Pour limiter le réchauffement climatique bien en deça des 2°C d’ici à 2100 et respecter l’Accord de Paris, chaque Français doit réduire son empreinte carbone de 9,9 tonnes (en moyenne) à deux tonnes par an. Mais comment savoir ce que l’on émet ? Créé il y a deux ans au sein de Carbone 4, MyC02 a développé un outil pour calculer son bilan carbone personnel et encourager les particuliers à réduire leur impact. Entretien et mode d’emploi avec son fondateur, Roman Ledoux.
Pourquoi avoir créé MyCO2 ?
L’idée principale était de professionnaliser l’empreinte carbone individuelle, qui est encore peu étudiée. Pourtant c’est un indicateur capital selon le Haut conseil du Climat et la « La stratégie nationale bas carbone » (SNBC) (ndlr : feuille de route de la France pour lutter contre le changement climatique, introduite par la Loi de Transition Energétique pour la Croissance Verte (LTECV)). Ainsi j’ai lancé MyCO2 il y a deux ans en intrapreneuriat chez Carbone 4.
Via des conférences interactives, gratuites pour les particuliers, et payantes pour les entreprises, on entend sensibiliser le plus de personnes possibles, et notamment novices, sur leur empreinte carbone. En remplissant un texte à trous sur leurs habitudes du quotidien, les participants peuvent voir en direct l’impact en CO2 de leurs actions. On utilise ce terrain de jeu pour mettre en évidence des données concrètes : Quel est l’impact du numérique, entre la fabrication des équipements et l’utilisation des serveurs par exemple ?
Ensuite, les participants changent le texte à trous pour choisir des actions moins « polluantes » qu’ils aimeraient adopter et découvrent l’impact de ce changement grâce à des algorithmes qui s’appuient sur l’expertise de Carbone 4. Par exemple, de combien baisse mon empreinte carbone si j’arrête d’acheter des bouteilles d’eau et que j’utilise l’eau du robinet ? Qu’est-ce qu’il se passe si j’achète une voiture électrique ? Et quelle voiture ? Pour rappel, une petite Ami (ndlr : voiture électrique sans permis Citroën), c’est 300kg de CO2 par an, une grosse Tesla, c’est 1400 kg de CO2 par an. Ce n’est pas le même impact. On insiste aussi sur les ordres de grandeur : un vélo électrique contient un demi-kilowattheure de batterie, une Zoé c’est 50 kWh de batterie, donc 100 fois plus, une Tesla, c’est presque 100 kWh de batterie, donc 200 fois plus. On s’intéresse à la sphère personnelle, mais finalement ce n’est qu’une excuse pour aborder les ordres de grandeur du carbone et des sujets méthodologiques.
A la fin, les participants peuvent chiffrer leur impact carbone et voir si les changements d’actions qu’ils prévoient sont suffisants pour atteindre la neutralité carbone (ndlr : une empreinte de 2 tonnes de CO2 d’ici 2050 pour respecter l’accord de Paris et maintenir le réchauffement climatique à 2°C). On essaie d’avoir une approche nuancée, pédagogique et surtout non culpabilisante. C’est l’ADN de MyCO2, et c’est ce que les gens apprécient.
Dans une récente publication du 11 janvier 2022, MyCO2 complète les chiffres officiels du Ministère de la Transition Ecologique sur l’empreinte carbone individuelle, en prenant en compte de nouveaux indicateurs, comme les trainées de condensation des avions et les émissions liées à la déforestation à l’étranger. Que ressort-il de cette étude ?
Pour ce calcul, on s’est appuyé sur le chiffre de 9 tonnes de CO2 par an du Ministère de la Transition Ecologique, tout en ajoutant quelques indicateurs que vous avez cités. Mais cette analyse ne vient pas changer les postes de répartition des émissions, qui sont dans l’ordre du plus important au moins important : « Je me déplace », « Je mange », « Je me loge », « J’achète », et « Les services publics ».
Les trainées de condensation augmentent le poste « Je me déplace » de 200kg de CO2, et la déforestation importée (ndlr : émissions de GES engendrées par la déforestation ayant lieu à l’étranger mais dues à notre consommation) vient augmenter à moitié le poste « Je mange », et à moitié le poste « J’achète ». Donc en proportion, on augmente un petit peu chaque poste. Au total, on obtient une empreinte carbone individuelle de 9,9 tonnes de CO2 par an.
Le Ministère ne s’appuie que sur les trois principaux gaz à effet de serre (CO2 fossile, le méthane et le protoxyde d’azote) pour le calcul de l’empreinte carbone par souci d’homogénéité de méthode. Avec MyCO2, on a décidé d’utiliser ces nouveaux indicateurs afin de travailler sur un périmètre le plus large possible sur nos émissions. Parce que les gens posent de nombreuses questions pendant les conférences, et on est censés savoir de quoi on parle.
Selon l’étude de Carbone 4 « Faire sa part » réalisée en 2019, environ trois quarts des émissions sont de la responsabilité de l’Etat et des entreprises, en quoi la prise en compte de l’empreinte carbone individuelle peut changer les choses selon vous ?
Alors attention au chiffre de trois quarts concernant les entreprises et l’Etat. Pour moi, il n’est pas juste. Carbone 4, avec sa publication « Faire sa part », avait chiffré, en prenant en compte vingt actions individuelles, que ces dernières pouvaient réduire de 25% à 45% notre empreinte carbone. Par exemple, si l’achat d’un véhicule électrique peut être encouragé par les politiques, il dépend avant tout de la volonté des ménages. Je sais qu’on aime bien retenir juste le « 25% », mais l’étude a estimé l’impact des actions individuelles de 25% à 45%. En réalité, les particuliers, l’Etat et les entreprises sont des engrenages qui doivent tourner ensemble. Je m’explique. Si l’Etat va trop vite, et instaure par exemple une taxe carbone, qui est nécessaire pour la transition, cela mène aux Gilets Jaunes. Le fait de scinder la responsabilité revient à adopter une vision technophile du sujet. C’est-à-dire que vous allez tout miser sur l’efficacité énergétique et rien sur la sobriété. Or on sait que la sobriété reste une part importante pour atteindre les objectifs de neutralité carbone.
L’ambition de MyCO2 à l’avenir, c’est justement de faire le lien quantifié entre les actions des individus, les actions des entreprises, et l’action de l’Etat. A titre d’illustration, quand vous achetez un billet d’avion, l’approche la plus simple, c’est de calculer la base carbone, et souvent choisir un périmètre restreint comme la consommation de kérosène. Mais il y a plein d’autres données à prendre en compte : la fabrication des aéroports, le déplacement des commerciaux d’Air France, la publicité d’Air France, etc. C’est la compréhension fine de l’empreinte carbone que l’on a acquise en deux ans qui va nous permettre de faire le lien entre la consommation finale du citoyen, les consommations intermédiaires des entreprises, et la consommation finale des services.