Alain Guyard décloisonne la philosophie pour la rapprocher des citoyens

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    Si nous sommes tous en mesure de penser par nous-mêmes, alors nous sommes tous philosophes. Fervent militant de cette vision universaliste, le philosophe forain Alain Guyard déambule joyeusement des campagnes aux bistros des villes, en passant par les prisons. Son objectif ? Libérer la pensée où elle doit s’affirmer, c’est-à-dire au plus près des citoyens. Sorti le 5 octobre 2016, le film La Philo vagabonde met en lumière cette démarche subversive.

    Alain Guyard
    Alain Guyard s’appuie sur un texte de Lucrèce pour philosopher avec des paysans sur le thème de la nature. © 1001 Productions

    « Je veux mettre la philosophie dans tous ses états, hors des murs de l’université et du lycée, loin des intellectuels maniérés et poseurs. La mettre dans les prisons, les hôpitaux, les bistros, les concerts, les quartiers, au fond des grottes et dans la rue. Il s’agit de ramener la philosophie à sa dimension charnelle, dérangeante, remuante, faisant irruption là où on ne l’attend pas, causant à tous les hommes, mêmes aux humbles sans grade et sans diplôme. Surtout à eux. » Le ton est donné. Dès les premières minutes du film-témoignage La philo vagabonde, sortie le 5 octobre dernier, le réalisateur Yohan Laffort nous embarque dans les pas déterminés d’Alain Guyard. Par un rapport quasi physique avec son art – ses phalanges tatouées des mots « tout » et « rien » en sont l’illustration –, ce passionné vient décloisonner les pratiques philosophiques bien au-delà du carcan universitaire, secouant au passage les lignes d’une philosophie trop souvent réservée aux philosophes. Et nous sommes traversés, ici et là, par des pensées vagabondes pendant 1 heure et 38 minutes.

    Une antiphilosophie, par tous et pour tous

    À 50 ans, Alain Guyard définit désormais sa pratique comme « antiphilosophique ». C’est après quinze ans de recherche académique et d’enseignement en lycée que cet érudit commence à démystifier la philosophie, pour la plus grande joie de ceux qui croisent son chemin. Fort de sens, La Philo vagabonde nous fait suivre les pérégrinations de ce « Coluche de la métaphysique » qui, pétri d’autodérision, saisit ses auditeurs (ou plutôt, les laissent se saisir de la philosophie). Ainsi, la magie opère. Un paysan s’émeut sur un texte de Lucrèce, pose des mots sur les valeurs qui l’animent ; un boulanger s’exprime sur le rapport spirituel qu’il entretient chaque jour avec la pâte à pain ; des assistantes sociales méditent sur l’éthique de leur métier tourné vers l’humain. Les idées cheminent, les échanges sont profonds, les regards s’illuminent.

    Discrète, la caméra de Yohan Laffort nous amène où la culture est en arrière-plan, voire inaccessible, comme dans ce centre pénitencier belge. Ici, Alain Guyard mêle ses pensées à celles des prisonniers, philosophes malgré eux, qui admettent avoir « beaucoup de temps pour penser ». L’un d’eux ira même jusqu’à dire que « la philo est une forme d’évasion qui est toujours à [sa] portée. » C’est à la fois beau et touchant, drôle et grave.

    Alain Guyard
    Alain Guyard échange avec des prisonniers belges sur la philosophie morale de Socrate. © 1001 Productions

    Agir par la pensée

    D’après le protagoniste du film, il n’y a que deux façons de voir la philosophie : soit comme une plus-value pour briller en société, soit comme un décapage, une activité en mesure de nous confronter à la vérité du monde. Inévitablement, le cinéma de Yohan Laffort met en scène ce dernier élan. Dans La Philo vagabonde, chaque déambulation est l’occasion de sensibiliser sur le caractère singulier de l’existence. Ainsi, Alain Guyard insiste auprès de ses auditeurs sur l’importance de « se battre pour devenir propriétaire de sa vie », c’est-à-dire affirmer sa personnalité, ses désirs, en somme, devenir l’artiste de sa vie.

    Ces rencontres à taille humaine cachent une plus grande ambition, celle de faire société par une langue forte, capable de former une stratégie pour répondre à celle du pouvoir. « L’un des grands enjeux aujourd’hui est la maîtrise de la langue, de la capacité à la narration. Et j’estime que la philosophie est une manière de raconter le monde. […] Ce faisant, on restitue aux hommes leur force première par quoi ils peuvent ensuite nommer le monde et le maîtriser – et c’est aujourd’hui cette compétence que l’on nous refuse. Donc je crois que le véritable combat, aujourd’hui, est une action où nous sommes directement les auteurs et les responsables de nos narrations, des histoires que nous racontons et du langage que nous employons », affirme Alain Guyard face caméra. De ce point de vue, ce film est une invitation à l’action, à l’effort pour penser loin du « système capitaliste qui fabrique de la pathologie et dévaste le monde intérieur des Hommes. »

    Finalement, une philosophie accessible au plus grand nombre est bel et bien possible. Cette idée prend vie dans La Philo vagabonde, témoignage porteur d’un élan émancipateur – qui consiste à comprendre le monde et agir par le discours – auprès de citoyens de tous horizons. Pour changer de société, philosophons !

     

    La philo vagabonde, sortie le 5 octobre 2016. Durée : 1 h 38.

     

     

    Simon Beyrand

     


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