Vivre en autonomie : les leçons du confinement au Québec

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    Pour eux le confinement, n’a rien changé, ou presque. Ils sont libres et autonomes depuis plusieurs années ! Avant la crise sanitaire du Covid-19, des femmes et des hommes ont choisi cette voie. Au Québec, dans L’écohameau de la Baie, le GREB (le Groupe de Recherche écologique de la Baie) a su imaginer et construire un nouveau modèle, en respectant l’homme et la nature. Muriel Barra les a rencontrés, filmés pour réaliser une série documentaire : « Un autre chemin, à la découverte des choix de vie en autonomie ». Ils témoignent de ce qu’ils ont vécu pendant le confinement.

     

    « Profitons de cette crise pour redynamiser nos campagnes ! »

    Témoignage de Patrick Dery

    Franchement, je ne l’avais pas vu venir. Après la crise du H1N1, je ne m’imaginais pas qu’une pandémie aurait cette ampleur. D’autant plus que le virus actuel a beaucoup plus d’impacts sur les infrastructures de santé que sur les personnes elles-mêmes si on les prend dans leur ensemble.

    Le plus inquiétant pour moi, ce sont les impacts économiques et sociaux qui feront suite à la fin de cette pandémie. Cette crise sera-t-elle le déclencheur d’une forme d’effondrement comme nous en avait averti le rapport meadows? L’avenir nous le dira.

    Ici, à l’Ecohameau de la Baie (plus précisément à la ferme les vallons de Chambreule), la vie suit son cours. Nos animaux terminent la vague des nouvelles vies du printemps. Les agneaux et les veaux sont fébriles de connaître les verts pâturages, de même pour leurs mamans.

    Nous continuons de nous nourrir avec les produits que nous avons stocké l’an dernier. Le lait cru de notre vache laitière bouton d’or et les verdures s’ajouteront bientôt. Les constructions viennent de redémarrer. Nous avons même construit un laboratoire d’énergie solaire où nous menons actuellement des expériences (avec la chaire terre du cégep de Jonquière). Les travaux des champs, quant à eux, débuteront dans les prochaines semaines. Valois, mon plus jeune fils, a troqué temporairement son rôle d’élève pour devenir un apprenti de la construction et des travaux de la ferme. Mon plus vieux, Fabrice, s’active dans la maroquinerie, la poterie et autres artisanats.

    La grosse différence est l’absence de wwoofers, confinement oblige ! Nous regardons ce que nous ferons pour nous ajuster à l’absence de ces personnes aidantes. Un beau défi de résilience !

    Vue du Québec, il est clair que le gouvernement et nos concitoyens se sont rendus compte tout d’un coup que l’agriculture est essentielle et qu’il est important de viser une certaine autonomie alimentaire locale. En espérant que cela donnera des actions qui nous rendront réellement moins dépendant des aliments produits aux quatre coins du monde et que cela redynamisera nos campagnes.

     

    « Préparons-nous à former largement ceux qui voudront devenir résiliants »

    Témoignage de Marie-Thérèse Thévard

    Nous avons ici une certaine autonomie alimentaire. La crise n’a pas changé grand chose à ma vie sinon que je sors encore moins de mon territoire, mais elle me donne juste envie d’en faire plus. Produire plus de nourriture et aller plus loin dans l’autosuffisance afin d’avoir davantage de résilience, mais aussi de donner plus de formations car beaucoup se réveillent et prennent conscience de leur dépendance au système. Ils veulent jardiner, faire leur pain, avoir des poules etc. Mais ne savent pas comment. Plusieurs personnes vont avoir besoin d’aide, d’informations, de conseils.

    L’autonomie en ce qui concerne la santé me préoccupe aussi. Avoir une alimentation saine et un mode de vie sain va faire que nous serons plus fort pour lutter contre la maladie. C’était une de mes premières préoccupations en me lançant dans ce projet : cultiver ma propre nourriture pour bénéficier de la fraicheur des aliments, avoir des repas équilibrés pour donner à notre corps toutes les chances de pouvoir lutter contre la maladie. Produire, cueillir, ramasser, transformer les plantes médicinales pour nous aider à nous renforcer et à nous soigner. Cultiver ses légumes et ses fruits pour en avoir à volonté, c’est la base de la santé et en plus ça fait bouger notre corps, c’est reconnu que le jardinage est une des activités physiques les plus complètes !

    A propos de la politique, je suis inquiète pour les démocraties dans le monde. Beaucoup de gouvernements en profitent pour accentuer leur autoritarisme. Les populations doivent être très vigilantes.

    « L’actualité nous rappelle que des choix s’imposent »

    Témoignage de David, Stéphanie et Ysatis Marcoux

    « Le soleil est au rendez-vous. Stéphanie, ce matin, est allée sortir les poules avant de préparer son petit-déjeuner. Au programme aujourd’hui : finir de fabriquer les moulures de la salle de couture et continuer la préparation des semis pour le jardin. »

    Mise à part la distanciation sociale lorsqu’on fréquente l’épicerie pour acheter les produits que nous n’avons pas, la vie a continué dans la normalité pour nous. Nous consommons comme prévu le fruit du travail effectué dans les jardins et nous ne manquons de rien. Nous travaillons sur notre terrain, dans notre serre et notre atelier comme nous l’aurions fait en temps « normal ».

    Pour ma part, j’ai la chance de pouvoir faire du télétravail. Si mon réseau Internet était un peu plus performant, je pourrais effectuer mes tâches aussi efficacement qu’au bureau mais sans les déplacements, sans auto, sans pétrole… Cette pandémie permet de valider la possibilité et l’efficacité du télétravail. Ne pourrions-nous pas adopter largement le télétravail comme une partie de la solution pour réduire la congestion des axes routiers, réduire la pollution liée au transport, réduire nos besoins en énergie en général, réduire la consommation des biens dits « nécessaires » pour aller au bureau et bien plus?

    L’actualité que nous suivons quotidiennement sur Internet nous montre bien que les choses vont tout autrement pour la majorité de la population des villes. La distanciation est problématique et vient perturber les gens dans leur liberté au quotidien. Ils ne savent plus quoi faire. L’angoisse et l’anxiété remplacent le train de vie effréné habituel. La population constate avec effroi que nos habitudes de consommation fait que nous dépendons d’autres pays et qu’en cas de crise, les biens essentiels ne sont plus disponibles.

    Le style de vie plus résilient que nous avons choisi à l’Écohameau démontre, dans la situation actuelle, qu’il est grand temps de revoir nos valeurs collectives. Les valeurs humaines doivent passer avant les valeurs monétaires et le profit des grands argentiers. Les économies de proximités doivent se développer pour pouvoir survivre aux crises, la plus grande étant le réchauffement climatique qui nous impacte déjà. Les gouvernements ont décidé de ne pas écouter les scientifiques qui calculaient que la venue d’une nouvelle pandémie était une question de temps. Les scientifiques nous avertissent aussi du dérèglement climatique. Des choix s’imposent.

    « Chasser le naturel et il reviendra au galop ». Est-ce que nous saurons tirer profit des constatations que cette crise nous met devant les yeux ou retournerons-nous sagement à « faire partie du problème »?

     

    « La pandémie, une opportunité de réenchantement »

    Témoignage de Dominique Coulombe

    J’ai récemment vécu une épreuve personnelle qui m’a poussée à me retirer, et avec la pandémie, toute la planète a suivi !

    Ce qui est intéressant avec la pandémie, c’est qu’elle nous ramène vers l’intérieur ! Elle nous remet en territoire privé, intime. Elle nous crie de rentrer à la maison. De tout temps, cette sphère est celle du féminin. C’est un espace qui n’est plus autant habité, mais qu’on aime décorer. La vie est ailleurs. Ce qu’il y a de beau et désirable, ailleurs. Cette longue retraite pourrait bien avoir transformé notre relation aux espaces et au territoire.

    C’est quand même difficile d’être placé dans une situation qui nous donne un avant-goût de chaos. On cherche nos repères, les règles se transforment et les anciens paradigmes sont ébranlés. On ne sait plus où on s’en va. Le chaos, c’est une désorganisation, mais ce qui est beau, c’est qu’il présente une opportunité incroyable pour la création de quelque chose de nouveau. C’est une phase cruciale du processus créateur, et si on arrive à bien prendre soin de soi et des autres, on peut arriver à découvrir de nouveaux chemins plus proches de soi et de nos rêves.

    Tous deux nés à la ferme au cœur de la production alimentaire, mes garçons apprécient de passer plus de temps à faire la cuisine. Comme le caveau, les congélateurs et le cellier sont bien garnis, ils y puisent toute une palette de saveurs pour leur création culinaire ! La pandémie revalorisera-t-elle la proximité, le terroir et le travail artisanal ?

    Ainsi la vie continue ! Nous avons joyeusement dégusté la traditionnelle tire d’érable sur la neige. Hors des villes, les saisons vont leurs rythmes comme si de rien n’était! De mon côté, à partir des merveilleux trésors trouvés dans le grenier de cette pandémie, j’ai confectionné un voyage intérieur, celui de la reconquête du féminin. Pouvons-nous faire place à ce féminin? Sommes-nous prêts pour une société différente?

    Quand le choc de la pandémie sera passé, la ferme aura ses jardins pleins de légumes et ses champs tout fleuris! On inaugurera la grande salle, les refuges et les espaces naturels de lea-espace agriculturel, au cœur même de l’écohameau. Ce moment historique sera marqué par la plantation d’une forêt nourricière de noix nordique. Et puis, viendra le moment d’accueillir nos premiers événements post-pandémie pour préparer la résilience et œuvrer à notre façon au réenchantement du monde.

    « Quand l’empereur néo rencontra le petit roi corona… »

    Témoignage de Pierre Gilbert

    Il était une fois un empereur qui régnait sans partage et sans conteste sur la terre entière. Il s’appelait néolibéral. Appelons-le « néo ». Sa toute puissance était telle qu’on la disait totalitaire. On raconte qu’il aurait même vaincu l’histoire.

    Les unes après les autres, les nations se sont soumises à lui. Elles succombaient à son charisme et à ses promesses de progrès relayées par d’immenses hordes cravatées à la loyauté indéfectible.

    Il y avait bien un peu partout des îlots d’autonomie ou des alternatives, mais aucune force, aucune alliance ne pouvait se mesurer à néo. Sauf un petit roi, tellement minuscule qu’on le crût insignifiant. Mais lui aussi était couronné et comment ! On l’appela à juste titre « corona ».

    Le roi corona, bien qu’infime par la taille, était grand par la ruse. Il frappa néo en plein cœur sans qu’il ne le voit venir, ce qui est dans l’ordre des choses. Les entreprises tremblèrent, la bourse s’affola et dans ses veines pétrolières, le sang noir s’arrêta momentanément de couler. Pour un instant, l’empire pris de stupeur cessa d’hydrocarburer.

    Face à l’urgence sanitaire, la voix affaiblie de néo devint inaudible et ses dogmes se fissurèrent un à un: oyez, oyez ! Libre circulation des marchandises! Profit! Mobilité du capital, des entreprises, de la main-d’œuvre ! Il n’y avait plus personne pour écouter. L’empereur était nu.

    La chaîne mondiale des flux tendus, qui tenait tout le royaume dans ses mailles, était enrayée. Elle n’arrivait plus à produire en quantité suffisante même de simples masques de protection pourtant essentiels aux consommateurs. Parce que c’est ainsi que néo nommait ses sujets.

    C’est alors que les nations sortirent de leur torpeur.

    Comme si elles venaient de boire dans la coupe du saint-graal, leurs yeux s’ouvrirent. Dans la lumière, elles virent que les nations et les territoires sont les lieux de toutes les sécurités : sanitaire, mais aussi alimentaire, énergétique, numérique et même culturelle et scientifique.

    Mais la crise est loin d’être finie et néo n’est pas mort. Il reprendra des forces et retrouvera ses adeptes inconditionnels.

    N’empêche qu’une nouvelle légitimité est née et nous saurons la revendiquer. Plus personne ne peut contester que sans autonomie nationale et territoriale, pour des pans entiers de nos industries, les crises du futur de grande ampleur et d’envergure planétaire engendreront à nouveau des coûts faramineux. Néo non plus n’aime pas ça, à ce que l’on sache.

    «Parce que c’est ce qu’on a évité qui nous arrive», comme le dit Edouard Baer. Ré-articulons les échelles de gouvernance, celles hier encore usurpées par cette mondialisation qu’on croyait inéluctable et sacrée.

     

     


    A lire aussi : Autonomie : petit guide de survie

    Pour aller plus loin :

    Le site internet de la série Un autre chemin

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