François Lasserre, entomologiste, auteur, conférencier et enseignant spécialiste des insectes et de la biodiversité, sera le grand témoin du festival AnthropoScènes. Une deuxième édition menée par l’association Le Tangram sur le thème : “Des insectes et des hommes”, du 2 au 10 mai. Expert en biodiversité, François nous livre sa vision du monde des invertébrés.
En quoi consiste le thème “Des insectes et des hommes” du festival AnthropoScènes ?
L’idée du festival consiste à voir les insectes autrement, à les considérer autrement, à les apprécier autrement, et ce, pour des raisons égocentriques puisqu’ils nous sont hyper utiles pour être en bonne santé. Puis pour des raisons altruistes, ce sont des petits animaux qui ne sont pas assez considérés. Le but est de montrer l’utilité des insectes pour nous et les écosystèmes. Et, je vais essayer de montrer que c’est plus que ça.
Les insectes permettent la pollinisation. Grâce à eux, on a beaucoup de fibres et de nutriments, parce que l’immense majorité des fruits et légumes que l’on mange existent grâce aux insectes pollinisateurs. Les insectes pollinisateurs, c’est plus de 10 000 espèces en France. Tout le monde pense que c’est l’abeille, mais ce n’est qu’une toute petite part. Les insectes fertilisent et recyclent tous les déchets organiques qui tombent un peu partout : les crottes, les cadavres, le bois, les feuilles… Puis, il y a plein d’insectes prédateurs ou parasites, ce qui limite donc les populations des autres insectes. Ils sont, par ailleurs, dans des chaînes alimentaires. Donc, sans insectes, il n’y a pas d’oiseaux, pas de grenouilles, pas de tritons, pas de certains poissons, pas de certains mammifères, pas de hérissons, ou moins. Peu importe qui ils sont, on est content qu’ils apportent de la vie, du mouvement, des couleurs, des bruits, des sons, des bzz… Puis, ils nous inspirent tous les jours, que ce soit pour les artistes, et ce, quel que soit l’art : le cinéma, la gravure, le graphisme, etc. Que ce soit pour les ingénieurs qui s’inspirent et copient le vivant. Parmi les insectes, il y a beaucoup de trouvailles qui ont été apportées par l’évolution, qui nous sont super utiles. Il y a par exemple certains écrans de tablettes qui ont été copiés sur des ailes anti-reflet de papillon. On parle de biomimétisme quand on essaye de copier le vivant, et parmi tous les organismes qui nous inspirent, il y a beaucoup d’insectes puisque ce sont les animaux les plus présents sur terre, en quantité d’espèces et en quantité d’individus, à ce jour. Les animaux les plus nombreux du monde sont les coléoptères. Les insectes représentent les trois-quarts du règne animal.
Quel est votre rapport à la biodiversité ? Quelle connexion entretenez-vous avec celle-ci ?
J’aime les autres, qu’ils soient humains ou non-humains. Je me suis intéressé aux non-humains les plus mal-aimés parce que je trouvais qu’ils manquaient de porte-parole, au moment où je me suis lancé dans la vulgarisation autour des insectes. Ils manquaient de porte-paroles à la hauteur de leur importance. J’aime ces “autres”. Je suis content qu’ils soient là et qu’il y ait de la vie et de la diversité autour de moi. J’ai toujours couru après un serpent, une araignée, une mante religieuse pour essayer de la voir de près, et de la rencontrer. J’ai toujours aimé rencontrer des non-humains et parmi ceux qu’on rencontre le plus facilement, il y a les insectes. Vous pouvez aller dans une prairie et les principaux non-humains que vous allez rencontrer sont des insectes. Je n’en avais pas peur, je les trouvais beaux dans leur différence et du coup, je me suis intéressé à ce monde, d’abord avec les mammifères. Ça m’amusait de dépoussiérer le monde de l’entomologie et de sa vulgarisation.
À quels défis les entomologistes sont-ils confrontés aujourd’hui ?
On doit faire face à la dégringolade des espèces. Toute la diversité est concernée par notre utilisation trop abusive des espaces. C’est ça la première cause de raréfaction de la biodiversité. On est trop interventionniste, on veut trop gérer. Donc ce serait chouette qu’on lève le pied dans les jardins, dans les champs, dans l’agriculture… Il faut lever le pied sur notre intervention dans l’environnement et surtout se dire : “comment je peux faire pour favoriser l’accueil des non-humains”, quoiqu’on fasse. Qu’on soit professionnel ou amateur. Il faut essayer de mieux cohabiter. Dans les pays où l’on est de moins en moins proche des insectes, et bien, moins on les connaît, plus on en a peur. Donc un des autres défis, c’est de redorer l’image des insectes dans les pays urbains. Parce que dans les pays où il y a des insectes partout et tout le temps, personne n’en a peur. Si on a un avis négatif sur les insectes, c’est souvent à partir d’une seule espèce et de quelques individus. J’ai reçu un SMS d’une personne, me disant “Qu’est-ce que c’est que ce truc ? Est-ce que ça pique ? Est-ce que ça mort ?”. C’était simplement une punaise grise qui était de passage dans la maison. La personne ne savait pas que les punaises grises cherchaient un abri où hiverner, que c’était complètement inoffensif, et qu’elle pouvait tout à fait la remettre dehors tranquillement. Pourtant, cette personne démunie, avait 50 ans et était urbaine et éduquée. Notre défi avec les entomologistes, c’est de dire “l’immense majorité des insectes, non seulement est utile pour nous et en plus, ils sont sympas”.
Les insectes sont en train de rentrer dans la catégorie des animaux sentient. C’est la faculté d’éprouver des émotions négatives ou positives, ressentir la douleur et avoir une vision subjective de sa vie. Tous les grands animaux sont sentient et les insectes sont en train de rentrer là-dedans. C’est une notion qui n’est pas encore scientifique, mais, est importante. Non seulement ce sont des êtres sensibles un peu comme nous, et en plus, on a du mal encore à les considérer. Ce sont des individus uniques comme vous et moi. Du coup, je trouve qu’on devrait nous apprendre dès le début, qu’on est entouré d’individus et non pas d’espèces, qui seraient considérées comme bonnes ou mauvaises, rares ou pas rares. Chaque bourdon est une Jessica ou une Natacha. C’est un individu unique et il faut se demander “est-ce vraiment important de tuer cet individu qui a autant envie de vivre que moi ?”. Étant donné que l’on tue encore 1 milliard d’animaux non-humains pour manger, je sais que le changement ne va pas se faire du jour au lendemain. Mais en tout cas, si on pouvait vraiment réaliser qu’on est entouré d’individus et non pas d’espèces ça serait énorme.
Comment est perçu votre métier ?
Souvent, on dit que tous ceux qui s’intéressent à la nature “ce n’est jamais très sérieux. Ce n’est pas une belle situation”. Et puis, petit à petit, j’ai quand même gagné en confiance avec les gens. Quand vous commencez à écrire des livres, à être interviewé à la radio, à la télé, à publier dans les librairies, et bien au bout d’un moment, on se dit “tient, c’est pas mal”. Je suis un petit peu la “caution écologique/biodiversité” de mon entourage. Maintenant, on rigole moins, car les insectes, ça devient de plus en plus “bancable”[1]. Donc c’est chouette d’être spécialiste des insectes, puisque maintenant qu’ils disparaissent, tout le monde s’en inquiète. Maintenant, c’est plus sérieux qu’avant. J’ai constaté ça en étant de plus en plus invité dans des entreprises pour faire des interventions.
[1] instable
Pour aller plus loin et consulter les ouvrages de François Lasserre : Site web de François Lasserre, rubrique biblio
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