Isabelle Peloux : « Les enfants nous demandent d’être cohérents »

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    Professeure des écoles, formatrice, et accompagnatrice de groupes de paroles de parents, Isabelle Peloux a fondé en 2006, l’école du Colibri au cœur du centre agroécologique des Amanins dans la Drôme. Dans son dernier livre Comprendre les enfants pour mieux les éduquer (Actes Sud/Kaizen), elle propose une analyse et une série d’outils pour repenser les relations avec les enfants.

    Qu’entendez-vous par le mot éduquer ?

    La génération de nos parents est souvent partie d’un postulat de départ qui pensait que pour éduquer un enfant, il fallait le « dresser, pour aller dans le droit chemin ». On ne considérait pas vraiment l’enfant comme une personne, en disant par exemple qu’il comprendrait plus tard, que c’est pour ton bien, etc. C’était un abus de pouvoir d’adulte.

    Cette position, pas forcément bienveillante, a généré en réaction un mouvement inverse depuis 15-20 ans ; à savoir qu’il n’est plus nécessaire d’éduquer les enfants puisque ces derniers auraient naturellement de nombreuses compétences, et qu’il suffit de les laisser grandir. Certains jeunes parents pensent que pour être sûr de ne pas humilier son enfant et être toujours dans la bienveillance, il ne faut rien lui dire, pour qu’il puisse devenir ce qu’il est et pas ce qu’on voudrait qu’il soit. Un jour j’ai même rencontré une famille qui croyait qu’il ne fallait jamais dire non.

    Or, refuser l’éducation en tant que tel, est une position extrême, qui à mon avis, nous induit en erreur car la non éducation n’existe pas. C’est un leurre. C’est oublier qu’il y a les autres autour. On éduque forcément via les apprentissages et nos relations à l’enfant.

    L’éducation n’est-ce pas aussi donner des repères et des limites pour trouver équilibre ?

    L’enfant évolue entre le moment où l’on doit satisfaire tous ses besoins jusqu’à 9 mois environ, et le moment où il doit faire peu à peu l’apprentissage de l’autonomie. Le dosage du lâcher prise avec l’enfant varie pour chaque parent et chaque enfant. Personnellement, cela a été différent pour mes trois enfants. Il n’y a pas de méthode type, il est juste nécessaire que l’on prenne en compte l’enfant et que l’on n’oublie pas qui on est. C’est une navigation entre mes besoins d’adultes et ses besoins d’enfants, tout en osant affirmer les limites pour chacun.

    Je peux par exemple nommer mes besoins de tranquillité, sachant que l’enfant aussi aura le droit de demander qu’on le laisse tranquille en grandissant. Tout ce que l’enfant apprend par imitation, j’ai tout intérêt à lui montrer qui je suis, avec nos limites et nos qualités… Car la plus grande part de l’éducation, c’est de la cohérence dans notre fonctionnement d’adulte. Et à l’adolescence, ils ne nous loupent pas !

    Chacun doit se positionner ?

    Chacun doit être clair avec ses besoins personnels. Si l’enfant est malade, évidemment il est la priorité. Mais si les parents sont trop fatigués, on peut aussi trouver une personne dans la communauté éducative autour de lui qui pourrait prendre la relève pendant 2 ou 3h pour pouvoir mieux revenir, car parfois on a besoin de se serrer les coudes. Un proverbe africain dit d’ailleurs qu’ « il faut tout un village pour éduquer un enfant ».

    Vous parlez aussi de fermeté bienveillante, qu’entendez-vous par là ?

    La bienveillance devrait suffire à elle même, car dans le mot bienveillance, il y a « veiller ». Mais le mot a souvent été galvaudé et devient parfois la caricature du bisounours. Parfois, par peur de ne pas être aimé, on a tendance à dire oui, et la bienveillance peut me faire prendre cela en prétexte. Pour certains enfants la bienveillance marche très bien, mais quand un enfant a un rapport à la loi inquiet, c’est plus compliqué. Dans ce cas, lorsqu’on pose un cadre, l’enfant teste souvent la limite pour être rassuré. Certains enfants ont besoin de tester et de ressentir les limites et pas simplement de les connaître. Il faut alors être ferme, même si c’est difficile de jouer ce rôle.

    En fonction de l’éducateur, l’enseignant, le parent, la famille, etc., la même consigne prononcée par les uns ou les autres, n’aura pas le même effet chez l’enfant. Pourquoi ?

    Car c’est très lié à la légitimité de celui qui prononce la phrase. A l’école des Amanins, avec l’âge et l’expérience, j’ai acquis une certaine légitimité. Lorsque je dis à des enfants que cela ce n’est pas permis, ils savent pourquoi je le fais, et eux aussi le savent car ils connaissent la règle. Parce qu’en leur disant, je ne leur dis pas en même temps « aimez-moi bien ». La manière de dire non et le ton comptent également.

    La fermeté est la capacité de dire que, si je le dis, c’est parce que je me mouille en éducation et que je suis prête à en discuter avec l’enfant, car sur telle question j’ai l’expérience qu’il n’a pas. Par exemple, je peux dire à un adolescent : « Ton lobe frontal n’étant pas terminé, je vais prendre ton portable le soir à partir de 19h30 parce que je sais tu ne pourras pas résister car ton cerveau n’a pas la maturité. » Même si je sais que cet interdit n’est pas populaire.

    Cette légitimité est-elle liée à la cohérence de l’adulte ?

    Complètement. C’est ce que j’appelle le double message. Déjà tout petits, les enfants ont l’intuition de nos émotions. Si on leur dit qu’on va bien alors qu’ils sentent qu’on n’est pas bien, ça leur envoie un message contradictoire…

    Un jour un de mes fils avait fait une grosse bêtise à l’école et en rentrant à la maison il m’avait demandé un câlin. Je lui avais dit qu’à cet instant-là, en apprenant la nouvelle, j’étais incapable de lui faire le câlin, tout en lui expliquant que je l’aimais quand même et qu’on ferait le câlin plus tard. J’ai alors senti chez lui un soulagement, car j’étais cohérente. Ce n’était pas la peine de faire semblant. Etre clair dans l’intention, être en adéquation, c’est une fermeté bienveillante. Même si c’est difficile.

    On parle souvent des erreurs de l’enfant, peu de celles des parents. Quelle est la place de l’erreur dans l’éducation ?

    Il faut revendiquer aussi celle des parents. Revendiquer le droit à l’erreur, même si l’objectif est de ne pas la répéter. Si on s’est trompé, la nouveauté en éducation, c’est d’aller voir un enfant et de s’excuser. En étant à l’écoute, on prend conscience d’un effet de notre comportement chez l’enfant. Soit on change de posture, soit je suis toujours d’accord avec ce que j’ai défendu mais j’explique pourquoi. Et si on a été maladroit, on peut aussi expliquer pourquoi on a par exemple perdu patience, en raison d’une fatigue ou d’un autre facteur. Mais attention, les enfants nous demandent d’être cohérents, donc la fois d’après, il est difficile de justifier qu’on se trompe de nouveau dans la même situation. Tout comme nous attendons d’eux qu’ils ne répètent pas leur erreur.

    Quelle est la place de la sanction ?

    Elle est à construire avec l’enfant. A l’école du Colibri aux Amanins, c’est ainsi que l’on fonctionne. Par exemple, il est interdit de jouer avec les bâtons pour en faire une arme car cela peut être dangereux. Les enfants doivent seulement s’en servir pour construire des cabanes.

    Un jour un petit garçon de 9 ans ne respectait par la règle, et jouait malgré tout avec un bâton en tapant d’autres enfants avec. Je l’ai grondé plusieurs fois, puis je lui ai demandé qu’est-ce qui l’aiderait à penser à la règle : il m’a dit que ce qu’il lui irait bien c’est qu’on le prive de récréation. Mais c’est une punition interdite dans l’éducation nationale. Il a donc proposé de lui interdire le coin cabane toute l’année ! Je lui ai proposé plutôt une semaine, car ça faisait trop long. Cet élève avait besoin de vérifier si on allait le faire. Une fois la sanction vécue, l’enfant n’a plus joué avec un bâton pour en faire une arme. Il a eu besoin de tester la limite. On choisi la sanction ensemble, et ce fut un pacte raisonnable.

    Dans votre livre vous citez une très jolie phrase qu’aurait dite Mahomet sur les enfants : « Jouez avec eux sept ans, éduquez-les sept ans, et soyez leurs amis sept ans»…

    Je trouve que c’est assez juste, on arrive à 21 ans, à cet âge, où je pense que l’on devient vraiment adulte…

     

    Propos recueillis par Sabah Rahmani

     

    Pour aller plus loin

    • L’Ecole du Colibri aux Amanins 

    • Cycle d’accompagnement à la parentalité 


    A écouter aussi :

    Isabelle Peloux : « L’être humain est un être d’apprentissage »

    La voix du Kaizen : « Donner aux enfants les outils pour qu’ils restent connectés au vivant »

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