Créée à Nantes il y a dix ans, l’association Toit à moi achète des appartements grâce aux dons qu’elle reçoit pour loger des sans-abri. Au-delà d’un toit, elle propose aux personnes en difficulté un accompagnement complet pour les aider à rebondir.
Sur le rebord de la fenêtre de son appartement près du centre-ville de Nantes, dont l’association Toit à moi lui a confié les clefs, Serge fait pousser des plants de tomates : « Regardez, les premiers fruits viennent de sortir. Je vais bientôt pouvoir en mettre dans mes ratatouilles. » Originaire de Marseille, cet homme de 50 ans a quitté sa ville natale il y a onze ans, désireux de « voir autre chose ». « Le problème, c’est que je fonce et je réfléchis après. Je suis comme un volcan d’Auvergne. » Mais Serge reste discret, et garde ses secrets enfouis. On apprendra seulement qu’il a « atterri à Nantes il y a cinq ans parce que c’est une ville où, dit-on, il fait bon vivre ».
Pas pour lui, qui y a rencontré des difficultés : « J’ai été intérimaire pour la grande distribution, mais j’ai toujours claqué de l’argent. Je suis surendetté. Pendant un mois et demi, j’ai dormi dans la rue : d’abord dans une cage d’escalier, puis dans un lieu désaffecté. Le week-end, je m’offrais deux nuits d’hôtel pour récupérer. Et un jour, j’ai craqué. J’ai annoncé à la directrice de l’agence d’intérim que j’arrêtais de travailler. Quand elle a appris mes conditions de vie par un collègue, elle m’a orienté vers Toit à moi. » En novembre 2016, l’association a logé Serge dans un appartement de 40 mètres carrés joliment rénové. Et, depuis, elle l’accompagne dans sa réinsertion. « Sans Toit à moi, j’aurais tout abandonné », confie le quinquagénaire, dont l’accent ensoleillé se perle de larmes à l’évocation de ce passé.
Acheter plutôt que louer
Tous les jours de la semaine, excepté le mercredi, Serge se rend au siège de Toit à moi, situé dans le parc de la clinique Saint-Augustin qui met gracieusement l’un de ses bâtiments à la disposition de l’association. « Je ne me sens pas prêt à reprendre le travail, estime-t-il. Je risquerais de craquer sous la pression tellement j’ai de la haine en moi. En attendant, l’association vient de m’embaucher pour préparer les déjeuners et le dîner du vendredi soir qui sont ouverts à tous ses membres. J’ai un contrat aidé de 22 heures par semaine. » Au menu d’un repas collectif : un délicieux hommage aux racines italiennes de Serge avec une tomate-mozzarella, des arancini – spécialités siciliennes à base de riz – et une tarte aux abricots. Sous les vivats, le cuisinier entonne une chanson et esquisse quelques pas de danse !
Autour de la table ont pris place quatre bénéficiaires et cinq des six salariés de Toit à moi, dont Denis Castin, délégué général et cofondateur de l’association. L’envie de réunir des gens qui cotisent pour acheter un appartement afin qu’un sans-abri y habite lui est venue en 2006. « Le fait que l’association soit propriétaire, et non locataire, permet de s’inscrire dans la pérennité : quand un bénéficiaire s’en va, un autre lui succède », précise-t-il. Il suffit que cent personnes versent 20 euros par mois pendant cinq ans pour rembourser l’emprunt contracté auprès d’une banque afin d’acquérir un logement d’environ 35 mètres carrés. Aujourd’hui, grâce à la générosité de sept cents parrains répartis dans toute la France, l’association possède dix-huit appartements. Denis Castin se souvient : « J’ai toujours été profondément perturbé par la misère autour de moi.
J’avais envie, sur mon temps libre, de réaliser un documentaire consacré à ce sujet, mais, plus j’y réfléchissais, plus je désirais agir concrètement. » Puis, un jour, alors qu’il donnait des pièces à une personne sans-abri, l’idée a jailli : « C’est quand même incroyable ! Si on était plusieurs à lui verser quelques euros par mois, on pourrait le loger. » À cette époque conseiller en création d’entreprise à l’association Boutique de gestion pour entreprendre (BGE) de Nantes, Denis Castin parle de son projet à un collègue, Gwenaël Morvan. C’est ainsi que tous deux ont posé les premières pierres de Toit à moi. Pour faire connaître leur initiative, ils ont commencé par distribuer des prospectus invitant à parrainer une personne sans-abri. Ils ont également sollicité leur entourage : famille, amis, collègues. Une fois les parrains réunis en vue de l’achat du premier appartement, ce sont les banques qu’il a fallu convaincre : « On a essuyé des refus de la part des banquiers qui nous demandaient des études prouvant la faisabilité du projet. Ce à quoi on répondait qu’il n’y en avait pas puisque c’était innovant. » Seule la Nef, une coopérative financière éthique, a consenti à leur donner son feu vert.
Un suivi personnalisé des bénéficiaires
Deux ans plus tard, en août 2008, l’association a acheté son premier appartement. En octobre, la première locataire a emménagé : Élisabeth, une femme aujourd’hui âgée de 58 ans. Suite à une rupture violente avec son mari, elle avait quitté Mulhouse pour Nantes avec seulement un sac sur le dos. Élisabeth a vécu deux mois dans la rue avant d’être présentée à Toit à moi par la directrice du Samu social. Elle explique : « J’ai remonté la pente assez rapidement, car je n’avais pas connu la rue trop longtemps. » Formatrice pour jeunes en difficulté dans une autre vie, Élisabeth a décroché un contrat aidé en tant qu’animatrice dans un lycée : « Quand je me suis sentie prête, un travailleur social de Toit à moi est venu me voir deux fois par semaine pour me motiver à rédiger un CV et des lettres de candidature. Cela n’a pris que six mois pour que je retrouve du travail. »
Après cinq ans de cette expérience professionnelle, Élisabeth a obtenu, grâce à son propre réseau, un CDI à temps plein d’animatrice dans une maison de retraite : « Quand j’ai signé mon contrat, j’ai pensé : ça y est, je suis une citoyenne normale. » Avec le recul, elle se rend compte qu’avoir un toit sur la tête ne suffit pas pour sortir de la rue : « C’est la première étape indispensable. Je me souviens que, quand je suis entrée dans mon appartement, c’était magique. Les premières nuits, je n’en revenais pas. Je me répétais : “Je suis chez moi.” » Et de préciser tout de
même qu’« en parallèle à ce toit, il faut être accompagné. Au contraire de Pôle emploi qui vous considère comme un numéro parmi la foule et vous envoie d’un service à un autre, chez Toit à moi, le suivi est personnalisé. Ils ne vous lâchent pas. » Elle non plus ne les a pas « lâchés » : Élisabeth fait partie du conseil d’administration de l’association et assiste à toutes les assemblées générales, même si, depuis six ans, elle loue son propre appartement, un HLM de 60 mètres carrés : « Il est plein comme une coquille de noix. J’empile des livres ! Et je peux y recevoir mes trois filles et mes quatre petits-enfants. »
Créer des liens pour rompre l’isolement
Cet exemple porteur d’espoir fait écho aux propos de Denis Castin : « Nous sommes des utopistes, mais pas de doux rêveurs ! Nous savions dès le départ qu’il fallait non seulement mettre à l’abri les personnes sans domicile fixe, mais aussi les aider à régler leurs problèmes, qui sont amplifiés par la rue, pour qu’elles puissent changer de vie sur le long terme. » Dans cette optique, les responsables de l’association ont embauché un travailleur social et une coordinatrice d’accompagnement social, Hélène Menanteau. Elle fait remarquer que les profils des bénéficiaires sont très variés : « L’exclusion a plein de visages : surendettement, dépression, troubles psychiques, femme victime de violences, dépendance à l’alcool, migrant… » Le seul critère de sélection de l’association étant d’avoir le désir de s’en sortir. « En ce moment, nous logeons neuf personnes à Nantes, dont certaines avec des enfants. À chacune correspond un accompagnement individuel. Tout commence par une grande qualité d’écoute. Puis on répond, ensemble, à cette question : “Qu’est-ce que je veux faire de ma vie ?” Ce peut être trouver un travail, mais aussi revoir son enfant ou se soigner. Notre credo : ne jamais juger et respecter le rythme de chacun. »
Au-delà de cet accompagnement, les responsables de Toit à moi ont cherché à savoir quel était le dénominateur commun aux sans-abri. Verdict : « Ils vivent dans un microcosme et souffrent de solitude, constate Denis Castin. Pour les en sortir, nous les mettons en relation avec des personnes qui ne sont pas en difficulté. » En juin 2017, Toit à moi a embauché une responsable du bénévolat. Sa mission : recruter et assurer une coordination bien sûr, mais aussi proposer des animations, comme aller au feu d’artifice du 14 juillet ou au cinéma en plein air. Parmi les bénévoles, Maryline Diara : « Depuis 2008, je suis marraine de Toit à moi : je verse 10 euros par mois pour que l’association puisse acquérir des logements. Et, depuis que j’ai pris ma retraite en 2013, je suis la référente bénévole d’un homme accompagné par Toit à moi. Il a deux enfants de 4 et 8 ans. Ensemble, nous nous promenons ou nous allons voir un spectacle et il a mon numéro de téléphone s’il a tout simplement besoin de discuter. » Des liens solides qui aident à reprendre confiance en la vie et à trouver la force de rebondir.
Par Aude Raux – Photos : Florence Mary
Comment ça fonctionne ?
L’association est aujourd’hui propriétaire de neuf logements meublés à Nantes. Et le modèle commence à essaimer ailleurs en France : La Ferté-sous-Jouarre (Seine-et-Marne), Toulouse et Angers. Un loyer est demandé à chacun. Il est égal au montant des aides au logement auxquelles le bénéficiaire peut prétendre plus 20 euros. Il arrive aussi à Toit à moi de loger gratuitement des personnes sans ressources, le temps de monter un dossier de demande d’aides au logement. Le bail est au nom du bénéficiaire qui est chez lui, après avoir signé une convention d’occupation précaire. Et ce, pour une durée non figée dépendant de chaque parcours, en général comprise entre deux et quatre ans. Si l’achat de l’appartement est financé par des donateurs individuels, les salaires des six membres de l’équipe le sont par le mécénat d’entreprise. Depuis sa création, Toit à moi a permis à une cinquantaine de personnes de sortir de la rue. Désormais, l’objectif consiste à déployer cet élan de solidarité à l’échelle nationale.