Brexit, Notre-Dame-des-Landes : le non de la démocratie ?

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    Changer de paradigme est un vaste projet. Il requiert simultanément un travail personnel – pas de changement de société sans changement personnel –, et la nécessité de trouver une articulation adaptée entre le je et le nous ; et plus particulièrement de trouver un mode de gouvernance, des processus décisionnels qui puissent satisfaire les aspirations du plus grand nombre, alors qu’elles sont souvent différentes. C’est peut-être l’enjeu principal de la rénovation de la société actuelle.

    Le référendum de Notre-Dame-des-Landes et celui du Brexit en disent long sur la difficulté de trouver les bons outils de décisions collectives. Hier, dimanche 26 juin, en Loire-Atlantique, le oui a gagné : oui, nous voulons un aéroport à Notre-Dame-des-Landes. Jeudi 23 juin, le non a remporté la victoire chez les Britanniques : non, nous ne voulons plus être membres de l’Union européenne. Match nul diraient peut-être les commentateurs de l’Euro 2016. Oui : 1 – Non : 1. Oui, match nul. Mais vraiment nul.

    Nul pour au moins une raison : 62 % des Écossais et 73,8% des résidents de la commune de Notre-Dame-des-Landes se sont exprimés très clairement pour le contraire, alors que ce sont eux – pour ces derniers – qui seront les plus impactés ! Ils vont donc subir une décision à laquelle ils sont farouchement opposés. C’est le jeu de la démocratie, diront certains ! Les règles de ce jeu méritent alors d’être revues. Car il crée frustration, rancune, division. Pour illustrer ce processus de ressentiment, prenons un exemple simple. Si, dans une copropriété, 51 % des résidents décident que les murs des escaliers seront rouges, alors que les autres 49 % détestent le rouge, quelle va être la réaction de ces derniers ? Rancœur et aigreur à l’encontre des votants pour le rouge, alors qu’une prise de décision par consensus aurait sans aucun doute permis de trouver une couleur que personne ne déteste.

    D’aucuns diront que l’échelle d’une copropriété n’est pas celle d’une nation ou d’un territoire.

    C’est vrai : alors, comment faire à une plus grande échelle ?

    Le référendum, c’est la parole laissée au peuple, directement. Mais le peuple a-t-il une vision juste dans tous les cas ? Si Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand avaient interrogé les Français sur l’IVG et la peine de mort, ces deux lois n’auraient pas été adoptées. Cela ne signifie pas que les gouvernants aient toujours raison. Si les Britanniques ont voté non, c’est peut-être justement parce que l’Europe, pensée et dirigée par une élite, ne correspond pas à leurs aspirations. Et parce que David Cameron a permis la tenue de ce référendum, pris au piège de ses promesses électorales, car élu au suffrage universel, selon un mode représentatif. Vertigineux !

    Malheureusement, le suffrage universel a aussi montré ses limites. Un seul exemple : alors que l’écotaxe poids lourds avait été adoptée par le Sénat le 12 février 2013, elle a été reportée le 8 octobre 2014 sine die par la ministre de l’Écologie Ségolène Royal. Tout est dit !

    « La démocratie est le pire système de gouvernement, à l’exception de tous les autres qui ont pu être expérimentés dans l’histoire », disait Winston Churchill. Peut-être est-il temps d’être positif et de chercher « un meilleur système », à ce moment de notre Histoire, car la démocratie s’articule autour de deux principes de décisions à bout de souffle que sont l’élection représentative et le référendum ; la faible participation des Français aux dernières élections régionales et européennes en est un autre symptôme.

    Voilà l’enjeu de demain. De nombreuses études démontrent – ici, ici ou ici – que les équilibres préservés depuis des millénaires sont aujourd’hui en péril. Mais comment mettre en place des décisions qui vont tous nous impacter alors que nous ne sommes pas tous au même endroit sur le chemin ?

    La sociocratie et l’holacratie, expérimentées dans certaines structures, comme dans le mouvement Colibris et à la Biocoop de Rennes, sont-elles envisageables l’échelle d’une nation ? Ces deux approches exigent des consensus, des temps de paroles bienveillants et invitent à avoir une autre vision qui ne soit pas manichéenne. Le contraire de ces deux référendums.

    Qui dit changement de paradigme dit innovation. Le temps est donc venu de se réunir autour d’une table et de réfléchir à d’autres modalités. Tout le monde est invité à s’asseoir.

    Pascal Greboval, rédacteur en chef de Kaizen


    Lire aussi : Mouvements citoyens : un vent d’air frais sur la politique

    Lire aussi : Vivons-nous en démocratie ?

    11 Commentaires

    1. Quelques bémols concernant ce billet :

      1) l’écotaxe n’a pas été mise hors jeu par le suffrage universel, mais par la peur du pouvoir politique de voir se développer un mouvement de contestation : il n’y a pas eu de référendum sur la question que je sache !

      2) comparer un référendum local, dont les administrés ne forment aucune entité propre, aux limites fixées arbitrairement (et par qui ? par une autorité défendant un point de vue partisan dans ce vote…) à une consultation nationale comme en Grande Bretagne n’a pas de sens : les habitants de Loire Atlantique n’ont pas de pouvoir souverain concernant leur territoire, ils sont fondus à l’intérieur du peuple français qui est, au moins juridiquement, la source de toutes les décisions politiques prises sur notre territoire.

      Les limites du suffrage universel que vous pensez décrire ici ne proviennent donc pas de l’irrationalité supposée des choix du peuple (pourquoi dans ce cas continuer à lui confier le choix de nos dirigeants ?) mais bien davantage de la déconnexion qui est faite aujourd’hui entre démocratie et société nationale, que les révolutionnaires de 1789 associaient comme une nécessité fondamentale, et comme indispensable par essence au fonctionnement démocratique.

    2. Sociocratie utilisée ici aussi dans un petit coin du Béarn, dans un cadre associatif. Nous essayons de propager l’idée 🙂 oui la démocratie utilisée à présent est à bout de souffle, on dirait que seuls une grande majorité de nos élus ne s’en rend pas compte… Merci pour tous les partages, dont je relaie une partie !! Nath

    3. Bonjour, je partage le constat, mais me pose quand même une question : auriez-vous écrit cet article si le « Oui » l’avait emporté en Angleterre et le « Non » à NDDL ?

    4. Les temps sont durs pour la démocratie. Tellement dur d’accepter le résultat quand on n’est pas d’accord. Viennent alors les circonvolutions pour dire que tout le monde ne devrait peut être pas voté, qu’on devrait peut être limiter la décision à ceux qui savent… dictature éclairée, tel est votre propos? J’aurai sans doute voté non à NDDL, il n’en reste pas moins que l’argument du « non » dans la commune est nul. Sur un vote hyper local vous n’auriez en France aucun HLM, ni centre d’accueuil psychiatrique, de drogués ou de migrants…

    5. @Simon, en même temps, pour voter il faut savoir ce qu’on vote.
      Hors, si vous n’êtes pas intéressé par nddl, que vous habitez le 44, on vous demande votre avis.
      La source d’information habituel étant la télévision ou les journaux écrits, vous n’aurez jamais accès aux rapports remis à Royal, au avis contraire des opposants à l’aéroport, vous en connaitriez pas les naturalistes en lutte, …
      Vous saurez juste que le nouveau aéroport sera plus beau, moins couteux que de rénover l’ancien et n’aura pas d’impact négatif, ni sur les habitants, ni sur la nature.
      Donc forcément, vous voterez oui!

      Par contre, si vous vous intéressez, vous vous rendez compte qu’on vous ment, mais ça si c’est l’état, c’est normal.

    6. Il y a deux façons de regarder les faits (ici l’actualité). Ou vous vous en servez pour faire évoluer votre regard sur le monde et donc votre comportement ou vous vous en servez pour justifier vos choix. La deuxième façon permet d’avoir raison sur tout et de ne pas changer. Singulière attitude si on est convaincu que pour changer le monde il faut commencer par se changer soi-même.
      Vous trouverez toujours des faits qui vous permettront de renforcer vos convictions quitte à porter sur eux un regard biaisé (comme le met bien en lumière le premier commentaire). J’éprouve souvent ce sentiment de parti-pris en lisant les articles de votre site. Je me souviens en particulier d’un article de Pierre Rabhi où il utilisait de manière très approximative la physique quantique pour justifier ses choix… même si par ailleurs j’essaye de mettre en pratique un certain nombre de ses idées.
      Vouloir se changer ne commencerait-il pas par être honnête intellectuellement ?

    7. **** On ne peut mobiliser que sur un OUI ***
      OUI, il fallait conserver l’aéroport actuel de Nantes
      OUI, il fallait que le Royaume Unis reste dans l’Europe
      Une réponse avec un NON ne peut pas être positive

    8. ***Mieux dit…
      OUI, il ne faut pas construire Notre Dame des Landes
      La réponse à une question dépend de la manière dont est elle est posée

    9. Je ne partage vraiment pas votre point de vue, et j’en suis un peu attristée parce que je suis fidèle lectrice de Kaizen, et là j’ai l’impression d’être en désaccord avec tout un modèle de pensée. Fâcheux.

      Mettre sur le même plan ces 2 référendums : première erreur. Celui de NDDL s’est restreint au 44, pourquoi : parce que les sondages ante-referendum indiquaient que c’était bien le seul département à vouloir suivre la volonté du gouvernement, dans ce projet irréfléchi, destructeur, inutile (de mon point de vue, mais je ne doute pas que certains y trouvent une utilité, Vinci ne viendra pas démentir). L’Etat prenant part au financement, le référendum aurait du être étendu à l’ensemble des citoyens français. Problème de périmètre. Qu’on soit pour ou contre n’est pas le sujet, ici on parle d’un vernis démocratique déposé avec délicatesse mais mépris total sur un enfumage de premier ordre.

      « 62 % des Écossais et 73,8% des résidents de la commune de Notre-Dame-des-Landes se sont exprimés très clairement pour le contraire, alors que ce sont eux – pour ces derniers – qui seront les plus impactés ! » Merci de le préciser. La tournure de votre phrase laisse franchement à désirer. En 2014, il y a eu un référendum pour l’indépendance de l’Ecosse, 55% ont voté non, alors que le référendum du Brexit était déjà sorti des cartons. Et les indépendantistes étaient majoritairement européanistes. Alors quoi? A qui donne-t-on raison, à qui donne-t-on tort, et à quel moment? Ce sont là les questions que vous vous posez?? Sérieusement.

      Quel est ce procès que vous faites au référendum? Peine de mort, IVG : ce sont là des progrès sociaux, dans les 2 cas il s’agit de sortir d’un paradigme fondé sur des restes religieux, dans le cas de l’IVG plus spécifiquement du droit de disposer de son corps librement. Au passage, la justice est-elle plus juste aujourd’hui, alors que la peine de mort a disparu? (je suis contre bien sûr, mais les peines de 20 ans à l’encontre par exemple d’une femme infanticide dont les facultés mentales sont manifestement altérées me laissent perplexes). Le peuple n’a pas à donner son opinion sur ces sujets, une décision politique sur des questions de progrès social (mariage gay vous auriez pu ajouter) ne doit pas se fonder sur une opinion. Par contre le peuple a le droit de dire non à un modèle qui lui est imposé et qui a des répercussions à tous les niveaux de la vie en société, local régional et global. Non à un modèle dont on ne lui montre peut-être que la face sombre, car c’est celle-ci qui transparaît dans les médias : immigration non maîtrisée, précarité, lobbies, scandales politico-financiers, austérité, montée des extrêmes, … Que nous montre-t-on de bon aujourd’hui et qui vienne de l’Union Européenne? Le glyphosate? Calais et Lesbos? La crise grecque? L’absence de coordination entre les services de renseignement des pays membres?

      « David Cameron a permis la tenue de ce référendum, pris au piège de ses promesses électorales, car élu au suffrage universel, selon un mode représentatif. Vertigineux ! » Ah bon? Pourquoi vertigineux? Moi j’y vois une parfaite cohérence : un mec se présente en disant que s’il est élu il organisera un référendum sur la sortie de la GB de l’Europe; il est élu, il respecte son engagement, une majorité du peuple se prononce pour, certainement celle qui a voté pour ce mec, j’magine. Non ce n’est pas clair?

      Consensus sur la couleur d’une cage d’escalier… avez-vous déjà assisté à une réunion de syndic?

      « La démocratie est le pire système de gouvernement, à l’exception de tous les autres qui ont pu être expérimentés dans l’histoire », disait Winston Churchill ». Tiens, un certain Manuel Valls aurait tweeté la même phrase en réponse à…Franck Underwood. Oui oui. Comme quoi les mots, on en fait ce qu’on veut.

      Alors un petit conseil : revoyez l’étymologie du mot « démocratie », parce que là, pas d’erreur possible. Demos = peuple, kratos = pouvoir. Le pouvoir du peuple. C’est ça que vous remettez en question? Holacratie, sociocratie, on s’en fout! Je peux dire « panocratie », « auto-gestion participative et collective fondée sur le respect des libertés et des croyances » enfin tout et n’importe quoi, peu importe le terme employé, et celui de démocratie reste à mon sens le plus vaste, et le plus malléable.

      Pourquoi est-ce que les systèmes de sociocratie et d’holacratie, qui fonctionnent (plus ou moins) bien à un niveau local, ne pourront pas s’appliquer à l’échelle d’une nation? A mon sens il s’agit d’un problème d’information. La clé est là. Décider de la couleur d’une cage d’escalier par un système de consensus, c’est possible. On peut y arriver, parce que chacun peut comprendre les enjeux, les aspects techniques, financiers, etc. Les éléments de compréhension sont à la portée des « décideurs ». Au périmètre d’une nation, certaines décisions requièrent des compétences que beaucoup d’entre nous n’ont pas et n’auront jamais, même au niveau d’une collectivité locale (premier périmètre d’application des directives européennes). Donc il faut s’en remettre au jugement de personnes plus qualifiées, qui ont l’information et sont capables de l’analyser. Donc il faut une représentation, d’une façon ou d’une autre. C’est là où le référendum montre en effet ses limites, bien que beaucoup de britanniques ayant voté pour le « leave » étaient bien loin de méconnaître les enjeux du vote, non ce n’était pas que des familles monoparentales pauvres et xénophobes.

      Mobiliser les potentiels électeurs, informer et sensibiliser la jeunesse, faire pression, boy/buycotter, sortir et faire entendre sa voix, pour enfin faire vivre la démocratie, la vraie, pour que le plus grand nombre de personnes vote. Inventer de nouveaux modèles de gouvernance, oui! Mais sur des périmètres de responsabilité à portée des citoyens.

      Et couper la télé, mais sur ce point, je pense qu’on se rejoint 🙂

    10. Cet article me stupéfie tellement que j’ai du mal à croire ce que je lis.

      M. le rédacteur en chef de Kaisen, êtes-vous vraiment en train de remettre en cause la démocratie ?

      J’ai la désagréable impression de m’être trompée sur l’esprit du mouvement Colibris et de sa revue.

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