Après avoir été en charge du programme « pêche durable » pour WWF France, Charles Braine a troqué les pavés parisiens pour les embruns finistériens. Il est aujourd’hui vent debout contre le nouveau projet de subventions européennes pour la pêche.
Le 25 juin, c’est la journée des gens de la mer. Qu’est-ce que cela vous évoque ?
(Rires) C’est bien qu’il y en ait une ! Les gens de la mer sont souvent mal compris, ou perçus comme vivants sur une autre planète. J’ai beaucoup d’ami.e.s citadin.e.s, parisien.ne.s, pour lesquel.le.s être marin-pêcheur paraissait presque anachronique.
Malheureusement, on entend souvent parler des pêcheurs dans des situations dramatiques. Je pense par exemple à la disparition, il y a quinze jours, de trois sauveteurs de la SNSM et d’un marin pêcheur1… Mais on parle rarement des gens de la mer comme étant des personnes qui vivent une passion !
Il y a quatre ans, nous vous interviewions au moment de votre passage de WWF au métier de pêcheur. Où en êtes-vous aujourd’hui ?
Je ne suis plus marin-pêcheur au quotidien. Par contre, je travaille toujours dans ce secteur, sur des questions de transition environnementale, économique et sociale de la pêche.
En plus d’être militant bénévole, je travaille pour l’entreprise Poiscaille, qui achète en direct uniquement aux bateaux écolo des produits de la mer et les livre un peu comme une AMAP.
Je suis président de l’association Pleine Mer, qui favorise la vente directe pour que les marins-pêcheurs affichent de meilleurs prix. Ainsi, en plus d’un gage de qualité, cela va leur permettre de pêcher moins pour vivre aussi bien et, surtout, de créer du lien entre les producteurs et les consommateurs en dynamisant le tissu littoral.
Vous parlez d’une « transition de la pêche ». En quoi consiste-t-elle ?
Il faut retrouver un équilibre entre l’environnement marin et les activités économiques du littoral. Aujourd’hui, on a touché les limites biologiques des océans. En parallèle, on a de moins en moins de pêcheurs. Les marins d’aujourd’hui pêchent de manière beaucoup plus efficace qu’avant, donc ils ont besoin de beaucoup moins de monde. Je souhaite que les communautés littorales puissent vivre de manière pérenne de la pêche, avec des techniques qui soient le moins impactantes possibles pour l’environnement. Pour cela, il faut activer plusieurs leviers.
D’abord, auprès de la profession. C’est ce que j’essaie de faire avec la plateforme Petite Pêche, pour qu’il y ait une représentation des professionnels de la pêche durable. Au fil de l’eau, l’accès aux droits de pêche est de plus en plus capté par des grosses structures en France et en Europe. L’un des objectifs est donc de préserver l’activité de pêche pour les petits.
Il y a un volet environnemental également. Il faut être vigilant sur l’état des océans, la pollution, la surpêche… Nous devons être les porte-voix des scientifiques sur ces enjeux.
Enfin, même si nous avons des bateaux plus écolo et que les pêcheurs n’ont pas de revenus corrects, ils seront incités à pêcher davantage, avec une qualité de vie moindre. Je suis très impliqué dans Poiscaille qui sélectionne de petits bateaux avec des critères très stricts : ce ne sont que des engins « dormants », donc il n’y a ni chalut ni drague [deux techniques de pêche intensive particulièrement nocive pour les fonds marins]. On achète leurs produits a minima 20 % plus cher le prix de criée, sans distinction d’espèces. Mais il est évident que la transition se fera en travaillant sur ces trois piliers de concert.
Le 18 juin dernier, la France se liait à l’Italie et l’Espagne à l’occasion des négociations du Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP), pour la période 2021-2027. De nombreuses associations, dont WWF France et Bloom, dénoncent un pas en arrière de la France. Elles parlent notamment de « subventions nocives », qui balaieraient les efforts faits en faveur d’une pêche européenne plus durable, et alimenteraient la surpêche. Qu’en pensez-vous ?
Initialement, la Commission européenne réfléchissait à une installation plus simple des jeunes, sous deux conditions : qu’il s’agisse de bateaux de moins de 12 mètres et que les méthodes de pêche soient sélectives (donc uniquement des arts dormants).
Puis, avec l’influence de la France, alliée à l’Italie et l’Espagne, la Commission a détricoté ce projet, en incluant des bateaux allant jusqu’à 24 mètres dans les subventions. Pour moi, ce n’est plus du tout de la petite pêche. En plus, cela va à l’encontre des engagements de la France avec les Objectifs de Développement Durable des Nations Unies (les ODD)2 !
🐟 Recul majeur du @EUCouncil qui a adopté ce matin sa position sur la révision du Fonds européen pour la Pêche #FEAMP 👉 des subventions qui encouragent la #surpêche dans des mers déjà surexploitées…
Notre réaction → https://t.co/qUExFV6XSp pic.twitter.com/tYPDC3jROR
— WWF France 🐼 (@WWFFrance) 18 juin 2019
Il y avait des enjeux très importants, pour ces six milliards d’euros, notamment les moyens de contrôle qui sont au plus bas. Même avec les meilleurs règlements du monde, avoir des contrôleurs et des moyens de contrôle efficaces est une priorité absolue.
Mais il y a encore une chance que cela bouge. Nos parlementaires peuvent encore s’emparer du dossier. Une nouvelle commission de la pêche doit être en cours de constitution au Parlement européen et sera officialisée en juillet. Puis, plusieurs séances de négociations devraient suivre. Donc il y a encore le temps pour une mobilisation professionnelle et citoyenne !
Propos recueillis par Cypriane El-Chami
1Vendredi 7 juin 2019, trois sauveteurs de la Société nationale de sauvetage en mer (SNSM) ont péri au large des Sables-d’Olonne, en Vendée (85). En pleine tempête Miguel, leur vedette a chaviré alors qu’ils tentaient de porter secours à un marin-pêcheur, à bord de son chalutier. Le corps du marin-pêcheur, un retraité qui pêchait des crevettes en complément de revenus, a été retrouvé deux semaines plus tard sur une plage.
2Les Objectifs de Développement Durable ont été adoptés en 2015 par l’Assemblée des Nations Unies. Le quatorzième objectif porte « la thématique de la préservation et valorisation des océans et des mers ». Les associations de protection des océans invoquent notamment l’alinéa 14.6 : « D’ici à 2020, interdire les subventions à la pêche qui contribuent à la surcapacité et à la surpêche, supprimer celles qui favorisent la pêche illicite, non déclarée et non réglementée et s’abstenir d’en accorder de nouvelles, sachant que l’octroi d’un traitement spécial et différencié efficace et approprié aux pays en développement et aux pays les moins avancés doit faire partie intégrante des négociations sur les subventions à la pêche menées dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce ».