Être et devenir, documentaire poignant de l’actrice et réalisatrice Clara Bellar, avait fait sensation en 2014. Cet hymne à la liberté brise de nombreux tabous sur l’éducation, en proposant la voie de l’apprentissage autonome (connu sous le nom de l’unschooling). Trois ans après la sortie du film, la publication du livre Être et devenir suscite toujours autant de débats passionnés. Rencontre avec la réalisatrice et auteure de ces prodigieux ovnis.
Certains considèrent votre film comme un manifeste anti-école où l’on voit trop d’enfants épanouis et de parents heureux… Que répondez-vous à ces critiques ?
S’il y a effectivement deux personnes qui disent des choses à l’encontre de l’école dans le film, tout le reste ne parle pas de l’école mais d’autre chose. Il s’agit au contraire de montrer une alternative pour ceux qui ne se plaisent pas dans leur scolarité. Nous avons donc fait très attention à ne pas casser l’école.
C’est vrai, je n’ai rencontré que de la joie, et souvent on m’accuse de cela… Je me souviens par exemple d’un journaliste qui m’avait dit : « Vous avez caché les zones d’ombres de l’unschooling ». Or je n’ai rien caché du tout ! J’ai filmé ce que j’ai vu, et les zones d’ombres je ne les ai pas rencontrées.
Je pense qu’il y a une importante distinction à faire entre l’instruction en famille (connue aussi sous le nom d’homeschooling) et l’apprentissage autonome (l’unschooling).
Pour le premier cas, on peut faire ce choix de l’instruction en famille pour tout un tas de raisons, comme contrôler plus les enfants et moins les exposer à la société. Par exemple certains le font pour des raisons religieuses : un jour j’ai rencontré un homme sur un marché qui m’a indiquée que sa fille n’allait pas à l’école car il ne voulait pas qu’elle lise un autre livre que la Bible. Cela peut être encore plus stricte qu’à l’école…
Pour l’apprentissage autonome, l’unschooling, c’est le contraire, c’est vouloir plus exposer les enfants et moins les contrôler pour qu’ils choisissent par eux-mêmes. Cela demande pour les parents un gros travail sur soi, un lâcher-prise. S’il y a quelque chose qui ne va pas, ils vont être plus à l’écoute, se remettre en question sans arrêt. Et c’est pour cela que l’on voit des enfants joyeux car c’est complètement un autre paradigme, l’enfant décide pour lui, il choisit pour sa vie. Forcément c’est hyper joyeux de passer la journée à faire ce qui te plaît sans être interrompu. Et cela ne veut pas dire que l’enfant va avoir du pouvoir sur les autres et faire tout ce qu’il veut. Je trouve que c’est très important de faire la distinction, dont parle Naomie Aldort dans le film, entre la liberté de choisir, en tenant compte de valeurs communes comme le respect des autres, la courtoisie, et la pleine permission sans aucune limite.
Je n’ai rien caché sous prétexte que je voulais vendre quelque chose, je n’ai pas d’action dans l’unschooling. Je suis partie à l’aventure complètement intriguée, curieuse, car on avait pleins d’idées préconçues avec mon mari, on était très formatés car je suis moi-même le produit de l’école de la République.
Comment peut-on expliquer la confiance presque aveugle qu’accordent les parents à l’égard de leurs enfants au niveau de l’apprentissage autonome ?
Quand tu observes ton enfant depuis qu’il est tout petit, tu te rends compte que les enfants apprennent très vite, ce sont des machines à apprendre. Aujourd’hui au XXIème siècle, la neuroscience l’a montré : on est né pour apprendre jusqu’à ce que l’on meurt, on ne s’arrête pas, c’est extraordinaire ! Toutefois on peut nous interrompre ou nous faire perdre la confiance en soi que l’on a depuis notre naissance. Si on t’entrave sans arrêt, qu’on n’arrête pas de te dire de ne pas faire telle ou telle chose, par exemple : « Tu vas te faire mal, tu vas tomber, tu n’es pas capable, tu es trop petit, etc., etc. » Forcément on n’aura plus cet entrain.
Mais quand on observe un bébé, les deux apprentissages les plus difficiles que l’on est amenés à faire dans nos vies, ce sont la marche et la parole. Certaines familles sont bilingues, d’autres comme la mienne sont trilingues, et on voit comment il est difficile pour un adulte d’apprendre une langue. Or les enfants apprennent à parler la langue de leurs parents et celles de leurs amis en vivant et en jouant.
Quand on remarque cette persévérance, par exemple avec ma fille qui essayait de marcher, qui tombait, se relevait à chaque fois, qui en voulait, c’était une vraie petite lionne, une battante. Elle n’a marché qu’à un an, mais elle était décidée à marcher, depuis qu’elle avait 6 mois. On la voyait travailler dur, transpirer, et bien, c’est ça les enfants !
Quand tu observes vraiment, que tu es dans le moment présent, tu vois qu’en général que tout va bien. Quand on vit avec l’enfant, que réellement on passe du temps avec lui, la confiance va découler de cette observation, de ce temps ensemble. Et si l’enfant est libre de choisir ce qu’il fait, il va être plus concentré et il va même rêvasser. J’adore ce moment quand Naomie dit que : « Quand on pense que l’enfant s’ennuie, on a l’impression qu’il est désœuvré. Or celui-ci est plutôt en train de penser et de se construire à l’intérieur ». Mais s’il est sans arrêt occupé, activité après activité, il n’aura pas ce temps pour rêvasser.
Pour faire de l’apprentissage autonome, il faut malgré tout un cadre, que les parents aient une certaine ouverture d’esprit, qu’ils savent lire, compter, etc., et qu’ils aient également des ressources financières suffisantes. Selon vous, quelle serait la solution pour les parents qui veulent proposer ce type d’éducation à leurs enfants, mais qui ne pensent pas pouvoir leur procurer ?
Nous avons rencontré beaucoup de parents qui n’ont rien ou très peu de moyens. Certains ont même choisi des modes de vies alternatifs, en vivant sur les routes en camping-car ou en voyageant. Il y a aussi des pêcheurs saisonniers qui travaillent deux ou trois mois par an et la maman travaille le reste du temps. Il existe plusieurs solutions pour mettre les choses en place. Parfois cela reste du salariat, avec un papa en 4/5ème , une maman au 3/5ème et un jour de la semaine où l’enfant est avec une autre famille en unschooling. La question financière c’est plutôt une question de choix, on va gagner moins parce qu’on va travailler moins d’heures.
Les parents qui font ce choix savent qu’ils ont un grand travail sur eux-mêmes à faire, et c’est très difficile. J’ai beaucoup d’amis qui n’ont même pas envie d’avoir cette conversation car c’est plus facile de ne pas se remettre en question, de rester dans le système et de laisser quelqu’un d’autre décider pour soi. C’est plus facile de se dire que s’il y a des problèmes, c’est l’école qui est responsable et pas soi. Mais si on enlève son enfant de l’école, on devient responsable de son épanouissement ou pas, de son bien-être ou pas. Cela demande de se responsabiliser et on n’a pas tous envie de le faire.
Il y a aussi la question de confiance en soi pour les parents. Par exemple, on a souvent remarqué que des parents immigrés qui ne parlent pas bien le français, ont très peur lorsque leur enfant demande de quitter l’école car ils ne se sentent pas capables d’assurer le suivi parce qu’ils ne maîtrisent pas la langue ou pensent de pas avoir assez de connaissances.
Mais c’est une question d’amour. Si un enfant scolarisé est en souffrance, cet amour sera plus fort que le manque de confiance. Les parents pourront se dire qu’ils ne peuvent pas laisser leur enfant comme cela, ils accepteront de le retirer de l’école pour apprendre avec lui. Mais c’est très difficile, parfois les parents se sont pris tellement de claques dans la vie, qu’ils n’ont plus confiance en eux. Il n’est donc vraiment pas facile d’écouter cette demande de l’enfant.
Pensez-vous que les enfants scolarisés sont libres ?
À partir du moment où l’enfant qui est à l’école sait qu’il peut arrêter, dans ce cas il est libre parce que c’est son choix d’aller à l’école. Mais souvent on lui dit par ignorance qu’il est obligé d’aller à l’école car c’est la loi. Ce qui n’est pas vrai du tout, dans ce cas-là il n’est pas libre.
Mon mari me raconta un jour qu’il avait un super professeur d’histoire et qu’il avait commencé à lui poser des questions : celui-ci répondit à la première, puis à la deuxième il lui dit qu’il ne pouvait pas répondre car il avait son programme à terminer avant la fin du cours ! Dans son livre Dumbling Us down, John Gatto parle de la tyrannie de la cloche, il indique que la cloche apprend la superficialité. Par exemple, tu es en train de tomber amoureux de la poésie, de décortiquer des poèmes et puis tout à coup la cloche sonne, il faut que tu ailles courir une demi-heure autour de la cour, puis la cloche résonne et là faut que tu ailles faire des maths. Le fait d’être constamment interrompu, empêche explorer à fond l’activité.
Et si on parle de liberté, ce n’est pas du tout physiologiquement naturel, surtout pour les petits garçons, d’être assis pendant des heures par jour. Le Docteur Catherine Gueguen nous dit tout simplement que ce n’est pas naturel pour un enfant d’être assis toute la journée. S’il n’arrive pas à tenir en place, qu’ils chahutent, c’est juste parce que c’est normal d’avoir besoin de bouger.
Dans les cas extrêmes, on donne de la ritaline aux enfants diagnostiqués hyperactifs, un médicament très fort qui a de terribles effets secondaires. Alors que finalement, tous les psychologues et les pédiatres que l’on a pu voir lors des ciné-rencontres en salle, comme Isabelle Filliozat, ont réussi à faire passer l’idée que la bienveillance était la réponse la plus adaptée à ces enfants. La solution de les droguer pour qu’ils restent assis est un véritable problème. En Allemagne, ou il est illégal de ne pas aller à l’école, beaucoup de parents quittent le pays pour que l’on ne drogue pas leurs enfants.
L’école peut-elle être un obstacle à l’enfant, une entrave à leur créativité ?
Nous avons beaucoup d’enseignants rebelles qui viennent en salle et s’effondrent. Je me souviens qu’on avait eu une jeune femme très touchée venue nous voir à Fontainebleau qui nous a dit : « Je sais pertinemment que je fais du mal, les parents ne savent pas que le programme est le même pour tous et qu’à la fin, si par exemple je fais du collage, eh bien ils se retrouvent tous avec le même dessin, je leur apprends à copier tous la même chose. » Tous les enfants rentrent ici à la maison avec le même dessin, il n y a aucune créativité, c’est comme si on leur disait n’écoute pas ta créativité, fais comme les autres.
Donc ce programme où tout le monde fait la même chose freine considérablement la créativité. Il y a un manque de travail collaboratif. Souvent les enseignants me disent que lorsqu’un enfant bute sur quelque chose, et qu’un autre veut l’aider, et bien ils sont punis, parce que c’est copier, et parler en cours, c’est encourager l’autre à copier. On n’encourage pas l’entraide, la coopération qui sont quand même des valeurs très importantes.
N’oublions pas que les enfants apprennent en jouant, en faisant, en imitant. Parfois c’est comme à l’ancienne, un mentor et ça suffit. Un enfant qui est passionné par la botanique, la menuiserie, l’astronomie, et bien il va souvent trouver une personne retraitée, qui habite dans le même immeuble et qui sera tellement content de partager et de transmettre son savoir à un jeune. Au lieu d’isoler les générations, encourageons-les à se donner les uns des autres.
Le film a le mérite de relancer le débat sur l’éducation. Qu’en est-il du rôle des enseignants ?
Dans les écoles démocratiques, ce sont des facilitateurs, ils sont là et ils n’imposent rien, mais si le jeune a une demande, et bien ils vont l’aider à trouver une réponse.
Certains parents disent qu’ils n’en sont pas capables parce qu’ils ne sont pas professeurs mais, il existe une étude anglo-saxonne qui a montré que lorsque les parents sont enseignants, et bien cela se passe beaucoup moins bien, car il y a plus d’attentes, de pression. Or les intérêts des jeunes, dès le plus jeune âge, sont souvent différents de ceux des parents. Et si ces derniers peuvent connaître un tas de choses, leur enfant aura une demande telle qu’ils ne sauront sans doute pas leur répondre.
L’américain John Gatto, qui gagné de multiples prix, est resté enseignant pendant 35 ans, mais il a fini par démissionner. Il poussé ces élèves à démarcher par eux-mêmes en il leur disant par exemple : « Tu veux être journaliste ? Eh bien va à Kaizen Manhattan (rires). Tu veux être juge ? Et bien, vas passer la semaine dans un tribunal, vas t’immiscer dans la vraie vie. » Au final, ses élèves allaient tous dans des grandes universités, ils avaient des supers métiers parce qu’ils avaient un professeur visionnaire.
Qu’est-ce qui a été le plus difficile à la sortie du documentaire ?
L’accueil. Parce qu’en France, beaucoup ignorait l’unschooling. Dix ans avant que le film ne sorte en 2014, tous les articles qui paraissaient dans la presse jugeaient l’apprentissage autonome. Les familles accueillaient les journalistes chez eux, et ces derniers sortaient les propos de leur contexte. L’unschooling a été complètement incompris.
À la sortie du film, je me suis pris beaucoup de violence du public, pas physique, mais émotionnelle. C’était très dur, cela m’a épuisée. À tel point qu’un psy m’a dit qu’il fallait que j’aie toujours quelqu’un à mes côtés, comme un garde du cœur, pour faire éponge et absorber 50 pour cent de la violence qui m’était envoyée. Cela été efficace ! À chaque fois qu’il y avait une projection à Paris, c’était plus facile car on connait du monde.
Une jour à Perpignan quelqu’un avait expliqué que le rejet était dû au syndrome de Stockholm : l’idée de l’apprentissage autonome est trop violente pour les personnes qui ont connu des difficultés scolaires, car cela veut dire que cela aurait pu en être autrement pour eux. Ils sont obligés de constamment se justifier, et quand on leur montre ce film qui leur dit que finalement ça aurait pu être comme ça, ça leur faisait tellement mal que dans un premier temps ils renvoient ce mal à la figure. Les échanges étant très longs en salle, l’ambiance évolue et devient une espèce de deuil, une profonde tristesse, et à la fin ce sont les mêmes qui sont venus me remercier avec des messages pleins d’espoir et de gratitude.
Il y avait aussi des parents qui ont vraiment une relation de force et de contrôle avec leurs enfants, désagréable avec eux. Et lorsqu’ils se rendent compte que cela aurait pu être autrement, ça fait mal. Mais avec les jours qui passent ils nous écrivent et nous disent merci parce que ce n’est jamais trop tard, même quand l’enfant est adulte.
Finalement, c’est plein d’espoir. D’ailleurs une psy m’a dit jour « qu’il n’est jamais trop tard pour avoir une enfance heureuse ».
Entretien réalisé par Djigui Diarra
Lire aussi: « La confiance en soi est l’une des pistes pour réduire les inégalités à l’école »
Lire aussi: « Adolescents: laissons-les choisir leurs voies ! »
Je viens de vous découvrir. Je suis une enseignante retraitée de l’éducation nationale. J’ai changé de multiples fois d’école, dans ma carrière afin de trouver une école où il soit possible de travailler en équipe. J’ai vécu la moitié de ma vie professionnelle dans des Zones d’Éducation Prioritaire. J’ai terminé comme directrice d’une école maternelle à 2 classes, avec une collègue-copine militante où j’ai essayé le plus possible d’ouvrir l’école aux parents et sur plus de vie.
Je vais parler de vous à mon plus jeune frère, papa d’un enfant rencontrant certaines difficultés dans le milieu scolaire, revenu radieux d’une récente classe verte,ainsi qu’à une amie et beaucoup d’autres personnes…
Mille mercis pour ce que vous publiez.
Très cordialement
Pascale Hébert
pascale.hebert114@orange.fr
Très intéressant ! Je signale que le livre du film est sorti : tout le texte du film + 200 pages de questions et de réponses basées sur les ciné-échanges avec de nombreux intervenants passionnants et crédibles (Catherine Gueguen, Isabelle Filliozat, Céline Alvarez et beaucoup de parents expérimentés) : oui mais comment fait-on quand on travaille, et la socialisation, quel est l’avantage du multi-âge, etc.
Etre et devenir, Faire confiance à l’apprentissage naturel des enfants
[…] Lire l’article, chez Kaizen Magazine […]
Enseignant depuis 25 ans j’adhère tout à fait à votre analyse. Les enfants ont besoin de leurs parents pour apprendre. Ceux sont eux les plus capables et la proportion apprenant/formant est toujours plus réduite que celle de l’école où elle est au mieux de 20/1. L’école c’est l’industrialisation de l’apprentissage, c’est l’économie d’échelle pour être plus productif. Elle est très bonne pour garder tout le monde dans le même format, même s’il y a toujours des rebelles. J’ai essayé de laisser mes élèves faire ce qu’ils veulent (niveau collège) mais c’est très difficile dans le contexte de l’école, ils ne comprennent pas donc c’est vite de l’incivisme etc. il faut les occuper sinon ils font que des bêtises, c’est le système, ils en sont prisonniers et moi aussi. Quand un élève finit son travail plus rapidement que les autres, il me demande « qu’est-ce que je fais maintenant ? », depuis quelques temps je lui réponds « ben, tu t’ennuies », sourire étonné de l’élève. Dès fois ça marche, il prend son smartphone et va lire des articles de Wikipedia, joue à un jeu ou aide son voisin. Tant que l’on aura des usines à apprendre ça sera difficile. Les usines à apprendre sont là parce qu’il y a des usines pour occuper les deux parents pour qu’ils puissent voyager dans le monde entier d’hôtels en hôtels et rejeter beaucoup de CO2 pour alimenter la croissance.