« Après le confinement, le public va se ruer vers Kaizen, ce sera un vrai succès », me confiait la semaine dernière (26 mars) un prestataire et partenaire. « Et pourquoi, lui demandais-je ? » « Avec la crise du coronavirus, les gens vont prendre conscience des limites de la mondialisation, ils vont découvrir l’intérêt des circuits courts, venir au bio, enfin tout ce que Kaizen prône depuis huit ans », argumentait-il.
En bon Normand, je suis partagé ! Une partie de moi pense que c’est une option possible ; oui, il est probable qu’après le confinement, les Français.es changent leurs habitudes de vie. L’autre partie s’interroge. Avec notre ligne 100 % positive, me direz-vous, je devrais valoriser le verre à moitié plein, et m’arrêter, par exemple, sur la vente de produits bio, qui explose depuis quinze jours. Mais, pendant ce confinement, je choisis de regarder le verre à moitié vide. Moins par défaitisme que par esprit de combat. Je pense plutôt, sans vouloir être manichéen, que deux options principales s’offrent à nous. Soit un vrai changement de paradigme s’opère, soit le retour à « l’ancien monde » promet d’être « violent ». En effet, après le confinement, le changement de paradigme ne s’effectuera pas tout seul, sur un claquement de doigts. Nous devrons mener et gagner une bataille. La bataille des idées. Comme les Américains ont gagné la « bataille du récit » de l’Après-guerre. Or cette bataille est loin d’être gagnée.
Le pouvoir appartient au vieux monde
En premier lieu, au sommet ; ceux, celles qui détiennent le pouvoir politique, économique n’ont aucun intérêt à changer de paradigme. C’est le système tel qu’il existe, qui leur permet d’être au sommet, le remettre en cause provoquerait leur chute. Aucun intérêt pour eux. Leurs grilles de lecture sont ancrées au plus profond d’eux-mêmes ! Sinon comment expliquer les injonctions contradictoires du gouvernement ordonnant le confinement et enjoignant, dans le même temps, certains corps de métier de continuer à travailler. L’exemple de la ministre du Travail incitant les travailleurs du BTP à poursuivre leur activité – sans masque, sans protections – est révélateur de cet état d’esprit. L’ordonnance traitant du recours aux congés payés pendant le confinement est un autre exemple. Un séjour confiné chez soi sans pouvoir profiter d’une simple promenade au soleil a-t-il vraiment des allures de « vacances » ? Il est vrai qu’à l’Élysée, à Matignon, dans les hôtels particuliers des ministères, le confinement n’a pas la même saveur ! Enfin, est-ce prendre soin des Français que d’annoncer, d’un côté, que 50 à 70 % de la population sera touchée par le coronavirus et, de l’autre, qu’il nous faut rester « productifs ».
« L’impact sur la croissance sera sévère », prévient le ministre de l’Économie. Mais on s’en fout, Bruno Le Maire, de la croissance, nous ce qu’on veut, c’est vivre ! D’ailleurs, en quoi la croissance est-elle un indicateur de la qualité de nos vies ? En rien !
Que voyons-nous concrètement ? Certes des Français (re)découvrent les circuits courts, les AMAP, etc. mais, en même temps, le e-commerce et la grande distribution semblent être les grands vainqueurs de cette première bataille. Des secteurs que l’État favorise, au détriment des circuits courts, en limitant ou interdisant les marchés, et alors que les supermarchés sont vraisemblablement tout aussi dangereux.
Sommes nous prêts à changer ?
Ensuite, sommes-nous prêts, individuellement, collectivement, à renoncer aux antiennes de « l’ancien monde » ? Pas sûr ! Exemple : la compétition. Sinon comment expliquer que certains profs, encouragés par leur ministre, noient leurs élèves de travail à la maison pendant ce confinement au nom de la sacro-sainte « réussite » ? Le système scolaire est assis sur l’esprit de compétition. Et la majorité des parents y adhère. Or le changement de paradigme passe aussi par une bascule de la compétition vers la coopération. Ou, dit autrement, par l’accent mis sur l’apprentissage des savoir-être.
Enfin, comment nous comporterons-nous, après le confinement ? Des études montrent que 90 % des personnes atteintes de maladies cardiovasculaires ne changent pas leur façon de vivre malgré les recommandations de leur médécin. Plus prosaïquement, combien sommes-nous à vivre plutôt sainement, lire, faire du sport, etc., durant nos congés estivaux pour, à la rentrée, mieux retomber dans nos travers ? Changer reste une difficulté, et notre cerveau est câblé pour faire le moins d’efforts possible. Gagner la bataille demandera des efforts. Sommes-nous prêts à les fournir ?
En conclusion : après le confinement, changerons-nous vraiment de paradigme ? Tendrons-nous vers un modèle qui participe à la préservation de la planète ou, au contraire, filerons-nous vers une forme de régime totalitaire globalisé où la production sera déléguée aux plus fragiles, aux plus pauvres, pendant que les activités de services seront effectuées en télétravail, tous confinés. Mieux que Big Brother, Covid-19 te surveille !
Puisque le président de la République a utilisé la métaphore martiale, souvenons-nous que c’est après une vraie guerre, en 1945, que le Conseil national de la Résistance a innové en termes de protection sociale et mis en place nombre de nos « acquis sociaux ». Une protection que certains détricotent depuis des années, mais dont on mesure pourtant l’importance vitale aujourd’hui.
Alors mobilisons-nous pour l’après-confinement. Résistons au retour à « l’ancien monde ». Construisons un souffle, une dynamique, une vague citoyenne pour affronter les crises écologiques à venir. Si l’on ne fait rien, celles-ci seront probablement bien plus difficiles que la crise sanitaire actuelle. Prenons le temps de ce confinement pour cogiter, apprendre, et ensuite passer à l’action.