Daniel Cueff, ancien maire de Langouët : « Accélérer l’écologie dans toutes les communes »

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    Ecologie et paysans, ensemble ! C’est l’idée que Daniel Cueff développe dans son dernier ouvrage Paysans, on vous aime (éd. Indigène, 2020). L’ancien maire de Langouët (1999-2020), connu pour son arrêté local anti-pesticides – annulé par la tribunal administratif de Rennes – a décidé de ne pas se représenter aux dernières élections municipales. Régionaliste convaincu, défenseur d’une «démocratie collaborative» et tenant de l’écologie sociale, il continue pourtant de croire en l’action locale. Entretien.

    Le 15 mars dernier, lors du premier tour des élections municipales, la liste que vous souteniez à Langouët a perdu le scrutin. Quelles leçons en tirez-vous ?

    Daniel Cueff : Le taux de participation a été exceptionnel : 80,25% au premier tour et 71% au second tour [NDLR : au niveau national, 44,66% au premier tour et 41,67% au second tour]. Manifestement, l’enjeu était important. Tous les candidats se sont revendiqués du projet écologique de la commune de Langouët. A mon avis, cela a participé à tromper les électeurs, car une liste s’est bel et bien constituée en réaction à mon arrêté anti-pesticides. Elle était composée de propriétaires agricoles, de membres de la chambre d’agriculture locale et de familles d’habitants plutôt anciennes. Mais finalement, avec deux voix d’écart seulement, le résultat a été très serré [NDLR : l’opposition a obtenu la majorité absolue des élus dès le premier tour][1].

    Pour vous, qu’est-ce qu’être écologiste ?

    On ne peut être écologiste sans être régionaliste, comme on ne peut être régionaliste sans être écologiste. L’action doit prendre en compte le territoire, ses langues, sa géographie, sa rose des vents, son orientation solaire, sa pluviométrie et sa température. La gestion de proximité est importante. Par exemple, un événement climatique en Bretagne n’aura pas les mêmes conséquences à Saint-Malo qu’à Langouët. Le futur dictateur, c’est le climat. Bien sûr ce n’est pas à Langouët que nous allons tout régler, d’autant plus avec des Jair Bolsonaro au Brésil ou des Donald Trump aux Etats-Unis. Car le problème est global. Mais il faut agir dans notre périmètre d’action.

    Donc localement ?

    Localement, les gens s’aperçoivent que manger nécessite d’aller faire ses courses. Or que se passe-t-il si cela n’est plus possible, notamment à cause d’une agriculture bretonne essentiellement engagée dans l’exportation ? Les gens ne savent plus cultiver leur jardin, contrairement à nos grands-parents qui avaient leur potager et des poules. Pour cette raison, nous avons développé une ferme permacole sur la commune de Langouët. Sa vocation est double : nourrir et former, ou plutôt auto-former. Il faut accélérer l’écologie dans tous les projets communaux.

    LogemeLogements sociaux écologiques de Langouët construits sous le mandat de Daniel Cueff (auteur-rice inconnu-e)nts sociaux écologiques de Langouët (auteur-rice inconnu-e)
    Logements sociaux écologiques de Langouët construits sous le mandat de Daniel Cueff ©DR

    La pandémie de Covid-19 a provoqué une crise sanitaire d’ampleur révélant ainsi les carences de l’Etat. Quel échelon est le plus efficace dans cette lutte sanitaire ?

    C’est le niveau communal. Face à cette crise et à des consignes inapplicables de l’Etat, les communes se sont particulièrement mobilisées, notamment pour répondre à la pénurie de masques. D’ailleurs, le maire de Sceaux a voulu imposer le port du masque, compte tenu de la situation de mobilité croisée de la ville, et le préfet l’a immédiatement traîné au tribunal administratif pour casser son arrêté. En France, on n’a pas l’habitude de cette souplesse. C’est le seul pays sur le continent européen dont le président a autant de pouvoir que celui de Turquie, Recep Tayyip Erdoğan. Alors qu’en Allemagne, par exemple, la municipalité de Cologne a pu confiner les habitants de la ville.

    Plus généralement, ce n’est pas Angela Merkel qui dicte la politique du pays aux régions ; elle se réunit d’abord avec leurs présidents pour déterminer la marche à suivre. Cela fonctionne du bas vers le haut, alors qu’en France c’est du haut vers le bas. L’Etat français veut garder la main, est très centralisé et n’a pas confiance en ses territoires. Au sortir de la Seconde guerre mondiale, c’est d’ailleurs le général de Gaulle qui a souhaité la création de ces Länder pour affaiblir l’Etat central allemand. Cependant, le résultat actuel, c’est que l’Allemagne a une capacité de réaction que nous n’avons pas du fait de son organisation.

    Je suis pour une gestion différenciée de la République. En ce sens, je suis très proche de la pensée de Michel Rocard qui, déjà en 1966, invitait à Saint-Brieuc à ce que les régions puissent avoir une capacité d’adaptation des lois nationales à Constitution constante. On ne peut pas gérer la Bretagne avec ses 3300 kilomètres de côtes comme l’Île-de-France ou les Hauts-de-France. Voilà pourquoi l’Etat est inefficace.

    Peut-on considérer votre arrêté municipal disposant d’une « distance d’éloignement des pesticides » de 150 mètres des habitations comme de la désobéissance civile ?

    Cela a été considéré comme tel. Mais je ne le conçois pas ainsi. Car j’ai tenté de montrer que le maire est habilité à agir en lieu et place de l’Etat s’il est face à une carence avérée de celui-ci. C’est une question de droit et d’obligation morale que de se substituer à un Etat défaillant. Beaucoup de jeunes, notamment d’Alternatiba, de Le Vent se Lève, d’Extinction Rebellion, me prennent comme un exemple de la désobéissance. Je comprends néanmoins cette jeunesse qui, comme moi, ne croit pas au « Grand soir politique » et à des choses qui viennent du haut. Comment leur donner tort quand nous voyons que la Convention Citoyenne sur le Climat fait des propositions que jamais un gouvernement n’a faites ? Je suis toutefois en accord avec un élément dans la désobéissance civile : la non-violence.

    Que pensez-vous de la période politique actuelle ?

    Je crains la politique du « en même temps », qui est d’ailleurs née en Bretagne. On veut en même temps l’agriculture biologique et l’agriculture conventionnelle, un Etat fort et la régionalisation ; et, en même temps, le maire de Langouët a raison mais on le traîne devant le tribunal. C’est une politique qui va faire perdurer un système très problématique pour la biodiversité et la santé publique. Il faut aussi résoudre la dépendance aux matières premières stratégiques : fer, verre, carton et pétrole, etc.

    Reportage vidéo réalisé en octobre 2019 (avec Daniel Cueff)

    Depuis une vingtaine d’années, vous avez largement fait la promotion du développement durable en Bretagne. Aujourd’hui, de plus en plus de voix s’élèvent pour dire que ce terme relève plus de l’écoblanchiment et de la croissance verte que de l’écologie. Doit-on toujours parler de développement durable ?

    Non. Il y a deux ans, j’ai proposé à ma commune de rompre avec cette notion trompeuse, banale et dévoyée qui signifie qu’il faut avoir le moins d’impact négatif sur l’environnement et la santé. J’ai alors proposé de la remplacer par la notion d’ « économie circulaire à impact positif ». Ma démarche consiste au contraire du développement durable à ce que tout projet, toute politique apporte un bénéfice à l’environnement et à la santé. C’est un sacré challenge !

    Cela passe-t-il par des solutions précises ?

    C’est avant tout un autre paradigme. Je redoute les solutions clés en main qui constituent une liste du Père Noël. Ce type de démocratie par le haut, du « votez pour moi, j’ai la solution », est mort. Il ne faut pas non plus une démocratie participative qui elle est parfois conservatrice. Vous faites venir des gens à une réunion en leur demandant des solutions à un sujet. Mais si ces gens ne connaissent rien sur le sujet, cela rend les choses difficiles et les amène à toujours produire la même chose. Il faut donc une autre forme de démocratie : une démocratie collaborative.

    Quelle forme prendrait-elle ?

    On fixerait un cadre reposant sur la reconnaissance de l’urgence climatique. Les gens devraient se mobiliser pour trouver les solutions eux-mêmes dans ce cadre établi non-négociable. Par exemple, si l’objectif est de rendre l’agroalimentaire vertueux, écologique, protecteur, compétitif et sans pesticide, une personne ne pourra pas dire qu’il faut des pesticides. C’est une méthode assez libertaire, sinon directive.

    Dorénavant, comment allez-vous vous « mobiliser pour changer la loi » pour paraphraser le président de la République Emmanuel Macron ?

    J’ai une confiance modérée en la loi. Je crains des lois liberticides, réactionnaires et qui conservent le monde actuel. Mais je crois que la loi ne change plus la réalité. Aujourd’hui, il ne faut plus rester dans l’attente de la loi : il ne faut plus dire, il faut faire.

    Propos recueillis par Marius Matty

     

    [1] Le site www.vie-publique.fr l’explique ainsi : « Dans les communes de moins de 1 000 habitants, le scrutin est majoritaire, plurinominal, à deux tours. Obtiennent un siège au conseil municipal au premier tour les candidats remplissant une double condition : avoir obtenu la majorité absolue des suffrages exprimés et recueilli au moins un quart des voix des électeurs inscrits. » A Langouët, l’opposition du projet de Daniel Cueff a gagné 9 sièges sur 15 dès le premier tour, soit la majorité absolue ; au second tour, les deux conseillers municipaux restants à élire ont néanmoins été remportés par la majorité sortante.


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    Pour aller plus loin :

    CUEFF Daniel, Paysans, on vous aime, défendez-vous, défendez-nous. Contre les pesticides de synthèse, éditions Indigène, 2020.

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