Les villes nourricières : utopie ou réalité ?

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    Les locavores prennent racine ! De plus en plus de villes françaises souhaitent tendre vers l’autonomie et développer leur capacité à répondre localement aux besoins alimentaires de leur population. Ce défi relève-t-il de l’utopie ou peut-il être relevé ?

     

    Une question de volonté politique ?

    Selon les projections d’Utopies 3, l’autonomie des cent premières zones urbaines françaises pourrait atteindre 10 %, d’ici quinze ans. Un objectif certes modeste, mais raisonnable. Pour y parvenir, un double défi doit être relevé : « préserver les ceintures vertes, notamment en luttant contre la forte spéculation foncière aux abords des métropoles, mais aussi permettre à des actifs agricoles d’exercer leur métier dans le respect de l’environnement et avec un salaire juste », détaille Arnaud Florentin. Les régies agricoles municipales sont une piste exploitée par certaines collectivités, comme Toulouse, Vannes, Gonfreville-l’Orcher et Mouans-en-Sartoux. Adjoint au maire de cette commune de moins de dix mille habitants, située dans les Alpes-Maritimes, en charge de l’enfance et de l’éducation, Gilles Pérole explique sa démarche : « Nous avons toujours cuisiné des produits frais dans nos restaurants collectifs qui servent mille cinquante repas par jour aux demi-pensionnaires, agents municipaux et seniors. Suite à la crise de la vache folle, nous avons introduit du bio en 1999. Puis, entre 2008 et 2012, nous sommes parvenus au 100 % bio. Mais certains produits venaient de loin, ce qui ne correspondait pas à notre conception de la bio, qui doit être locale. Face au manque d’agriculteurs de proximité, les terres ayant été dévorées par l’urbanisation, nous avons eu l’idée de la régie en 2008. »

    Pour la mettre en œuvre, la mairie a démarré une expérimentation sur un domaine agricole de 4 hectares. Le terrain avait été préempté deux ans auparavant et a, depuis, été agrandi de 2 hectares pour permettre la rotation des cultures. En mars 2011, la régie agricole municipale 100 % bio était lancée. Gilles Pérole, également président du « premier réseau national des cantines bio » Un Plus Bio, se souvient : « Nous avons reçu tellement de visites de municipalités qu’en janvier 2018, nous avons lancé un diplôme universitaire (DU) de chef de projet en alimentation durable option collectivité territoriale en partenariat avec l’université Côte d’Azur. » Comment les coûts ont-ils été maîtrisés ? « Principalement via la réduction de 80 % des restes alimentaires, soit une économie de 20 centimes par repas. Et aussi en servant un repas à base de protéines végétales et un repas végétarien par semaine », précise-t-il. En 2017, la régie a produit 25,2 tonnes de légumes, soit 85 % d’autosuffisance pour la restauration collective. Quant aux autres aliments, la mairie a recours aux marchés publics : 70 % viennent de la région PACA et du Piémont mitoyen. « Au final, remarque Gilles Pérole, tout est une question de volonté politique. »

    PAT et régies agricoles

    Reconnus par le ministère de l’Agriculture dans le cadre de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt (LAAF) d’octobre 2014, les projets alimentaires territoriaux (PAT) ont l’ambition de fédérer les différents acteurs d’un territoire autour de la question de l’alimentation, contribuant ainsi à la prise en compte des dimensions sociale, environnementale, économique et sanitaire. Dans ce cadre, Toulouse a dynamisé sa régie. Créée dès 1976, celle-ci emploie aujourd’hui quatre ouvriers agricoles, un chef de culture et un régisseur, qui gèrent 25 hectares de vignes et 226 hectares de grandes cultures (blé, orge…) À titre d’exemple, les 6 tonnes de lentilles produites par an sont utilisées pour les 33 000 enfants des cantines scolaires. Au printemps 2019, Vannes a lancé, en partenariat avec le Groupement des agriculteurs biologiques (GAB) du Morbihan, sa régie en maraîchage bio pour alimenter ses crèches.

    Mais « on est encore loin du schéma “de la ferme à l’assiette” », déplore Arnaud Florentin puisque les agriculteurs français vendent toujours majoritairement leurs productions à l’industrie agroalimentaire. « Or, note-t-il, la notion d’autonomie passe autant par la production agricole que par la transformation de cette production. »

     

    Vers une approche systémique ?

    Pour Christine Aubry, ingénieure agronome à AgroParisTech, spécialiste de l’agriculture urbaine, « la priorité, c’est de relocaliser la production via l’agriculture périurbaine et, en complément, de multiplier les projets au sein même des villes ». Un peu partout en France, des cultivateurs urbains investissent le bitume, créent des potagers sur les toits, pratiquent l’hydroponie et l’aquaponie, transforment d’anciens parkings en champignonnières, remplacent les arbres d’ornement par des arbres fruitiers, pendant que les architectes esquissent des projets de fermes verticales. Malgré ces initiatives, les quantités produites resteront confidentielles, tempère Christine Aubry: « Si l’on utilisait tous les toits plats de la capitale, ce qui représenterait une superficie de 80 hectares, et si l’on obtenait des niveaux élevés de production, tels que ceux observés sur le toit d’AgroParistech avec 7 kilos par mètre carré, la production couvrirait un peu moins de 7 % de la consommation de fruits et légumes des Parisiens. » L’experte souligne toutefois « le rôle éducatif » de l’agriculture intra-urbaine, pour (re)connecter les citadins à la terre nourricière, et « sa valeur expérimentale », qui permet de tester de nouvelles formes de production agricole.

    À l’unisson, Marc Dufumier prévient : « Il ne faut pas semer des illusions. L’agriculture en ville présente de nombreuses vertus, notamment parce qu’elle favorise les relations sociales, par exemple dans les potagers partagés. Mais elle ne suffira pas à nourrir des populations denses. À cela s’ajoute la problématique de la pollution de l’air : au ras du sol en pleine ville, ou près des rocades, dans les ceintures vertes, il est probable que les légumes soient contaminés au plomb à cause de la circulation automobile. » À l’écouter, on réalise que l’autosuffisance des villes implique « une approche systémique. À l’échelle de l’Union européenne, les fonds de la Politique agricole commune (PAC) devraient être redirigés pour que les collectivités territoriales puissent atténuer les surcoûts d’un changement de production agricole en bio, artisanal, local et à un prix rémunérateur pour les paysans. Et il faudrait que les mairies fassent preuve d’une réelle volonté politique. »

     

    Une question d’équilibre…

     « Grâce à l’agriculture urbaine, on préserve la biodiversité locale en luttant contre la bétonisation. On réduit notre empreinte climatique du fait de la réduction des distances de “la fourche à la fourchette”. Et, plus globalement, on allège notre empreinte matières premières, que ce soit l’eau ou les sols, pour créer un produit alimentaire final », énumère Arnaud Florentin.

    Marc Dufumier rappelle, lui, l’enjeu de santé publique à travers « la préservation des qualités nutritionnelles, telles les vitamines, la présence d’antioxydants et la meilleure traçabilité ». Il vante également « les propriétés gustatives des aliments, au premier rang desquelles, la fraîcheur ». Troisième avantage, social et économique : la création d’emplois non délocalisables. Ce que confirment les travaux menés par le CNRS/CIRED dans le cadre de la projection du programme Afterres2050, qui se traduit par la création nette de plus de 140 000 emplois dans les quinze prochaines années 5.

    Enfin, pour ces villes résilientes, qui anticipent l’après-pétrole et une possible crise des approvisionnements, il y a aussi d’un enjeu de sécurité alimentaire.

    Tous ces enjeux ont amené Emmanuel Bailly à fonder, dans les Deux-Sèvres, la plateforme Résalis qui met en relation directe les producteurs locaux et la restauration collective, et à créer différents outils et indicateurs, dont l’Indice de souveraineté alimentaire « Il est temps de reconstituer la mondialisation de l’intérieur pour ne plus la subir. En clair, tout ce que l’on peut produire localement, on le fait en respectant l’histoire culinaire et le savoir-faire territorial. Et l’on va chercher ailleurs ce dont on a besoin (chocolat, café, bananes, etc.). En se posant toujours cette question : ai-je vraiment besoin de ces aliments ? » « L’idée n’est pas de viser, de façon dogmatique, l’autonomie alimentaire à 100 % des aires urbaines, mais le rééquilibrage entre les territoires, tout en continuant à échanger nos différences », conclut Arnaud Florentin.

    par Aude Raux

    Dessin : Le Cil Vert


    1. Source : Insee. Selon l’Insee, une aire urbaine est un ensemble de communes, d’un seul tenant et sans enclave, constitué par un pôle urbain (unité urbaine) de plus de 10 000 emplois, et par des communes rurales ou unités urbaines (couronne périurbaine) dont au moins 40 % de la population résidente ayant un emploi travaille dans le pôle ou dans des communes attirées par celui-ci.
    2. http://www.utopies.com/fr/publications/autonomie-alimentaire-des-villes

    Les données n’ont quasiment pas évolué depuis 2017.

    1. Idem. Chapitre VIII, « Méthodologie ».
    2. Source à venir XXXXX
    3. https://afterres2050.solagro.org/a-propos/le-projet-afterres-2050/

    Pour aller plus loin

    www.utopies.com

    www.le-local-me-regale.org

    www.alimentation-generale.fr

    http://www.sad.inra.fr/Recherches/Agriculture-urbaine

    Marc Dufumier, entretiens avec Olivier Le Naire, L’Agroécologie peut nous sauver, Actes Sud, 2019.


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