Air Breizh : « La pollution aux particules fines a longtemps été sous-estimée en Bretagne »

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    Chaque année en France, 40 000 morts sont attribuées à la pollution de l’air, et notamment aux particules fines, selon la dernière étude de Santé Publique France publiée en 2021. Alors que l’industrie et le trafic automobile font partie des principaux responsables des pics de pollution, l’épisode de pollution intervenu le dernier week-end de mars, a révélé des taux importants de particules fines en Bretagne, loin des grandes métropoles parisienne ou lilloise. En cause : les émissions d’ammoniac, liées à l’activité agricole. Entretien avec Gael Lefeuvre, directeur d’Air Breizh, association de surveillance de la qualité de l’air en Bretagne.

     

    Plusieurs régions de France, et notamment de grandes métropoles, ont connu des pics de pollution ce dernier week-end de mars. Est-ce un phénomène de plus en plus fréquent ?

    Pas vraiment par rapport aux années précédentes. Ce qui est fréquent c’est d’avoir des pics de pollution aux particules fines au début du printemps. C’est récurrent à cette période de l’année, parce qu’il y a une conjonction de facteurs : des conditions anticycloniques avec très peu de vent, une affluence de vent du nord-est, des périodes d’épandages agricoles et des émissions locales habituelles, comme le trafic automobile.

    Quels sont les risques de ces pics de pollution ?

    Les particules fines (PM, « Particulate Matter », soit particules fines en anglais, ndlr), des polluants que l’on mesure depuis plusieurs années, ont des effets sur la santé. Plus les particules sont fines, plus elles pénètrent profondément dans l’arbre pulmonaire et peuvent avoir des conséquences sur notre système respiratoire. C’est le cas des PM2.5. La règlementation française est basée sur les PM10 pour les épisodes de pollution, mais évidemment quand les concentrations en PM10 sont élevées, les concentrations en PM2.5 sont aussi élevées (1).

    Ce dernier pic de pollution n’a pas seulement touché de grandes métropoles, où l’industrie et le trafic automobile sont concentrés, mais il est aussi intervenu dans une région plus rurale comme la Bretagne. Cela serait dû à l’ammoniac (NH3), dont les émissions proviennent à 94% de l’activité agricole selon l’ADEME. Pouvez-vous nous expliquer ce phénomène ?

    Il existe trois types d’émissions d’ammoniac : il y a celles liées au stockage d’effluents des élevages et celles qui sont liées aux bâtiments agricoles ; car lorsqu’il y a une centaine, voir des milliers d’animaux regroupés dans un même lieu, cela implique une concentration de fientes et donc d’ammoniac importante, dont une partie est rejetée dans l’air. Ces deux types d’émissions sont constantes dans l’année. Enfin, il y a les émissions issues des épandages de lisier (2) qui sont conséquentes, mais qui interviennent sur une courte période de l’année.

    Or l’ammoniac est un gaz précurseur de particules fines. C’est-à-dire qu’il va réagir dans l’atmosphère avec d’autres molécules, notamment les oxydes d’azote, issus du trafic automobile (liés à la combustion). Les deux polluants se mélangent alors et réagissent pour former du nitrate d’ammonium. Et c’est ce dernier qui va constituer à une certaine période de l’année l’espèce principale des particules fines.

    Mais l’ammoniac n’est pas un polluant réglementé, donc ses mesures ne sont donc pas obligatoires. C’est pourquoi le phénomène de pollution de l’air aux particules fines a longtemps été un sujet sous-estimé et sous-évalué en Bretagne. A Air Breizh, on aimerait davantage travailler sur les émissions de ce gaz dans les prochaines années. Il y a deux ans, nous avons d’ailleurs installé un analyseur d’ammoniac dans une station rurale, Kergoff, à Merléac, dans les Côtes d’Armor.

    Cette pollution liée à l’ammoniac est-elle une spécificité de la Bretagne ?

    La Bretagne représente 5% du territoire français en surface et notre région est pourtant à l’origine de 15% des émissions d’ammoniac en France. Ces pollutions à l’ammoniac peuvent intervenir aussi en Normandie et en Pays de Loire, mais dans une moindre mesure car il y a moins d’élevages dans ces régions voisines.

    Lors des pics de pollution, il y a des outils mis en place au nouveau national pour diminuer les émissions, comme la circulation différentiée avec la Vignette Crit’Air, existe-t-il des outils pour prévenir ces épisodes de pollution ?

    Dans les arrêtés préfectoraux, il y a tout un tas de mesures prêtes à l’emploi pour diminuer les émissions de différents secteurs. Comme des consignes adressées aux industriels pour changer la puissance de combustion utilisée, ou aux agriculteurs pour « recourir à des épandages faiblement émetteurs d’ammoniac ».

    A Air Breizh, on collabore actuellement avec la Chambre d’agriculture de Bretagne sur un projet de diminution des émissions d’ammoniac dans le cadre du programme européen LIFE (programme qui finance des projets spécifiques en faveur de l’environnement, ndlr). On a constitué un réseau d’agriculteurs volontaires sur un territoire pilote pour qu’ils mettent en place certaines pratiques agricoles moins émettrices en ammoniac. On s’est appuyé en partie sur le guide de l’ADEME publié il y a quelques années. D’autres outils existent, comme l’installation de couvertures sur les fosses à lisier par exemple.

    (1) Les particules fines peuvent être d’origine naturelle (notamment les éruptions volcaniques) ou liées à l’activité humaine, via les rejets de l’industrie (fumées et poussières) et de l’agriculture intensive, les modes de chauffage par combustion (bois, charbon, fuel…) et les moyens de transport (principalement les gaz d’échappement des moteurs à explosion).

    (2) L’épandage de lisier consiste à utiliser des déchets spécifiques, essentiellement des excréments et de l’urine d’animaux d’élevage, pour fertiliser les terres agricoles.

     


    La pollution de l’air en chiffres :
    – En France : 40 000 décès prématurés par an (
    étude Santé publique France de 2021)
    – 30% de la population française atteinte d’une allergie respiratoire (RNSA)
    – Coût sanitaire total de 100 milliards d’euros (
    évaluation de la commission d’enquête du Sénat de 2015)
    – Dans le monde : 7 millions de morts prématurées (étude de l’OMS de 2014)


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