Biau Jardin : l’agriculture au service de l’humain 

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    Au cœur de l’Auvergne, Biau Jardin allie agriculture bio et insertion sociale. Depuis 1997, le modèle connaît un succès local qui a aussi permis de dépasser les difficultés du confinement grâce à une vague de bénévolat. Reportage.

     

    En périphérie de Clermont-Ferrand, il faut traverser la zone industrielle puis l’autoroute pour arriver sur un petit chemin goudronné qui se perd entre les champs, et découvrir une boutique hors du temps. Entourée par la campagne, collée à un hangar aux allures de ferme locale, elle accueille un balai de clients et d’employés qui échangent, rient, travaillent ou font leurs courses pour donner vie à ce lieu de caractère. Biau Jardin, une entreprise agricole d’insertion sociale et solidaire est un tremplin pour une multitude de personnes en difficulté, qui valorise les fruits et légumes de saison bios et locaux. 

    La boutique. Crédits : Jodie Way

    Passé d’agriculteur en plantes médicinales à créateur d’une ferme de cocagne, Gilles Lèbre, le fondateur, s’est servi de ses expériences pour lancer ce projet d’économie sociale et solidaire. « Je ne fais pas de bio pour être compétitif et surfer sur la mode, je vais plus loin. J’ajoute de l’humain à tout ça », argumente-t-il. Cet auvergnat de pure souche, élevé par sa grand-mère qui ne parlait que l’occitan et très peu le français, se décrit comme un « étranger de l’intérieur ». Après avoir investi en 1997, 2,5 ha de terres dans son projet, l’enfant du terroir a pu étendre son exploitation à 17 ha. Si aujourd’hui les 950 paniers hebdomadaires, représentent la plus grosse part de son chiffre d’affaires qui s’élève à environ 1,2 millions d’euros par an, le fondateur de Biau Jardin a également diversifié son offre : « On a essayé de développer des activités rémunératrices qui ne demandent pas trop d’investissement et qui proposent des formations. » Parmi ces activités, l’ouverture de la boutique en 2005 au milieu de son exploitation parce qu’il « est extrêmement important qu’il y ait ce lien social entre clients, producteurs et employés en insertion », soutient Gille Lèbre.

    En livrant sa production en demi-gros pour étendre sa clientèle aux professionnels, il permet aussi à plusieurs établissements scolaires et restaurants de proposer une carte locale, bio et de saison. Cliente depuis l’ouverture de son restaurant en 2015, Marie-Laure achète la totalité de ses fruits et légumes à Biau Jardin pour alimenter sa carte : « C’est l’un des deux seuls producteurs locaux, bio, à destination des professionnels. De plus, leurs valeurs agricoles et humaines sont en totale adéquation avec ma philosophie. Biau Jardin, c’est un cadeau tombé du ciel ! Grâce à leur production on voit les saisons passer dans l’assiette. Mon restaurant ne serait pas devenu ce qu’il est sans eux, car les clients viennent pour la qualité des légumes. »

     

    Un tremplin pour rebondir

    La pérennité de Biau Jardin est assurée par 12 employés permanents et 14 employés d’insertion venus de tout horizon ; certains sont migrants, venus d’Arménie ou encore du Kosovo, d’autres des jeunes en quête de sens, ou encore des femmes au foyer et d’anciens ouvriers d’usines. Pour ces derniers, la structure révèle un tremplin pour rebondir et trouver un nouvel emploi.  « On fonctionne à l’inverse d’une entreprise classique, les meilleurs partent en premier et on garde les plus fragiles », aime à rappeler Gilles Lèbre. 

    Les salariés permanents forment et encadrent quant à eux les personnes en insertion, à mi-temps comme maraîcher et l’autre partie du temps à d’autres postes. La boutique leur enseigne par exemple la vente, l’achat, la prise de commandes et le calcul des marges, tandis que l’activité de demi-gros les forme à la préparation logistique. Les métiers de livreur, tractoriste, mécanicien ou maçon leurs sont initiés au même titre. Sur une base de volontariat, il leur est aussi possible de pallier à une fracture technologique ou linguistique grâce aux formations d’informatique et de français. « Toutes les journées sont différentes, on fait tellement de choses que les soirs en rentrant je ne pourrais pas vous dire tout ce que j’ai fait. Je remarque que je sers enfin à quelque chose, j’existe quoi ! », confie Céline, mère de trois enfants. 

    L’équipe de Biau Jardin. Crédits : Jodie Way

    Devant le hangar, les visages s’illuminent et les rires jaillissent lorsque les salariés se rassemblent pendant leurs pauses. Cela ne fait pas de doute, le plaisir de se retrouver, de travailler, est bien présent comme le souligne Gilles Lèbre lorsqu’il affirme que « 99% des employés viennent avec envie et motivation ». Salima, ancienne mère au foyer de 38 ans originaire du Maroc qui travaille à Biau Jardin depuis le mois de Juin, se réjouit elle aussi des liens créés ici : « J’ai vraiment senti l’égalité, la fraternité, la liberté. Je ne me sens pas différente. C’est une famille. Cela m’a permis d’intégrer la société française. J’étais isolée et j’avais peu de contacts. Ici, on travaille en équipe, on parle beaucoup, on échange beaucoup.»

    L’art de vivre ensemble et la mixité sociale qui entourent Biau Jardin satisfait autant le personnel que l’entreprise. Gilles Lèbre reste ainsi marqué par un ancien employé d’insertion qui leur avait appris à planter des patates douces, maintenant cultivées par Biau Jardin. « C’est hyper enrichissant, on apprend les coutumes des uns et des autres, on apporte par exemple un plat de son pays que l’on goûte. Il y a plein de choses à côté, il n’y a pas que le maraîchage »,  témoignent avec enthousiasme Céline et Salima.

    Confinement : solidaires dans la difficulté

    Beaucoup de stress a malgré tout envahi la structure pendant le premier confinement en mars dernier car personne ne savait vraiment comment réagir, quand s’inquiéter et comment détecter le virus. « À la moindre toux, on ne savait pas s’il fallait se mettre en arrêt ou non  », se souvient Gilles Lèbre qui devait faire face à un manque de personnel en arrêt maladie, alors que la clientèle avait doublé à la petite boutique. 

    Cette situation difficile avait toutefois amené de grands élans de solidarité avec la mise en place de bénévolat. « Cette initiative n’est pas venue de nous mais d’habitués, et même de salariés de chez Michelin qui n’étaient jusque là jamais venus à Biau Jardin », précise Gilles Lèbre. « De plus, on a été chanceux de recevoir plus de soixante masques confectionnés par des bénévoles historiques au bout du 8ème jour de confinement, alors que personne en France n’arrivait à s’en procurer. »

    Pendant plusieurs semaines, chaque matin des équipes de dix à douze bénévoles se relayaient. Ils travaillaient la terre et enlevaient les mauvaises herbes. « On essayait en retour de leur apprendre des choses, on voulait qu’il y ait un échange », affirme l’Auvergnat.

    Habituée de Biau Jardin, Valérie avait à cœur de participer à ce bénévolat  : « Aider un maraîcher tout en prenant l’air et en apprenant était l’idéal comme activité autorisée. Se rendre utile était salvateur. De plus, les bénévoles venaient de tout horizon professionnel ; ça s’ajoute à l’aventure ! »

    L’initiative spontanée a permis de sauver des plantations de carottes, d’oignons, d’ails et d’échalotes et de pallier au manque de personnel touché par le virus alors qu’en période printanière le rendement est important et le besoin de main d’œuvre primordiale. 

    Aujourd’hui le deuxième confinement qui débute est différent. La production est moins intense, et les personnes continuent le travail, ce qui n’était pas le cas en mars. Le bénévolat n’est donc pas installé cette fois-ci. Biau Jardin, avec son système de panier quotidien est « en quelque sorte l’Amazon du maraîchage local », ironise Gilles Lèbre.

    Et pour respecter les règles de distanciation, la boutique réfléchit actuellement à la conception d’un Drive. « On a beaucoup d’idées et peu de pétrole. On reste positif ! En espérant toutefois que la vie normale reprendra son cours petit à petit sans que l’on ait besoin de mettre en place ce drive. », conclut l’Auvergnat. 

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