Depuis août 2015, à Saint-Gonlay (Ille-et-Vilaine), les week-ends ont une saveur nouvelle : celle des soirées et des petits plats concoctés par Johanna Boisgerault dans sa Barakafé. Niché entre la forêt de Brocéliande et le lac de Trémelin, ce bar et café-concert à l’histoire singulière fait de nouveau battre le cœur du village rural de quelques 350 habitants.
Si, en arabe, la baraka désigne une chance extraordinaire, elle peut aussi être une bénédiction. « Bénir quelque chose, c’est y mettre tout son cœur, sourit Johanna Boisgerault, je ne crois pas au hasard ni à la chance, mais plutôt à l’impulsion qu’on donne à la vie. » Pourtant, de la chance, on en ressent quand on se retrouve, au cœur du Pays de Brocéliande, à pousser la porte de la Barakafé, seul commerce de l’un des plus petits villages de Montfort Communauté. Fièrement dressée face à l’unique route qui traverse le bourg, La Barakafé ressemble à n’importe quel bar de village. Ce n’est qu’une fois à l’intérieur que la singularité du lieu se dévoile aux yeux du voyageur curieux. Au milieu des piles de livres, des tables, chaises et strapontins chinés, des affiches colorées et du carrelage d’époque, Johanna s’amuse de la surprise qu’inspire sa « baraque à fée » : « En réalité, cet endroit n’est qu’un prétexte pour offrir de la magie, de l’émerveillement et de la surprise aux gens », confie-t-elle, une étincelle de malice dans le regard. Au fond de la grande et unique salle, un portrait de Louis Boisgerault couvre une large partie du mur. Ancien gérant de ce qui fut une boucherie-bar-tabac, le grand-père de Johanna veille sur le joyeux bazar.
En soixante-six ans, le commerce est passé entre cinq paires de mains, avant de revenir à Johanna. Lorsqu’elle reprend les clés du lieu en août 2015, après la liquidation judiciaire de L’Épicerie de Brocéliande – un projet porté la communauté de communes Montfort Communauté, dont fait partie Saint-Gonlay – Johanna n’a qu’un but en tête : provoquer des rencontres humaines et culturelles. Dans sa Barakafé, pas de petites tables, ou de service en salle ; du jeudi au dimanche, habitués, voyageurs, enfants comme aînés se rencontrent autour de grandes tablées en bois, au rythme des discussions et des concerts : « La convivialité du lieu en fait toute sa spécificité, sourit Pascal, qui vit à Saint-Gonlay depuis dix-sept ans, La Barakafé, c’est un peu chez nous maintenant. »
Un point de ralliement
Sans subventions ni employés, Johanna jongle depuis cinq ans entre l’organisation de la vie du café, la préparation de repas pour les élèves visitant le musée-école du village, la programmation culturelle et l’accueil d’associations comme Les Faisous de chemin, qui agit pour la préservation de l’environnement, ou le groupe Égalité, qui œuvre pour l’égalité femmes-hommes sur le territoire de Montfort Communauté : « Je suis vraiment ouverte à la co-construction », avance Johanna en désignant Marcel, un jeune maraîcher Gonlaisien installé devant La Barakafé pour vendre ses produits. Au-delà d’un « café sympa », La Barakafé est un véritable point de ralliement, ouvert à tout type d’initiatives citoyennes : « Même si je suis à la marge, c’est bien de montrer que des initiatives dont les fondements ne sont pas purement économiques existent », affirme Johanna. Une démarche partagée par le nouveau maire du village et père de Johanna, Loïc Boisgerault : « Notre challenge, c’est de créer du lien entre les habitants et de montrer qu’on a aussi des projets à proposer », s’enthousiasme-t-il, confiant.
Digne héritière de l’accueil chaleureux de ses grands-parents et de l’appétence culturelle de sa mère, Johanna met au goût du jour une recette qui semble porter ses fruits : « On a vu des groupes qu’on n’aurait jamais pensé voir à Saint-Gonlay, se souvient Pascal, un habitué ; d’ailleurs, si vous venez un samedi de concert, vous verrez des gens venant de toute l’intercommunalité. » En effet, La Barakafé accueille entre quarante et soixante-dix personnes à chacun de ses vingt-cinq événements annuels. Des spectacles de danse aux expositions de peinture, des performances d’art contemporain au Petit Soufflet – le « off » du Grand Soufflet, festival d’accordéon –, Johanna donne à voir toute la richesse et l’ouverture culturelle dont sont capables les zones rurales : « Je pense que c’est aussi à nous, sur le territoire, de créer la dynamique », avance Loïc Boisgerault, qui souhaite faire prendre à Saint-Gonlay un véritable tournant touristique et culturel au cours de son mandat. Johanna, elle, mûrit déjà un nouveau projet : un moratoire sur les valeurs de la ruralité. « Ces qualités d’accueil, de simplicité, de chaleur humaine font partie de notre patrimoine immatériel, observe la Gonlaisienne ; la crise sanitaire a permis de les réveiller et maintenant, il faut recommencer à les cultiver. »
Je m’abonne pour 1 an et 6 numéros à partir de 28€
Un projet de vie
Vingt ans, c’est le temps qu’il aura fallu à Johanna pour marcher dans les pas de ses grands-parents. À dix-huit ans, caractère bien trempé et envies d’ailleurs en poche, elle était partie vivre dans le Sud-Ouest. De petit boulot en CDD, elle s’est d’abord frottée au monde du travail, avant de rebrousser chemin, après neuf ans de détours. Avec le recul, Johanna s’amuse de ce retour aux sources : c’est comme si toutes ces années n’avaient fait que la préparer à la plus longue aventure de sa vie, qui l’attendait tout près de chez elle : « Mes plus beaux souvenirs, je les ai vécus à Saint-Gonlay, se souvient Johanna, c’est d’ailleurs avec mes yeux d’enfants que j’ai rouvert le café. »
Quatre ans après son retour, Saint-Gonlay voyait son dernier commerce, l’ancêtre de La Barakafé, baisser son rideau : « On était en train de mourir », se souvient Johanna. Avec les clés du lieu, c’est l’âme du village que les gérants rendent à la mairie. Le silence dure cinq longues années, avant que Montfort Communauté ne porte le projet de L’Épicerie de Brocéliande. Initialement prévu pour des communes de quatre à six mille habitants, comme Iffendic ou Montfort, voisines, il n’a pas été redimensionné pour un petit village comme Saint-Gonlay. L’épicerie ferme ses portes en juillet 2015, et l’histoire se répète. Mais au lieu de la subir, Johanna décide d’en écrire un nouveau chapitre, devenant ainsi un pilier de Saint-Gonlay : « Johanna est le lien entre tous les habitants du village, confie Marcel entre deux clients, c’est elle qui en fait son âme. » Pascal, un peu plus loin, acquiesce : « Sans La Barakafé, ce serait dimanche tous les jours à Saint-Gonlay ! »
Par Clara Jaeger