alerte dénoncé par les scientifiques, notamment après la sortie du dernier rapport du GIEC en octobre 2018.

    Beaucoup de gens ont désormais compris que nous étions dans une véritable urgence climatique et qu’il y avait besoin d’une réponse et d’un engagement plus importants. La pétition répond à une envie de passer à l’action, c’est un acte individuel qui peut avoir un impact collectif. L’idée est de soutenir ici un recours juridique.

    Ce geste dépasse le cadre des engagements du quotidien qui sont tout aussi importants pour réduire sa propre emprunte carbone, comme celui de consommer moins de viande, choisir ses modes de transport, etc.

    Votre combat peut-il s’inscrire en lien avec les manifestations des gilets jaunes ?

    Il n’y a pas de lien direct, si ce n’est que la crise des gilets jaunes a rappelé que la transition écologique ne peut pas se faire isolément d’une transition sociale. Il ne peut y avoir de transition écologique, si elle n’est pas juste, équitable, redistributive et au service des plus démunis.

    Nous avons tenté de réexpliquer à cette occasion, que lorsque l’on prend des mesures pour rénover des bâtiments ou faire des économies d’énergie c’est aussi dans un souci de justice sociale. Car ceux qui souffrent le plus des conséquences du dérèglement climatique sont très souvent les populations les plus démunies. Alors que les plus riches sont ceux qui ont un mode de vie plus émetteur de gaz à effet de serre. L’injustice sociale va avec l’injustice climatique. On ne peut donc pas traiter les deux séparément.

    14 citoyens représentent vos premiers soutiens. L’un d’eux est un paysan sénégalais. Pourquoi avoir voulu intégrer une personne qui ne vit pas en France ?

    Parce que les émissions de gaz à effet de serre ne s’arrêtent pas aux frontières, c’est une responsabilité collective et globale. Nous attendons de la France qu’elle ait une ambition climatique pour la population française mais aussi du reste du monde. Elle se doit d’avoir une solidarité avec ceux qui ont le plus de mal à faire face au dérèglement climatique.

    Depuis son élection, Emmanuel Macron s’est beaucoup positionné sur la scène internationale comme un champion du climat, un défenseur de l’accord de Paris. Tant mieux mais ce que nous souhaitons aussi montrer à travers ce recours, c’est qu’il ne peut plus se contenter de discours ! Les actes doivent suivre.

    Les ONG françaises ne sont pas les premières à engager des poursuites judiciaires contre leur Etat : il y a eu le cas d’une procédure lancée par une ONG aux Pays-Bas en 2015, des jeunes en Colombie et d’un paysan pakistanais qui ont abouti à des condamnation de l’Etat. Mais ailleurs, aux USA, en Belgique ou encore au Canada, les procédures n’ont pas abouti. Comment faire en sorte qu’en France cela puisse donner des résultats ?

    Tous les pays ont des droits et une juridiction différents. En France, nous sommes convaincus que cette procédure tient la route et qu’elle se défend juridiquement. Nous avons essayé d’avoir un recours qui soit le plus solide possible. Nous nous sommes entourés de nombreux avocats, juristes, spécialistes en droit public administratif. Ils ont travaillé sur le dossier pendant des semaines pour se donner le maximum de chance pour que le tribunal administratif reconnaisse une carence fautive de l’Etat.

    Ce n’est pas parce que cela n’a pas toujours abouti dans certains pays, ou pas encore, que l’on ne doit rien tenter en France. Cette action est un outil supplémentaire, nouveau pour lutter contre le dérèglement climatique. Même si nous n’avons aucune assurance sur le résultat, cela vaut la peine d’être tenté.

    Propos recueillis par Sabah Rahmani

     

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