À Toulouse, Archipel Citoyen bouge les urnes

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    À Toulouse, Archipel Citoyen a mis en place une méthodologie inédite pour établir son programme et constituer sa liste électorale pour les municipales. Au menu, tirage au sort, plébiscite et gouvernance citoyenne. Rencontre.

    Concentrée, Agathe Voiron prend littéralement note de chaque question, avant d’y répondre, point par point. Le propos est clair, la voix sereine et l’intonation parfaitement naturelle : la petite séance de média-training dont elle sort tout juste porte déjà ses fruits. Demain, elle découvrira les joies de la joute télévisée, en débat avec d’autres listes concurrentes sur France 3 Région. « Je n’aurais jamais imaginé ça, il y a encore quelques mois ! », s’en amuse-t-elle. À l’époque, Agathe, 40 ans, trouvait déjà sa vie bien remplie, avec son métier d’infirmière en EHPAD, ses trois enfants et son déménagement à organiser. Elle est pourtant intriguée par cette drôle de lettre, reçue un jour de mai 2019 : sur le flyer, le dessin d’un petit bonhomme qui demande « Et si l’élu-e idéal-e, c’était vous ? » À la rentrée de septembre, Agathe décide de franchir le pas et va à la rencontre du collectif Archipel Citoyen, à l’origine de l’invitation. Les débats lui plaisent, elle s’inscrit dans un groupe de travail sur la santé et finit par se prendre au jeu. Aujourd’hui, Agathe Voiron fait donc campagne pour la liste où elle figure en position éligible. Elle en a même été nommée porte-parole, à la suite d’une élection sans candidat 1. Avec un statut un peu particulier : elle représente les fameux « tirés au sort », l’une des nombreuses innovations démocratiques mises en place par Archipel citoyen.

     

    Réimpliquer les habitants

    Lorsque ce mouvement se lance, à la fin du printemps 2017, inspiré par la dynamique des réseaux municipalistes à l’échelle européenne, l’objectif est simple : « Parvenir à casser les codes politiques et à “hacker” [pirater, contourner, N.D.L.R.] le mode de fonctionnement d’un conseil municipal en réimpliquant véritablement les habitants dans la prise de décisions », résume Jonas George, 28 ans, l’un des initiateurs de la démarche, ancien candidat à LaPrimaire.org [première primaire citoyenne ouverte, organisée hors des partis lors des élections présidentielles de 2017, N.D.L.R.]. Mais hors de question d’attendre l’accession au pouvoir pour réaliser ces désirs de changement : pour montrer qu’on peut faire autrement, et que ça marche, la campagne électorale doit avoir valeur de test grandeur nature. À commencer par la constitution de la liste : « L’enjeu était de s’affranchir des désignations de poste opaques et discrétionnaires, issues d’accords entre appareils sur un coin de table », poursuit celui qui est facilitateur en intelligence collective dans une coopération d’éducation populaire. Pour ce faire, Archipel Citoyen va élaborer un mode de désignation totalement inédit à l’échelle d’une ville d’un demi-million d’habitants, la quatrième de France.

    Aux côtés des traditionnels volontaires, la liste compte ainsi quelques-uns des tirés au sort, comme Agathe – huit en tout, sur les mille lettres envoyées au total. Auxquels s’ajoutent, autre originalité, des plébiscités : libre à chacun de proposer des noms de personnes qu’il rêve de voir élues (et à celles-ci d’accepter ensuite, bien entendu). « Cela a eu un double intérêt, analyse Jonas George, avec le recul. D’une part, cela a fait connaître notre démarche beaucoup plus vite, par un effet de bouche-à-oreille. D’autre part, ça a légitimé des personnes qui ne s’y attendaient pas du tout. Au final, ça permet de réinterroger le rôle d’un élu et ce qu’on en attend… » Une fois cette première base de noms constituée, il a fallu s’attaquer au vif : sélectionner et classer les soixante-neuf inscrits sur la liste finale. Un premier écrémage a été réalisé par un vote ouvert au public sur Internet, où trois mille participants ont désigné cent premiers noms. Le romancier Pascal Dessaint fut l’un de ses votants : « C’est important de montrer qu’on peut aussi associer les citoyens pour formuler des propositions, plutôt que leur imposer. »

    Ensuite, une évaluation par un comité des sages (cent sympathisants de la démarche) a affiné la sélection définitive. Arrive alors le choix fatidique de la tête de liste : après trois week-ends d’« interconnaissance » passés à échanger ensemble, les soixante-neuf sont appelés à la désigner grâce à différents systèmes de vote alternatifs censés garantir plus de finesses et de nuances que l’habituel scrutin uninominal majoritaire. In fine, le nom qui émerge doit être définitivement ratifié par les deux tiers des votants. Ce nom s’avère être celui d’Antoine Maurice, 38 ans, un militant engagé de longue date à EELV. « Cette méthodologie crée un ressort collectif puissant, qui est une vraie force pour faire campagne, estime celui qui a ferraillé pendant six ans avec le maire sortant, Jean-Luc Moudenc, au sein du conseil municipal où il était élu dans l’opposition. Nous sommes la seule liste où les habitants ont pu choisir leurs candidats ! »

    Dépasser le cadre traditionnel

    Tout n’a pourtant pas été aussi rose que le surnom de la ville toulousaine. Il a fallu digérer l’afflux des nouveaux arrivants au fil du parcours, parmi lesquels plusieurs mouvements politiques (EELV, France insoumise, Place publique, etc.), intéressés par la démarche. Pour toutes ces cultures politiques différentes, l’apprentissage de ces nouvelles méthodes a pu se révéler long et fastidieux. Parfois au bout de l’épuisement : « On s’est fait mal collectivement, à certains moments », admet Maxime Leteixer, l’un des autres cofondateurs d’Archipel Citoyen, qui a parfois songé à tout abandonner au détour de quelques nuits blanches. « Tout n’a pas été parfait, mais où ça l’est ? » relativise pour sa part Geneviève Azam, économiste, qui fut l’une des principales plébiscitées. Si elle a finalement décidé de ne pas s’engager sur la liste, elle reste un soutien public important : « La dynamique est jeune et permet de dépasser le cadre des appareils traditionnels. » Éviter l’écueil d’une énième tentative de gauche plurielle, voilà qui correspond bien au projet original d’Archipel, un nom choisi en hommage aux travaux du poète martiniquais, Édouard Glissant. La ville rose passera-t-elle bientôt au vert ? Ce serait alors bien plus qu’une simple confirmation de la prise de conscience générale sur les enjeux écologiques. Si tel était le cas, Archipel Citoyen ouvrirait sans nul doute une nouvelle voie dans la façon de porter politiquement ces enjeux.

    par Barnabé Binctin


    1. Processus issu de la sociocratie permettant de désigner un candidat par consentement.

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