Amma, championne du monde des câlins

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    Amma (« mère » en hindi) est née dans le Sud de l’Inde. Depuis plus de 30 ans, elle parcourt le monde pour donner « son » darshan : une étreinte maternelle. À ce jour, elle a pris dans ses bras plus de 36 millions de personnes1. Pour celle que les Indiens qualifient de Mahatma (« grande âme »), il n’y a qu’une religion : l’amour.

    Kaizen. Dans la culture indienne, embrasser, avoir des contacts physiques avec les gens en public n’est pas courant. Comment vous est venue cette idée d’embrasser les gens ? Pourquoi avoir choisi ce type de darshan ?

    Amma. La tradition indienne voit l’univers comme la manifestation sous formes multiples d’une unique énergie primordiale de pur amour. Cette énergie est représentée symboliquement par la Mère de l’Univers, Jagadambā – du sanskrit ambā (mère) et jagat (univers) –, et nous sommes tous ses enfants. Toute mère ou femme en âge de l’être est respectée comme une incarnation de Jagadambā et a donc naturellement une attitude maternelle avec toute personne venant à elle. Ainsi, de façon générale, bien que la culture indienne réprouve les démonstrations amoureuses en public, le concept de Jagadambā, la Mère de l’Univers, y occupe une place importante. Consoler et prendre dans les bras m’est venu comme le geste naturel d’une mère par rapport à son enfant.
    En ce qui me concerne, cela n’a pas été un choix. C’est arrivé spontanément. Au début, quand les gens ont commencé à me raconter ce qu’ils avaient sur le cœur, ils pleuraient et j’écoutais leurs malheurs. Quand ils pleuraient, j’essuyais leurs larmes et ils pleuraient de plus belle. Quand certains pleuraient sans pouvoir s’arrêter, doucement je mettais leur tête sur mon épaule, et cela les réconfortait de me confier leurs malheurs, tout bas, à l’oreille. Voyant cela, la personne suivante faisait la même chose. J’ai simplement accepté ce qui se passait. Ma voie n’est pas un rail de chemin de fer qui ne va que dans une direction ; c’est comme une rivière qui s’adapte, qui contourne et déborde, en étreignant tout ce qui se présente à elle.

    Est-ce aussi un combat pour le droit des femmes en Inde ?

    Pas au sens où certains essaient de l’interpréter. Les hommes et les femmes sont égaux à mes yeux. Et on doit donner le même statut et le même respect aux femmes qu’aux hommes dans le monde entier, pas seulement en Inde. Je crois en l’autonomisation des femmes ; je fais tout mon possible pour les aider à endosser plus de responsabilités sociales et professionnelles, et en même temps j’ai foi en la force miraculeuse des qualités maternelles – l’amour, la compassion, la patience et l’altruisme. Ces qualités – la force de la mère –, c’est ce que j’essaie d’éveiller chez les gens. De plus, les femmes ne doivent pas oublier que Dieu leur a accordé un don spécial, la possibilité de porter et d’élever des enfants. Élever un enfant en lui apprenant à être dynamique tout en faisant preuve de compassion est un puissant moyen de transformer la société. Ce dont notre société a besoin, par-dessus tout, c’est d’une génération pourvue de ces qualités.

    Amma
    © Éléonore Henry de Frahan

    Avec ce darshan, quel message voulez-vous faire passer ?

    Le pouvoir transformateur de l’amour pur et inconditionnel. Un tel amour franchit toutes les barrières religieuses, les barrières de langue, de nationalité, d’éducation, de caste et de couleur de peau.

    Vous êtes considérée comme une divinité en Inde et même en Occident (dont ce n’est pas la culture). Comment expliquez-vous et vivez-vous cette adoration ?

    Le divin est la véritable nature de chacun d’entre nous. Tous ceux qui désirent profondément réaliser cette vérité sont à même de le faire grâce à des pratiques spirituelles. Celui qui a réalisé que sa vraie nature est divine ressent intérieurement une paix mentale en toutes circonstances. La capacité à garder une attitude d’accueil quant au succès et à l’échec, à l’honneur ou au déshonneur, à la douleur ou au bien-être, et la capacité à aimer les autres sans rien attendre d’eux sont les signes de la véritable réussite spirituelle.

    Vous avez serré dans vos bras des millions de personnes. De quoi souffrent les gens que vous étreignez ? Que vous apportent-ils ?

    Pour la plupart des gens, et peut-être pour l’humanité tout entière, le problème fondamental, c’est de ne pas recevoir ni ressentir l’amour pur inconditionnel. Les gens ont une soif inextinguible d’amour véritable. C’est ce que tout le monde recherche. Nous sommes nés pour en faire l’expérience et la plupart des gens passent leur vie entière à rechercher cet amour pur et le bonheur éternel qu’il génère. Malheureusement, la plupart des gens meurent sans en avoir jamais fait l’expérience. Pour moi, c’est naturel et spontané de montrer aux autres de l’amour et de la compassion ; c’est tout simplement ma nature. De nos jours, les gens ont du mal à vivre avec d’autres personnes sous le même toit. Ils se battent, se disputent et se critiquent sans cesse. Ils se cherchent des poux à n’en plus finir. C’est peut-être pour cette raison que, aujourd’hui, les gens s’éprennent d’animaux de compagnie plutôt que d’êtres humains. Il y a même des gens qui tombent amoureux de leur matériel électronique ! Puisqu’il n’y a ni compréhension ni amour dans les relations, certaines personnes aspirent intensément à quelque chose de plus élevé. C’est alors qu’elles se tournent vers la spiritualité et l’amour spirituel. C’est ainsi que 90 % de ceux qui viennent au darshan sont intéressés par la spiritualité. Ils cherchent un accompagnement spirituel et veulent apprendre à intensifier leurs pratiques spirituelles. Mais des gens me confient aussi leurs problèmes personnels, professionnels et émotionnels et me demandent de l’aide.

    © Éléonore Henry de Frahan

    D’où vous vient cette énergie pour donner le darshan pendant des heures ?

    La source de cette énergie, c’est l’amour désintéressé. Cet amour, c’est de l’énergie non polluée – la forme la plus pure de l’énergie. Cette énergie ne fait qu’un avec l’énergie cosmique. Quand on découvre cette source d’énergie infinie, inhérente à notre véritable nature, on réalise du même coup que : « Je suis l’amour, l’incarnation de l’amour. » Partout dans le monde, on utilise normalement l’expression : « Je t’aime. » C’est comme si l’amour était pris au piège entre le « je » et le « tu ». L’amour qui filtre au travers des sentiments du « je » et du « tu » vient de l’ego. Quand l’ego disparaît, toutes les différences se dissolvent, et on ne contemple plus que la seule et unique conscience, le substrat, la totalité et la substance de la création tout entière. Dans cet état, nous ne sommes pas comme une pile qui se décharge à force d’être constamment utilisée, nous sommes comme une pile éternellement branchée à la source même de toute énergie.

    Amma
    © Éléonore Henry de Frahan

    Votre fondation, Embracing the World, propose des programmes de protection de l’environnement. Pourquoi cet engagement ?

    Parce que la nature est la forme visible de Dieu. C’est la manifestation la plus splendide de la gloire de Dieu – le plus grand miracle de tous les temps. De même que nous avons tous une mère qui nous a donné naissance, la nature est notre mère dans un sens bien plus large. Elle nous fournit tout ce dont nous avons besoin pour vivre. La nature peut exister sans l’être humain, mais l’être humain ne peut pas exister sans la nature. Servir la nature revient à servir Dieu.

    Vous avez rencontré le pape en décembre 2014. Est‑ce pour vous le début d’un parcours plus politique, une volonté d’inviter les dirigeants de ce monde à regarder ce dernier autrement ?

    Je ne pense pas que cette rencontre ait eu un caractère politique. Elle était de nature purement humaniste et humanitaire. Mais elle a sans aucun doute eu un impact positif sur les diverses communautés impliquées et fait passer un message positif et encourageant. Dans le monde d’aujourd’hui, où les nations, les communautés et les leaders politiques et religieux se démènent pour établir une coexistence harmonieuse, ce genre de rencontres est certainement très réconfortant. Ce dont nous avons besoin, c’est d’une rencontre des cœurs, pas d’une rencontre des corps. Malheureusement, presque toutes les soi-disant rencontres sont seulement physiques. D’où le fait que, la plupart du temps, elles n’amènent aucun changement. Cette rencontre était simplement un premier pas pour attirer l’attention sur le problème du trafic des êtres humains. La prochaine étape, c’est passer à l’action pour contribuer à le résoudre.

     

    1 D’après le site officiel d’Amma : etw-france.org/amma-la-fondatrice/

     

    © Kaizen, entretien publié dans le numéro de mars-avril 2015

     


    Lire aussi : Amma : Le futur de cette planète dépend des femmes

    3 Commentaires

    1. Bonjour,
      Je lis avec plaisir vos publications que je trouve chaque fois justes et positives.
      Mais je ne peux m’empêcher de réagir cette fois à cet article publié en mars-avril 2015 sur Amma, et que vous reprenez ce mois-ci dans vos colonnes.
      Je suis rentrée le 7 janvier 2017 d’Inde et je n’ai pu m’empêcher d’aller visiter Amma justement, trop heureuse de plonger dans ses bras lors d’un Darshan que j’espérais bienfaisant.
      Je dois avouer qu’après cette expérience vécue, je ne partage plus vraiment la vision idéaliste que le monde attribue à Amma.
      Sans remettre en question sa louable volonté d’origine de distribuer la compassion et l’amour, il faut avouer que la « machine » Amma est déroutante et un peu grinçante. Et pour en avoir discuté avec des Indiens sur place, eux-aussi voient certains aspects de cette commercialisation d’un oeil pas toujours complaisant.
      Il faut dire que le village Amma fonctionne avec l’investissement parfois total des bénévoles qui se consacrent corps et âme à l’accueil, l’entretien, la cuisine… enfin tout.
      Que les boutiques Amma fleurissent dans le village et proposent bracelets, huiles, et tout, absolument tout produit à l’effigie d’Amma, pour un prix qui n’a rien de compatissant.
      Je me suis renseignée pour une éventuelle retraite de quelques jours ; Les logements construits par les bénévoles sont loués à prix maxi à toute personne désireuse de faire une retraite.
      L’école Amma n’est pas gratuite contrairement à ce que l’on croit…
      Un éléphant enchaîné, atteint du tic de l’encensement est régulièrement amené sur l’une des places pour divertir les visiteurs. Je me croyais dans un parc d’attraction et non dans un village dédié à la méditation, à l’amour et au respect de l’environnement…
      Et que penser de la plage qui est retourné par les tracto-pelles pour ériger ponctuellement une estrade où Amma vient, telle une déesse, dispenser une séance de méditation…
      Le décalage entre le discours bienveillant (et l’image véhiculée autour du personnage Amma dans le monde), et la réalité a été pour moi rude… décevante.
      Les bénévoles m’ont paru plus compatissants et investis, croyants inconditionnels et convertis à la cause d’Amma… sans limite.
      Cette « Sanctification » me dérange… son ashram s’appelle le Lieu de l’immortalité, rien que ça…
      Alors il est possible qu’en 2015, votre article étaient bien conforme à la réalité.
      Nous sommes en 2017, et je peux vous assurer, que tout cela est bien différent…
      Des français rencontrés sur place et d’autres à l’aéroport au retour ont partagé le même ressenti.
      Les personnes en quête d’amour, celles qui sont perdues dans leur vie, abîmées par notre société occidentale stressante et violente auront tendance à se réfugier dans ce havre accueillant symbole d’amour et de paix.
      Mais il est facile de tomber dans l’excès et la sectarisation …
      Les indiens que j’ai rencontré pensent que l’entourage proche d’Amma est en train de dévier le message originel qu’elle véhicule et qu’elle-même laisse faire et accepte cette situation.
      Alors oui, son message d’amour est positif et mérite d’être diffusé, mais prudence quant-à tout ce qui est autour et surtout à remettre a jour les articles un peu anciens…

      Merci pour vos écrits, photos, et notes de bonne humeur qui nous font tant de bien et bravo à toute l’équipe Kaizen 🙂

      Carine

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