Burn-out, quand le feu redonne sens à la vie

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    image002Interview de Pascal Chabot, philosophe et auteur de Global burn-out par Marie Fuks

    Traduisible métaphoriquement par « incendie de la personne », le burn-out est devenu le mal professionnel de la société postmoderne. Douloureux, ce syndrome d’épuisement peut toutefois devenir le lit d’une renaissance personnelle, en accord avec ses paysages intérieurs.

     

    Marie Fuks : En tant que philosophe, comment en êtes-vous venu à vous intéresser au burn-out ?

    Pascal Chabot : À l’époque, je travaillais sur la question : « Comment parler de l’âme aujourd’hui ? », et j’ai dû me rendre à l’évidence : le burn-out, dans de nombreux environnements professionnels, est l’un des destins contemporains de l’âme. J’ai cherché à comprendre pourquoi. En outre, il m’est apparu qu’au-delà de leurs effets positifs sur les mentalités, les technosciences et le techno-capitalisme avaient, entre autres effets nocifs, celui de faire du psychisme humain le réceptacle d’un véritable épuisement. Le burn-out pose la question éminemment philosophique de la manière dont le travail façonne le monde humain.

    burn-out

    Voyez-vous un lien direct entre le développement du burn-out et la révolution managériale des années 1980 dont parle le sociologue clinicien Vincent de Gaulejac ?

    Oui, indiscutablement. Cette révolution inspirée des théories de Milton Friedman, le père du libéralisme économique, s’est opérée lorsque le capitalisme financier « dirigé » par la volonté des actionnaires a supplanté le capitalisme de production. L’humain est devenu une variable d’ajustement financière soumise au management par objectifs, à l’évolution au mérite, à l’organisation par projet et à l’évaluation continue. Même s’il n’y a pas de responsabilité unique, ce modèle de management, en responsabilisant l’individu à l’extrême et en prônant la culture du travail comme vertu suprême, a été d’une grande violence pour certains. Si le travail est une dimension centrale de l’existence humaine, il n’est pas seul à lui donner du sens. Au début des années 1960, on nous avait prédit l’avènement d’une « civilisation des loisirs » qui libérerait les individus des contraintes matérielles grâce aux progrès technologiques. Or, c’est le contraire qui s’est produit. La révolution technologique et managériale qui s’est opérée a placé l’individu dans l’obligation de repousser sans cesse ses limites pour atteindre des objectifs toujours plus ambitieux, jusqu’à ce que le l’excès de stress, le diktat de la rentabilité et la perte de sens finissent par le consumer de l’intérieur. Le burn-out est le révélateur des aspects sombres de l’organisation contemporaine du travail qui « psychologise » ces états d’épuisement de manière à ce que l’individu se sente coupable et recherche les causes à ses « défaillances » dans son histoire personnelle plutôt que dans l’analyse critique des conditions sociales dans lesquelles il travaille.

    Y a-t-il un profil type de personne sujette au burn-out ?

    Ce sont des personnes zélées, perfectionnistes, exigeantes avec elles-mêmes, scrupuleuses, sensibles à la justice, très investies dans leur travail… Donc l’opposé des tire-au-flanc. Trop dévouées et ayant du mal à s’imposer des limites, elles tombent sous le poids d’un système qui transforme leur idéalisme en combustible et traite comme des faiblesses des qualités professionnelles et humaines (abnégation, disponibilité, souci de justice, d’équité ou d’équilibre) qu’il devrait au contraire valoriser comme des forces morales dignes de respect.

    Les nouvelles technologies n’exercent-elles pas une forme de tyrannie de l’urgence et de la disponibilité permanente en cause dans l’apparition du burn-out ?

    Tout dépend de la manière dont on les utilise, car elles sont aussi fabuleuses qu’elles peuvent se révéler asservissantes. Dans le cadre d’utilisations addictives – consulter excessivement sa messagerie électronique, passer son temps sur son smartphone alors qu’on est à table avec d’autres personnes… –, elles sont aliénantes car elles rappellent sans relâche ce qui doit être fait, épuisent le psychisme, empêchent l’individu de retourner vers ce qui est essentiel et le divertissent de lui-même. Plus grave, elles finissent par le soustraire à toute vie contemplative.

    Vous dites que le burn-out a un potentiel de métamorphose. Peut-il être un mal pour un bien ? Sort-on différent de cette épreuve ?

    Loin de moi l’idée de romantiser la souffrance psychique due au burn-out lorsque je parle de métamorphose. S’il peut être l’occasion d’une amélioration, le burn-out est davantage l’occasion d’une prise de conscience : la personne se rend compte qu’elle est allée trop loin, qu’elle a sacrifié trop de ses énergies à quelque chose qui ne lui a pas suffisamment donné en retour et qui ne lui a pas permis une réalisation de soi. Dès lors, elle peut réorienter ses priorités, ses désirs et, effectivement, cela peut aboutir à une transition, voire à une métamorphose. Pour une structure aussi, le burn-out d’un salarié peut être l’occasion d’essayer d’améliorer ce qui ne va pas, à la manière du kaizen, cet état d’esprit qui permet un « changement bon » en continu. Quant à la manière dont on se relève du burn-out… Toutes les personnes que j’ai rencontrées en sont sorties différentes, mais il n’est pas rare que, après plusieurs années, elles reconnaissent que cet épisode a transformé leur rapport au travail, leur a permis de se relier à ce qui fait sens pour elles et, pour certaines, à l’instar de Matthew B. Crawford, les a conduit à changer radicalement de vie.

    Que s’est-il passé pour lui ?

    Embauché pour résumer des articles scientifiques destinés à alimenter une base de données payante sur Internet, Matthew B. Crawford prend progressivement conscience qu’il ne peut pas faire son travail comme il le souhaiterait ; il a le sentiment de trahir les auteurs qu’il résume et il vit comme une violence contre lui-même cette négligence envers les idées d’autrui à laquelle l’obligation de résumer à la chaîne quinze articles par jour, puis vingt, le contraint, pour la satisfaction de managers ambitieux, aux ordres d’actionnaires ignorant tout de son travail. Assailli par les symptômes du burn-out, il démissionne et ouvre un atelier de réparation de motos. Là, le contact de la matière et les problèmes concrets lui permettent de trouver un sens et une valeur à son travail. Ce cas assez emblématique traduit ce que vivent de nombreuses personnes qui, après avoir sacrifié beaucoup de leur existence à un système, lâchent prise et cessent d’adhérer aux valeurs dominantes pour renaître à une vie plus authentique où le travail redevient un moyen de développement.

    Peut-on dire que la planète est aujourd’hui en plein burn-out ?

    Oui. Si je vois dans le burn-out une pathologie de civilisation, c’est parce que ce phénomène ne touche pas seulement l’individu mais le groupe – comme on l’a d’ailleurs vu dans certaines entreprises mises en demeure de revoir leur modèle managérial. Mais c’est aussi parce qu’il consume des parties de la Terre, dont on épuise les ressources naturelles, la biodiversité… Dans les deux cas, une combustion est à l’œuvre. La mentalité utilitariste de la population impose à la biosphère quelque chose de l’ordre de l’épuisement, que l’on peut apparenter à un burn-out. Il est assez intéressant de noter que toute notre technologie prométhéenne est née de la combustion du pétrole, du gaz, du charbon, et est donc fille du feu, ce feu qui consume nos âmes et, qu’à l’inverse, l’écologisme défend toujours l’eau, la terre et l’air contre les atteintes du feu.

    Faut-il aller jusqu’à la décroissance ?

    Même si j’ai beaucoup de sympathie pour certaines idées de Serge Latouche [i], mon plaidoyer défend un progrès que je qualifie de subtil et qui, par rapport au concept de décroissance, propose de remettre l’humain au cœur des préoccupations et de reléguer la technologie et le techno-capitalisme au rang de moyens au service du développement humain. À nous d’être moins fidèles au système et plus en accord avec nos paysages intérieurs. Cela nécessite une petite dose d’anarchisme, une capacité de résistance personnelle et une fidélité à ses propres opinions pour rester en accord avec ce qui fait sens pour soi.

    Le burn-out est-il une occasion de redonner du sens à la vie ?

    C’est ce qu’il faut espérer de manière à ce que l’épreuve vécue apparaisse rétrospectivement comme une transition salutaire vers un mieux. Informer sur ce sujet peut aider à prendre conscience que la logique qui anime notre société risque de nous perdre et qu’il est urgent de chercher au fond de nous-même la flamme, l’autre flamme. Non plus celle du burn-out, mais celle qui symbolise la vibration de la vie : la flamme libératoire.

     

    [i] Économiste français théoricien de la décroissance. Il se présente volontiers comme un « objecteur de croissance ».


    Extrait de la rubrique Notre santé, notre planète de Kaizen 15.

     


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